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A 160 DA le kilo : pourquoi la pomme de terre s’envole en Algérie

A 160 DA le kilo : pourquoi la pomme de terre s’envole en Algérie

Photo par Carmen Steiner / Adobe Stock

Avec des prix qui ont atteint de 160 DA le kilo, la pomme de terre revient sur le devant de l’actualité en Algérie.

La flambée des prix de ce tubercule indispensable pour préparer le fameux « frites-omelettes », un plat très populaire en Algérie, a été évoquée par le président de la République Abdelmadjid Tebboune dimanche 13 avril lors de sa rencontre avec les opérateurs économiques algériens. 

« C’est une honte quand le président de la République parle de la pomme de terre », a-t-il dit.

Pomme de terre en Algérie : une flambée qui inquiète jusqu’au sommet de l’Etat 

« Le prix de la pomme de terre a atteint 150 – 160 dinars (…) Il faut réguler le marché. Que la pomme de terre augmente de 10, 20 dinars, oui. Mais qu’elle passe de 60 à 160 dinars, c’est honteux. On ne va pas importer la pomme de terre, quand même ! », a-t-il dit.

D’autant que ce n’est pas la première fois que le prix de ce tubercule fait mal au porte-monnaie des Algériens: en 2022, la pomme de terre avait atteint les 180 dinars le kg et le gouvernement avait même envisage d’importer ce produit alors que cette filière possèdent de nombreuses réserves de productivité existent.  

Entre production de saison et d’arrière-saison, les récoltes de pomme de terre s’échelonnent toute au long de l’année d’autant plus que de nouvelles zones de culture au sud sont venues s’ajouter à celles du nord du pays.

Dans son intervention, Abdelmadjid Tebboune a évoqué la nécessité d’assurer le stockage de ce produit et sa mise sur le marché entre les périodes de soudure. Le sujet est d’autant plus sensible que la pomme de terre est devenue un produit hautement stratégique en Algérie.

En effet, avec les céréales, les pommes de terre sont aujourd’hui les produits les plus consommés en Algérie. A ce titre, le ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Youcef Cherfa, a annoncé en décembre dernier l’étude d’un projet de création d’un réseau national de chambres froides et de stockage, de petites et moyennes tailles.

Pomme de terre en Algérie : des coûts de production de plus en plus élevés 

De leur côté, les producteurs font état de coûts de production élevés. La semaine passée, l’agriculteur Mohamed Dahmani confiait à Ennahar Tv que pour couvrir le coût de production, il ne pouvait vendre la pomme de terre à perte : « En dessous d’un prix de vente de 60 DA, cela signifie qu’on a travaillé pour rien ».

Face à la caméra, il a énuméré ses charges : location de la terre 250 à 300 000 DA l’hectare, semences 270 000 à 350 000 DA le quintal, engrais :  12 500 DA et traitements phytosanitaires 15 000 à 18 000 DA. Des charges dont il estime le montant total à 2 000 000 DA l’hectare.

En 2024, un autre agriculteur a affirmé sur le même média réaliser une marge brute de 1 million de dinars algériens à l’hectare, a-t-il précisé, « à conditions que tu t’en occupes bien et que tu l’irrigues. A lui seul le manque de pluie fait qu’on peut perdre entre 30 à 40% du rendement ».

Il énumère ses charges : « Pour les semences, il faut compter 100 000 DA le quintal. A raison de 40 quintaux de semences à l’hectare, cela fait tout de suite 400 000 DA à débourser ».

Il poursuivait : « 200 000 DA pour les engrais et 100 000 DA pour les pesticides. Et cela sans le coût de l’électricité et de la main d’œuvre ». En moyenne les ouvriers sont payés 50 DA pour chaque cageot de pommes de terre ramassées.

Le poste irrigation n’a cessé d’augmenter ces dernières années. L’agriculteur témoigne : « Le coût de forage d’un puits était de 500 000 DA il y a dix ans, il est aujourd’hui de 10 millions de dinars. Et souvent sa durée de vie n’est que de deux ans. Après, il est à sec ».  Il poursuit : « Avant on obtenait 400 quintaux à l’hectare. Maintenant, avec la sécheresse on n’obtient pas plus que 200 à 250 quintaux ».

Dans plusieurs wilayas de l’intérieur du pays, des agriculteurs itinérants spécialisés dans la culture de la pomme de terre sont à la recherche de terres vierges non infectées par les parasites et de terres où la nappe d’eau est peu profonde.

Dans la commune de Kasdir (Naama), l’agriculteur Hadj Boudani supervise un chantier de récolte. Après qu’un engin ait déterré les pommes de terre, des ouvriers se chargent du ramassage manuel des tubercules.

II témoignait en novembre dernier au micro d’Ennahar Tv : « On obtient environ 600 quintaux à l’hectare. On doit mettre de l’engrais et du fumier pour enrichir le sol. On est obligé de ramener notre main-d’œuvre du fait du manque de main d’œuvre locale ».

A côté, de jeunes ouvriers chargent des caisses remplies de pomme de terre dans un camion de marque SNVI. Présent sur le chantier, le président de cette APC frontalière lance un appel aux investisseurs agricoles à la recherche de surfaces agricoles.

Pommes de terre : des techniques rudimentaires

Si en matière de stockage de pomme de terre, les progrès sont notables, les techniques de cultures semblent rudimentaires en Algérie.

C’est le cas de la persistance du ramassage manuel. La récolte des céréales est aujourd’hui entièrement mécanisée grâce aux engins de marque Sampo fabriqués localement.

C’est aussi le cas de la récolte de tomates industrielles en cours de mécanisation grâce à l’importation de matériel d’origine italienne. Quant à la récolte mécanisée de la pomme de terre, elle ne concerne que l’opération de déterrage mais pas celle de ramassage qui est particulièrement fastidieuse.

Concernant la disponibilité en semences, la filière bénéficie de la production du secteur public qui monte en cadence bien qu’insuffisante.

Fin novembre 2023, Mohamed Bouabida, ex-cadre au niveau du port de Mostaganem, faisait état sur les réseaux sociaux de l’accostage d’un navire chargé de « 2 500 tonnes de pomme de terre de semence provenant de Brest (France) ».

Il rappelait que « durant la campagne précédente 2022/2023 ce sont 93.000 tonnes de semences de pomme de terre qui ont transité par le port de Mostaganem. »

A Blida, la société VitroPlant fait état de la maîtrise du processus de plants de base de pomme de terre par culture in vitro. Avantage : des plants indemnes de maladies. Pour pallier le manque de semences, les agriculteurs s’adaptent en coupant en deux les tubercules de semences avant de les mettre en terre.

L’irrigation de la pomme de terre pose problème. Elle est majoritairement réalisée par aspersion. Un procédé qui consomme beaucoup d’eau par rapport à l’irrigation par goutte à goutte.

En mouillant le feuillage, l’aspersion présente l’inconvénient de favoriser le mildiou. Cependant, l’aspersion présente un avantage pour les agriculteurs itinérants : les kits d’irrigation utilisés sont facilement transportables.

Enfin, des études universitaires montrent la préférence des agriculteurs itinérants pour la location des terres.  Une pratique le plus souvent informelle sous forme d’un accord oral ou d’un acte sous seing privé en l’absence d’un statut officiel du fermage.

C’est le cas à Rechaïga où en 2019, Alaedine Derdari et Ali Daoudi de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach, notaient que suite au rabattement des nappes : « Le nombre d’agriculteurs itinérants a fortement diminué – ils se sont déplacés vers des sites où les ressources en terres (notamment « vierges ») et en eau sont plus disponibles et moins onéreuses ».

Des dysfonctionnements dont la filière locale pourrait venir à bout afin qu’à l’avenir le prix de la pomme de terre reste à des niveaux maîtrisables.

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