Mercredi 2 décembre, plusieurs journaux électroniques algériens sont subitement devenus inaccessibles depuis l’Algérie.
« Bloqués », pour reprendre le vocable désormais en vogue dans le milieu depuis l’été 2019. Le lendemain, certains d’entre eux sont rétablis, sans la moindre communication officielle sur la question.
On aurait volontiers cru au « problème technique » si le blocage de Casbah Tribune, le site fondé par le journaliste emprisonné depuis plus de huit mois, Khaled Drareni, n’a pas été maintenu.
Avec ce qui s’est passé le 2 décembre, se sont au moins une quinzaine de sites d’information algériens qui auront connu une censure partielle ou totale, de plus ou moins longue durée.
TSA est le premier journal en ligne à avoir été censuré, en juin 2019. À ce jour, il demeure inaccessible sur le réseau internet fixe. Le journal avait fait l’objet d’une mesure similaire sous Bouteflika, en octobre 2017.
Il s’agit bien de censure, d’un nouveau mode de gestion de la presse électronique, mais cet acte politique, aucune partie ne l’assume.
À quels niveaux se décide et s’exécute le blocage, qui prononce la peine et qui décide de sa levée, en vertu de quels textes ? On sait juste que tout cela se fait dans l’opacité et en dehors de toute légalité, aucune loi ou texte réglementaire ne prévoyant le blocage de l’accès aux sites d’information pour quelque écart que ce soit.
Au contraire, la lettre de la nouvelle constitution stipule que seule la justice est habilitée à prononcer la fermeture ou le blocage d’un média. La nouvelle loi fondamentale n’est certes pas entrée en vigueur, mais en attendant, les responsables du pays, à tous les niveaux, sont moralement et politiquement tenus de se conformer au moins à son esprit.
Cet acte attentatoire à la liberté de la presse est survenu, incompréhensiblement, alors que les dénégations internes des griefs retenus contre l’Algérie par la résolution du Parlement européen, ne s’étaient pas encore tues.
S’il manquait aux parlementaires de Strasbourg une preuve que « les restrictions à la liberté d’expression et les contraintes imposées aux journalistes ont été renforcées, notamment par le blocage de sites internet », elle leur a été maladroitement donnée en temps réel, par les dénégateurs eux-mêmes.
Une zone de non-droit
Sur toute la ligne, il est en effet difficile de suivre la logique et la stratégie des autorités, si elles en ont, par rapport à la gestion de la presse.
Officiellement, l’objectif et de se mettre au diapason des nouvelles technologies et de ce qui se fait dans le monde par le basculement progressif vers les médias en ligne et l’encouragement de la production de contenus algériens.
Sur le terrain, c’est tout le contraire qui se fait et, en l’absence de textes et de règles claires applicables à tous, des investisseurs sensés ne risquent pas de s’aventurer dans une zone de non-droit.
Officiellement encore, et il est bon de le rappeler, le gouvernement actuel s’est engagé solennellement à rompre avec les pratiques du passé, y compris celles qui avaient fait de l’Algérie un mauvais élève en matière de respect de la liberté de la presse.
Précisément sur le blocage de sites internet, voilà ce que disait sur une radio publique de grande audience, la chaîne 3, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Amar Belhimer, le 18 février dernier, quelques semaines après sa nomination.
« Aucun site n’est bloqué. TSA a été libéré il y a quinze jours. Depuis que je suis là, aucun site n’est bloqué. L’autorisation a été donnée à tous les titres qui sont passés au ministère pour s’enregistrer ». Dix mois après, TSA est toujours partiellement bloqué et la pratique s’est banalisée.
Il est illusoire de croire que les médias censurés et le pouvoir sont les seuls à perdre au change, les premiers par la baisse de l’audience et des recettes financières et le second par le ternissement de son image.
Par de telles pratiques, on anéantit chaque jour les chances de doter le pays d’une presse forte, crédible et influente, arme redoutable s’il en est dans les conjonctures de tensions comme celle à laquelle l’Algérie fait face en ce moment.
Pendant ce temps, l’anonymat et l’impunité des réseaux sociaux comblent le vide, loin de tout contrôle. Et tout le danger est là. Si l’Algérie a laissé des pans entiers de son économie à l’informel, il n’a pas le droit de le faire avec ce produit ultrasensible qu’est l’information.