La révocation de l’accord de1968 sur l’immigration qui est réclamée par l’extrême-droite et la droite dure française est revenue au-devant de la scène avec la crise inédite qui paralyse les relations entre l’Algérie et la France depuis fin juillet 2024.
Pour le moment, le président Emmanuel Macron ne cède pas à la pression exercée jusque dans son camp, par les anciens Premiers ministres Édouard Philippe et Gabriel Attal.
Mais qu’en pensent les spécialistes ? Deux tribunes parues presque simultanément dans la presse française plaident pour le maintien de l’accord de 1968.
La première est publiée le 12 janvier par le juriste Amine Elbahi, étonnamment dans un média d’extrême-droite, Frontières, dans lequel Boualem Sansal avait tenu en octobre dernier les propos qui l’ont conduit devant la justice algérienne.
Abroger l’accord de 1968, « c’est ouvrir la boite de Pandore »
Les critiques qui ciblent l’accord de 1968 "sont non seulement mal informées, mais dangereusement simplistes", estime le juriste.
Dénoncer l’accord franco-algérien sur l’immigration de 1968 c’est "ouvrir une boîte de Pandore" et serait "non seulement contre-productif, mais un véritable aveu d’échec politique et diplomatique pour la France", ajoute-t-il.
Pour le juriste, et contrairement à ce qui se dit, cet accord encadre les droits des ressortissants algériens et limite leur accès à certains dispositifs avantageux du droit commun français. En d’autres termes, il "n’a pas vocation à être un privilège, mais une régulation". De même qu’une telle mesure s’apparenterait à un coup d’épée dans l’eau.
Cela "ne freinerait pas l’immigration mais, au contraire, la renforcerait", note l’auteur de la tribune qui constate que eux qui appellent à dénoncer l’accord de 1968 sont ceux qui appelaient à la renégocier par le passé.
C’est donc "plus qu’un aveu d’échec dans le temps, un aveu d’impuissance politique insupportable".
Car les conséquences de l’abrogation de l’accord de 1968 seraient "catastrophiques pour la politique migratoire française".
Le juriste explique : les Algériens relèveraient du régime général, et la carte de séjour pluriannuelle ou le passeport talent, deviendraient accessibles.
De même que "les personnes entrées illégalement en France pourraient se prévaloir du régime général et faire examiner leur demande d’admission exceptionnelle au séjour, facilitant ainsi leur régularisation".
Accord de 1968 : les partisans de l’abrogation "se trompent d’enjeu"
L’autre conséquence pourrait être diplomatique. Amine Elbahi estime que la dénonciation de l’accord équivaudrait à "déclarer une guerre froide à l’Algérie« , ce qui serait »une provocation inutile« et »une rupture délibérée des relations bilatérales", avec des retombées directes sur la coopération de l’Algérie dans la lutte contre la migration clandestine et le terrorisme ainsi que sur la délivrance des laissez-passer consulaires.
En outre, estime le juriste, "réduire les relations franco-algériennes à la seule question migratoire est une offense à l’histoire commune des deux pays« . Pour lui, les partisans de l’abrogation de l’accord de 1968 »se trompent d’enjeu".
Dans une autre tribune publiée dans Le Monde sur le même sujet, Hocine Zeghbib, maître de conférences honoraire en droit public à Montpellier, relève que du point de vue du droit, la révocation de l’accord de 1968 ne remplit pas les deux conditions prévue par la convention de Vienne de 1969 sur les traités : la dénonciation n’est pas prévue par une clause de l’accord et elle ne découle pas de l’extinction naturelle.
"Une dénonciation violerait donc le droit international et impliquerait en outre en droit le retour au statu quo ante des accords d’Évian", écrit le juriste pour qui il reste la solution de la révision, du reste expressément prévue par l’accord lui-même.
« Un retour au statu quo ante des accords d’Évian »
Signés en mars 1962, les accords d’Évian, qui ont mis fin à 132 de colonisation française de l’Algérie, avaient instauré la libre circulation entre les deux pays.
Hocine Zeghbib apporte lui aussi la contradiction à ceux qui estiment que l’accord est avantageux pour l’immigration algérienne.
Chiffres à l’appui, il soutient que l’accord de 1968 en a, en réalité, "contenu l’essor".
Le nombre de certificats de résident algérien en cours de validité est passé de 545 000 en 2000 à 600 000 en 2023 et les Marocains, qui ne bénéficient pas d’un accord identique et bien que leur immigration est tardive, constituent 11,7 % de l’immigration en France, quasiment autant que les Algériens (12,2 %).
Pour le juriste, toute l’agitation actuelle est pour la "charge symbolique« de l’accord, »source de tous les maux migratoires pour les uns ; symbole de renversement des rapports dominants-dominés pour les autres".
Ceux qui appellent à son abrogation escomptent surtout "capter l’électorat perméable à la nostalgie coloniale, imputant insécurité et délinquance à l’immigration, maghrébine en particulier".