Économie

Aïd-el-Adha 2025 : pourquoi le Maroc renonce et l’Algérie importe des moutons

La décision de l’Algérie d’importer jusqu’à un million de moutons pour l’Aïd-el-Adha 2025, qui est loin de passer inaperçue, illustre le sérieux de la menace que fait peser la sécheresse sur l’élevage dans le pays.

Les consommateurs se déclarent ravis tandis que les éleveurs craignent une baisse de 30% des prix des moutons.

La décision de recourir à l’importation des moutons pour permettre aux Algériens d’observer le rituel du sacrifice de l’Aïd-el-Adha survient dans un contexte préoccupant de sécheresse qui frappe l’Algérie depuis des années.

Les dernières pluies ont quelque peu éloigné le souvenir des mois passés. Face au manque de fourrage, les éleveurs ont vendu une partie de leur cheptel. Résultat, des abattages frauduleux de brebis avec pour conséquences cette année un déficit de naissances d’agneaux.

Aïd-el-Adha 2025 : le Maroc renonce au sacrifice du mouton

Au Maroc, le ministère de l’agriculture a annoncé une diminution de 38% du cheptel national ces 9 dernières années, une situation qui a entraîné l’annulation du sacrifice de l’Aïd-el-Adha 2025. C’est le roi Mohammed VI qui a pris cette décision qui divise la société marocaine.

En Algérie, les actions d’aide à la filière ovine ont quelque peu atténué les effets du manque de pluie : soutien à la production de fourrage, location de parcours steppiques à travers les « mahmiyates », vente d’orge et d’issues de meunerie à prix réglementé.

C’est ce qui permet aujourd’hui à l’Algérie de ne pas recourir à des mesures aussi radicales que celles du voisin marocain.

Depuis des années, le Maroc s’est engagé dans une course effrénée à l’exportation de produits agricoles vers l’Europe. Résultat, les nappes d’eau souterraines sont au plus bas et les cultures de base ainsi que l’élevage ont été délaissés.

La décision de l’Algérie d’importer des moutons pour l’Aïd-el-Kebir 2025 correspond à une ancienne revendication des associations de consommateurs.

Le président de l’Association de protection des consommateurs (Apoce), Mustapha Zebdi, confiait en 2024 à DZ News TV : « De nombreuses familles algériennes ne font pas le sacrifice à cause de la hausse des prix élevés du mouton. C’est une réalité. L’année passée, il n’y a pas eu de mouton pour l’Aïd el-Adha à moins de 60.000 dinars. Nous espérons que l’importation des moutons soit étendue à l’Aïd el-Kébir et vendre les animaux vivants pour permettre aux familles algériennes de célébrer cette fête ».

En novembre dernier à l’occasion du 50ème anniversaire de la création de l’UNPA, le président Abdelmadjid Tebboune avait indiqué entendre ces demandes.

À l’époque, il avait refusé d’y souscrire rappelant que la vente des hydrocarbures pour acheter des aliments est « une politique erronée, car nous devons produire ce que nous consommons ».

Le chef de l’Etat avait indiqué qu’il s’agissait de «  trouver des solutions à la filière des viandes ». Il avait ajouté : « Je n’accuse pas les éleveurs de spéculation, mais il nous faut mettre en pratique des solutions, à commencer par la filière des aliments de bétail », selon El Moudjahid.

De leur côté, les services agricoles n’ont pas ménagé leurs efforts. Comme chaque année, ils lancent dès le mois d’octobre 2024 la vente à prix réglementé d’orge.

Un bilan de la campagne 2023 indique que ce sont 1,44 million de quintaux d’orge au profit de près de 100 000 éleveurs au niveau national qui ont été commercialisés. Des opérations qui ont fait suite au recensement du cheptel ovin.

Dans la seule wilaya de Djelfa, la Coopérative de légumes secs et des céréales (CCLS), se sont près de 9.650 éleveurs qui ont été concernés selon le secrétaire général de la Chambre d’agriculture.

En mars 2024, lors d’une séance au Conseil de la nation (Sénat), Youcef Cherfa, le ministre de l’Agriculture et du développement rural a rappelé les mesures prises pour encourager la production de fourrage et notamment de maïs fourrager en Algérie.

Ces dernières années, les superficies en fourrages ont augmenté de 40 000 hectares dans la région de Msila et de 24 000 hectares à El-Bayadh et Naâma, quinze ans après le lancement du Plan national de développement agricole (PNDA).

Pour sa part, le Haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS), en coordination avec les wilayas steppiques, a poursuivi la location saisonnière de lots de parcours. Des parcours à l’offre fourragère certes réduite du fait du manque de pluie.

Ces parcours protégés, les mahmiyates, sont loués de novembre à décembre, puis d’avril à juin aux éleveurs. Un éleveur de Tiaret témoigne dans la presse : « la location de 100 à 200 hectares de parcours nous revient entre 100 000 et 200 000 DA. Quand les parcours sont fermés, tous les 10 à 15 jours, on dépense l’équivalent de ces sommes en orge ».

Si la loi de 1983 portant sur l’Accession à la Propriété Foncière Agricole (APFA) a permis le développement de fourrages irrigués, elle se traduit également par la mise en valeur de surfaces déduites des terrains de parcours.

En 2020, des éleveurs s’étaient alarmés de la réduction de ces parcours de paturage. Brandissant des touffes d’armoise arrachées après le passage des charrues, ils avaient dénoncé, face aux caméras d’Ennahar TV, le labour des parcours : « Il n’y a plus de parcours pour nourrir les bêtes, on a recours à l’orge en grain qui est chère ».

Ces surfaces sont reconverties pour des cultures maraîchères mais également pour l’arboriculture et la plantation d’oliviers. Au traditionnel pastoralisme sous forme de nomadisme se développe un morcellement des parcours digne du phénomène d’enclosures qu’a connu la Grande Bretagne à partir du 18ème siècle.

Pourquoi la demande de moutons a explosé en Algérie ?

Cette réduction des surfaces des parcours s’accompagne d’une hausse de la demande de moutons suite à une augmentation de la population mais également de la disparition de la « famille élargie ».

Comme le souligne en 1983 la démographe Rachida Benkhelil, ce type de famille traditionnelle « regroupe sous l’autorité d’un patriarche l’ensemble des descendants mariés ainsi que leurs familles ».

La célébration de l’Aïd-el-Adha se traduisait le plus souvent par le sacrifice d’un seul mouton. Aujourd’hui, les ménages se composent des parents et de leurs seuls enfants, ce qui multiplie la demande en moutons.

La production de moutons peine à suivre cette demande. Malgré les pluies du début septembre dans la région de Béchar, les effets de la sécheresse estivale se sont poursuivis sur tout le territoire et le prix des fourrages et des moutons est resté élevé.

Les pâturages de la région de Béchar ont reverdi et ont attiré des éleveurs d’autres wilayas. Face à cet afflux, la wilaya de Bechar a alors interdit temporairement l’accès des pâturages aux éleveurs étrangers à la région.

En novembre, sur un marché de Tiaret, la chaîne Web Dounia a fait état de brebis dont le prix avoisinait les 170.000 DA. Le 12 novembre à Bougtoub (El Bayadh), un éleveur a mis en vente un agneau de trois jours au prix de 35.000 DA et indique qu’on lui en a déjà offert 25.000 dinars.

Face à cette flambée des prix et la baisse du cheptel ovin, les pouvoirs publics ont donc décidé d’intervenir avec l’importation d’un million de moutons pour l’Aïd-el-Adha 2025 qui sera célébrée dans moins de trois mois.

La décision a été prise par le président Abdelmadjid Tebboune lors du Conseil des ministres réuni dimanche 9 mars, selon un communiqué de la Présidence de la République.

Importations de moutons : les éleveurs redoutent un effondrement des prix

Cette mesure pourrait faire baisser les prix des moutons de 25 à 30% en Algérie, anticipe Ibrahim Amrani, le vice-président de la fédération nationale des éleveurs qui s’exprimait sur Echorouk.

Mustapha Zebdi s’en est réjoui. « C’est une mesure que nous demandions depuis plusieurs années. La quantité d’un million est un chiffre important et peut répondre à la demande des consommateurs », a-t-il déclaré à Echorouk.

Quant au mode de commercialisation, il craint que l’intervention d’intermédiaires privés laisse place à des risques de spéculation. Aussi, a-t-il souhaité que des organismes publics s’en chargent : « Je pense que c’est préférable pour une première expérience afin que les prix soient à la portée de tous ».

Lors de sa rencontre avec l’Union nationale des paysans algériens (UNPA), le président Tebboune s’était étonné que des pays plus petits que l’Algérie exportent des moutons. Aurait-on pu faire mieux ?

Ces dernières années, la protection sanitaire du cheptel a considérablement progressé grâce aux services vétérinaires.

Sur les 20 millions d’hectares de la steppe, des programmes de plantation d’arbustes fourragers en zone steppique ont permis d’améliorer la valeur alimentaire des parcours steppiques.

Les opérations de réhabilitation ont permis la mise en pause de trois millions d’hectares et la plantation d’arbustes fourragers sur 300 000 hectares.

L’atriplex peut produire jusqu’à 10 tonnes de feuilles et rameaux verts par hectare l’équivalent de 1 500 kg d’orge. De quoi nourrir pendant 4 mois 8 brebis selon une étude locale. Reste à trouver comment planter plus de surfaces en faisant participer les éleveurs à ces opérations. En Australie, celles-ci sont totalement mécanisées.

Lors de sa dernière rencontre avec l’UNPA, le chef de l’État a appelé la filière ovine et le représentant des paysans algériens à rechercher des solutions.  

En Nouvelle Zélande, la fertilisation des pâturages est une tradition. Une pratique encore inconnue en Algérie alors que l’Algérie produit et exporte des engrais azotés.

Algérie : des pistes pour améliorer la production de moutons

En 2021, le groupe Asmidal a créé la Société algérienne de la nutrition animale et végétale (ALNUTRAV). Celle-ci devrait notamment produire 200.000 tonnes de compléments à base de phosphate destinés à l’alimentation minérale des animaux. L’entreprise reste cependant absente de la production de compléments minéraux azotés alors qu’ils sont couramment utilisés en Europe.

La sélection génétique ovine reste un domaine vierge en Algérie. Sélectionner les moutons sur leur capacité de croissance permettrait d’économiser l’aliment. Cependant, qui pour soutenir sur le terrain les actions des services agricoles si ce ne sont des associations professionnelles ?

Au Maghreb, les décisions d’annuler le sacrifice de l’Aïd comme c’est le cas au Maroc ou d’importer des moutons comme l’a fait l’Algérie témoignent de la réalité du réchauffement climatique. Une course à l’adaptation des élevages est engagée.

| SUR LE MÊME SUJET : 

L’Algérie est-elle encore le pays du mouton ?

Quel est le mouton qui donne la meilleure viande ?

Les plus lus