Plusieurs produits de base comme le lait, le sucre, l’huile de table, dont les prix de vente bénéficient d’une forme de soutien de l’État, sont sous haute surveillance en Algérie.
Les services de sécurité, ceux du ministère du Commerce et la justice sont mobilisés dans les opérations de contrôle et de la lutte contre la spéculation.
Jeudi 6 février, le ministre de la Justice Lotfi Boudjemaa a instruit les magistrats de veiller à “préserver les droits du citoyen à la sécurité, à la santé et à l’alimentation”, en appliquant la loi “dans toute sa rigueur à l’encontre de quiconque tente de spéculer sur les prix ou créer des pénuries”.
Le même jour, le ministre du Commerce intérieur et de la régulation du marché Tayeb Zitouni a annoncé devant le Parlement que son département envisageait de renforcer les mesures de contrôle pour lutter contre les pratiques commerciales illicites, le monopole et la spéculation, et veiller au respect des prix et des marges bénéficiaires, notamment concernant les produits alimentaires de large consommation.
Ces produits font l’objet parfois de stockage suivi de hausse illégale du prix, d’utilisation dans des activités lucratives (cafés, restaurants, Industrie…) ou carrément de contrebande vers les pays limitrophes.
Ce type de pratiques illicites se fait principalement sur les produits subventionnés, d’où les nombreuses pénuries et tensions qui ont touché ces dernières années le lait, les farines et semoules, l’huile de table…
Il y a trois formes de soutien aux prix en Algérie : la subvention directe, la compensation et la réduction ou suppression des taxes.
Viandes rouges importées
Dans cette dernière catégorie, il y a notamment les viandes rouges importées.
Face à des hausses record des prix qui ont dépassé 3.000 DA le kilo, et devant l’incapacité de la production locale à satisfaire la demande intérieure, l’Algérie a de nouveau autorisé en 2023 l’importation de viandes rouges dont les prix varient entre 1200 dinars et 1800 dinars.
De nombreux avantages fiscaux et douaniers sont accordés aux importateurs dans le but de faire en sorte que les prix de vente aux consommateurs soient abordables.
Les viandes importées bénéficient d’un taux réduit de droits de douane, fixé à seulement 5 %. La disposition a été introduite dans la loi de finances 2024 et maintenue dans la Loi de finances 2025.
Malgré ce soutien de l’État à travers la fiscalité, les importateurs et tous les intervenants dans la chaîne de distribution des viandes rouges ne sont pas tenus de vendre à un prix déterminé, comme cela est le cas pour les produits subventionnés.
Les malversations sur les viandes importées portent essentiellement sur leur détournement de leur destination initiale, qui est la vente directe aux consommateurs dans les boucheries ou les points de vente de l’entreprise publique ALVIAR (Algérienne des viandes rouges).
Le soutien de l’État a pour objectif de préserver le pouvoir d’achat des citoyens, mais il arrive que la viande importée soit vendue aux restaurateurs par exemple, ce qui est interdit. C’est cette pratique que traquent les services du contrôle.
Lait en sachet, semoule et farine panifiable
Ce “détournement” d’un produit subventionné touchait parfois le lait en sachet. Vendu au prix très accessible de 25 dinars, ce produit était utilisé dans les cafés et surtout les laiteries pour la production d’autres dérivés (yaourts et fromages notamment).
Malgré les efforts de l’État pour rendre le lait en sachet disponible, ce produit a fait l’objet de pénuries récurrentes il y a quelques années. En 2018, le gouvernement a décidé de le réserver exclusivement aux ménages et d’interdire sa vente aux cafés.
L’intensification des contrôles au niveau des laiteries et des cafés et l’application rigoureuse de la loi ont permis de mettre fin aux tensions et aux pénuries.
L’importation de la poudre de lait coûte chaque année à l’État environ 600 millions de dollars. La poudre est importée par un établissement public, l’Office interprofessionnel du lait (ONIL) qui le revend aux laiteries à bas prix. Pour équilibrer sa trésorerie, l’ONIL bénéficie chaque année d’une subvention de l’État.
Il en est de même pour l’Office interprofessionnel des céréales (OAIC) chargé d’importer notamment le blé tendre qui sert à la production de farine panifiable.
Ce produit est censé servir exclusivement à la fabrication du pain vendu à un prix réglementé, mais il est détourné aussi par certaines boulangeries qui en font la matière première pour des produits aux prix libres, comme les viennoiseries et pâtisseries. La semoule fait également parfois l’objet de spéculation.
Huile de table et sucre blanc
Les prix du sucre blanc et de l’huile de table de Soja bénéficient d’une autre forme de soutien sur les prix. Il s’agit du système de compensation qui consiste à plafonner les prix et à compenser les producteurs si éventuellement le coût de revient se situe au-dessus du plafond fixé.
Là aussi, le soutien aux prix est censé bénéficier exclusivement aux ménages. Certains formats, comme la bouteille de 10 litres d’huile ou les sacs de sucre, ne sont pas vendus au prix plafonnés et il est strictement interdit aux professionnels d’acquérir les petits formats vendus à bas prix (sachets de 1 kg de sucre et bouteilles de 1, 2 et 5 litres d’huile).
Mais les trafiquants ont des stratagèmes pour contourner la réglementation.
En septembre dernier, la police a découvert à Tlemcen un atelier clandestin d’emballage de sucre où d’énormes quantités de sachets de 1 kg sont emballées dans de gros sacs de 50 KG destinés à être vendus clandestinement à des professionnels.
Légumes secs, café et aliment de bétail
La spéculation touche aussi régulièrement les légumes secs et le riz, des produits dont les prix sont soutenus à travers des avantages fiscaux. Depuis mars 2024, ces produits sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) alors qu’ils étaient jusque-là soumis au taux réduit de 9 %.
Haricots blancs, lentilles, pois chiches, pois et riz font parfois l’objet de stockage illégal pour être revendus à des prix exorbitants à la faveur de la pénurie ainsi créée.
Le dernier venu dans la liste des produits soutenus est le café. Une hausse des prix de ce produit sur les marchés internationaux en 2023 a fait flamber son prix en Algérie.
L’État a alors opté pour le système de compensation, plafonnant le prix du paquet de 250 grammes à 250 dinars, contre plus de 400 dinars lors de la flambée.
Un problème de disponibilité s’est posé lors de la mise en œuvre de la mesure, mais les choses sont vite rentrées dans l’ordre. Le souci des services de contrôle est maintenant de contraindre les cafetiers à baisser le prix de la tasse qu’ils avaient sensiblement augmenté.
Algérie : la réforme des subventions reportée
L’aliment de bétail notamment le son de blé n’est pas épargné par la spéculation et les pratiques frauduleuses. Dans le but d’encourager les filières d’élevage, notamment la filière ovine, ce produit est vendu aux éleveurs à un prix réduit, soutenu par l’État. Mais grâce à de fausses déclarations, des trafiquants parviennent à obtenir d’énormes quantités notamment d’orge qu’ils revendent aux vrais éleveurs à un prix élevé.
Toutes ces pratiques font qu’une partie des fonds dégagés par l’État pour soutenir le pouvoir d’achats servent à enrichir des individus sans scrupules.
D’où la détermination affichée depuis quelques années par les autorités pour éradiquer le fléau. Fin 2021, une nouvelle loi contre la spéculation a été adoptée, prévoyant des peines allant jusqu’à 30 ans de prison et la perpétuité dans certains cas.
Grâce à cette loi, la justice a frappé fort à plusieurs reprises, condamnant des trafiquants et des commerçants indélicats à de lourdes peines. Cette fermeté a jusque-là montré son efficacité.
Depuis quelques années, il y a nettement moins de tensions et de pénuries en Algérie qui mobilise d’importants moyens financiers et humains pour lutter contre la spéculation et subventionner les produits de large consommation.
En 2022, une réforme des subventions a été initiée pour passer d’un système de soutien des prix généralisé à un dispositif ciblé en faveur des plus démunis, mais elle a été reportée sine-die, en raison notamment du manque de données fiables sur les revenus des ménages.
Selon les chiffres officiels, l’Algérie a réservé 704 milliards de DA, soit plus de 5,2 milliards de dollars, pour subventionner les produits de base de large consommation, sur 4.208 milliards de dinars (31 milliards de dollars) de transferts sociaux en 2024.