Économie

Algérie : comment la France se fait doubler par l’Italie

La crise avec l’Algérie a été débattue, jeudi 13 février, au Sénat français. Adlene Mohammedi, chercheur et enseignant en géopolitique et spécialiste du monde arabe, a été entendu sur la question.

Dans son intervention, le sénateur d’origine algérienne Akli Mellouli a mis en garde la France contre le risque de perdre davantage d’influence en Afrique et en Méditerranée au profit d’autres pays, qui sont des amis de la France, mais aussi ses concurrents. Le parlementaire a cité l’exemple de ce qu’est en train de faire l’Italie avec son « plan Mattei ».

« Peut-on se défaire de l’axe Paris-Alger ? »

Akli Mellouli est allé droit au but en interrogeant le chercheur. Sa question va aussi évidemment aux décideurs politiques français.

« Peut-on se défaire de l’axe Paris-Alger, notamment dans le cadre de la stabilité de la Méditerranée et le développement de l’Afrique ? (…) Si vous répondez non, alors il faudra trouver les voies de la réconciliation et du travail commun », a-t-il dit.

Le sénateur a rappelé qu’il y a en France 5 à 6 millions de personnes d’origine algérienne, et il y a en Algérie 60.000 Franco-Algériens et 3.000 ou 4.000 entreprises françaises qui « sont inquiètes de cette situation parce que derrière elles, il y a des familles entières ».

Pour Akli Mellouli, la France doit intégrer aujourd’hui qu’elle a des concurrents et qu’elle n’est pas seule en Afrique. « Il y a les Américains, mais aussi les Italiens maintenant qui ont installé le plan Mattei avec des investissements très lourds en Afrique, notamment sur l’Algérie ».

Il a cité en exemple le projet des Italiens de produire du blé sur 36.000 hectares dans la région de Timimoun dans le Sahara algérien. L’Algérie sera autosuffisante et ce sera autant de blé en moins que la France va vendre, prévoit-il.

En plus du blé, les Italiens s’intéressent à produire de la canne à sucre dans le Sud algérien, et dans le domaine automobile, Fiat est la seule marque qui produit des voitures en Algérie. Important client du gaz algérien, l’Italie mène avec l’Algérie le projet SoutH2 Corridor pour la fourniture d’hydrogène vert algérien à l’Europe.

« Nous avons des amis qui sont aussi nos concurrents, et si on n’intègre pas cette question-là, on va finir isolés », a mis en garde Akli Mellouli.

« L’Italie a joué le jeu de la flexibilité de la relation avec l’Algérie »

« Est-ce qu’on peut se défaire de cet axe Paris-Alger qui est un axe pour la Méditerranée, sans faire injure à d’autres, notamment pour le développement de l’Afrique, parce que c’est eux (les Algériens) qui ont la Transsaharienne », s’est-il interrogé.

Dans sa réponse, le chercheur d’origine algérienne Adlène Mohammedi a été catégorique. « Je ne pense pas que la relation soit sacrifiable. Je pense que ce discours du sacrifice, ce discours qui dit qu’on peut s’en passer, que c’est très compliqué, est un discours dangereux », a-t-il dit,

« Nous avons affaire à des relations qui sont compartimentées et flexibles et l’Italie joue effectivement le jeu de cette flexibilité », a ajouté l’universitaire.

Adlene Mohammedi a rappelé qu’au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine, « l’Italie a largement profité du gaz algérien ». Pour lui, la différence entre l’Italie et la France, « c’est bien sûr ce poids de la colonisation ».

« Le fait d’appeler ce plan Mattei, c’est révélateur. Parce que Mattei, c’est le soutien au FLN et à l’indépendance algérienne, c’est effectivement ainsi que ça raisonne en Algérie et en Afrique du Nord », a-t-il expliqué, en référence au soutien apporté par l’industriel et homme politique italien Enrico Mattei à l’Algérie en lutte pour son indépendance.

Mais il y a aussi le poids du présent, notamment le discours politique en vogue en France, celui de l’extrême-droite.

« Le terme de la question algérienne dans le débat politique français se fait au détriment de la relation bilatérale », a regretté le chercheur qui cite par exemple « cette tentation au Parlement de revenir sur l’accord de 1968 de façon unilatérale ».

Le président Macron avait déclaré que le Parlement n’avait pas vocation à faire à sa place la politique étrangère de la France, mais, constate Adlene Mohammedi, « aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a un camp politique qui a une capacité d’influer d’une façon démesurée sur la politique étrangère de la France ».

SUR LE MÊME SUJET :

Un groupe italien délocalise une partie de sa production de Chine en Algérie

Les Italiens veulent produire la canne à sucre en Algérie

Algérie : comment les patrons français vivent la crise avec la France

Les plus lus