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Algérie : des agriculteurs dépassés par la surabondance de la récolte d’oignons

Algérie : des agriculteurs dépassés par la surabondance de la récolte d’oignons

Par Unsplash
Récolte d'oignons

« Encore un mois et la récolte est perdue » se désolent des producteurs d’oignons en Algérie.

Leur récolte est en effet stockée en plein air sous forme de longs andains recouverts d’une simple bâche en plastique. Et aucuns acheteurs en vue.

« Retirer la bâche le matin, la remettre le soir. Retirer, la remettre… ». Vêtu d’une kachabia et d’un turban pour se protéger du froid, cet agriculteur de Tiaret tente de sauver sa récolte d’oignons. Il n’en peut plus.

Les doigts rougis par le froid malgré l’emploi de gants, il témoigne retirer chaque jour puis remettre le soir la bâche qui protège les longs tas d’oignons stockés à même le sol.

Une bâche en plastique raidie par le gel et qu’il faut manipuler matin et soir au niveau de plusieurs dizaines d’andains long chacun d’une cinquantaine de mètres.

Un travail essentiel afin d’éviter la condensation de l’air humide sous la bâche, une humidité qui peut contribuer au départ en végétation des bulbes et au développement des maladies. Heureusement le froid actuel ralentit le risque de maladies, mais jusqu’à quand ?

Sur les réseaux sociaux, il s’interroge : « où sont les gens qui pourraient consommer ces oignons » et indique y penser jour et nuit : « je me réveille en pleine nuit pour aller accueillir un camion venu acheter sa récolte et je me rends compte soudain que je rêvais ».

En milieu de journée, les andains resplendissent sous les rayons du soleil. L’agriculteur s’est hissé sur un andain et s’adressant à des acheteurs potentiels lance : « venez, venez acheter des oignons ».

« Il y a là 30.000 quintaux d’oignons »

Mêmes scènes à Saïda, des dizaines d’andains à perte de vue alignés en bordure de champs.

Des agriculteurs parcourent les allées entre les tas d’oignons. Bien qu’ils soient de belle taille et bien secs sans traces de redémarrage de végétation, l’inquiétude est palpable : « il y a là 30 000 quintaux d’oignons » explique un membre de la famille Hadjadj.

Il ajoute : « dans une quinzaine de jours, voire un mois, on risque de tout perdre. Et dans ce cas-là, les agriculteurs qui se trouvent dans la même situation ne recommencerons pas à en cultiver l’année prochaine ».

Au rez-de-chaussée d’une maison transformée en lieu de stockage, il témoigne devant des tas d’oignons : « regardez la situation ! ».

Sur les tas d’oignons baignés par la lumière qui entre par les ouvertures prévues pour des fenêtres, la couleur verte des feuilles d’oignon est partout présente.

Les bulbes sont impropres à la vente. La reprise de végétation vide les bulbes de leur substance et fait baisser leur poids. Aucune ménagère ne voudrait de tels oignons.

Un voisin brandit plusieurs oignons également munis de feuilles et lance : « Trouvez-nous une solution. Il n’y a pas de vente. On ne trouve pas d’acheteurs ».

Un agriculteur pointe le doigt à l’horizon et explique : « Partout autour de nous, la situation est identique, des récoltes en attente d’acheteurs ».

« On aimerait la venue d’un responsable qui a l’amour du pays chevillé au corps » lance un autre producteur.

FrigoMedit, 15 000 m3 de stockage moderne

Fin octobre, le ministre de l’Agriculture Youcef Cherfa était présent dans la wilaya de Tiaret à l’occasion d’une visite de travail qu’a couvert l’agence APS.

L’agence signale que d’importantes quantités « d’oignon et de la pomme de terre, sont orientées vers les wilayas du Nord du pays pour stockage ».

Il a inauguré un complexe public (Frigomedit) de réfrigération de produits agricoles. D’une capacité de 15.000 m3, ce complexe qui représente un investissement de 1,1 milliard de dinars comprend « un espace de réfrigération estimé à 15.000 m3, dont 12.000 m3 de réfrigération positive et 3.000 m3 de réfrigération négative ».

Dans la commune de Hamadia, le ministre a inauguré un autre complexe de réfrigération fruit d’un investissement privé et à cette occasion il a rappelé que : « les promoteurs de ce type d’investissement qui signeront des contrats de partenariat avec son département ministériel bénéficieront de primes proportionnelles aux volumes stockés, avec la garantie à l’investisseur du libre choix des produits ».

Des contrats qui prévoient la remise sur le marché des produits dès que la demande se fait sentir et dont des contrôleurs du ministère du Commerce viennent vérifier la conformité.

Le stockage de produits agricoles par des investisseurs privés est encouragé mais à la condition qu’il soit déclaré auprès des services de l’administration afin d’éviter toute formes de spéculation.

Stockage des oignons par ventilation

Avec 12.000 m3 de réfrigération positive, le complexe de Frigomedit illustre les différentes formes de stockage pouvant aller de 6 à 9 mois. Différentes formes de stockage sont possibles : ventilation par aspiration d’air ou par un flux d’air envoyé par l’intermédiaire de gaines situées sous le tas d’oignons ou de pomme de terre entassés sur la dalle d’un hangar ou dans des palox, ces caisses d’un volume d’un mètre cube.

Outre la ventilation, l’emploi à l’étranger de générateurs à éthylène se développe. Ce gaz empêche le redémarrage en végétation des oignons et pommes de terre stockés sous les hangars.

Une autre stratégie consiste à rechercher une amélioration du stockage traditionnel de quelques mois. Cela passe par l’emploi d’une couche de paille jouant le rôle d’isolant thermique sous la bâche plastique ou par la réduction de la moitié de la hauteur des andains afin de réduire l’écrasement des bulbes situés à la base.

En leur centre, les andains peuvent avoir une hauteur de 1,3 mètre. Outre le redémarrage de la végétation, il s’agit de réduire le pourrissement des bulbes du fait du développement des maladies. Le pourcentage de pertes est variable selon les pratiques des agriculteurs.

Aussi, les traitements au champ avant récolte, l’absence d’excès d’engrais et d’irrigation et l’observation d’une durée de séchage sont autant de pistes de recherche pour les services agricoles et les techniciens des Chambres d’agriculture.

Manque de planification

Comme pour les excédents d’ail ou de pomme de terre, des producteurs rêvent d’exportation. Mais c’est oublier la concurrence féroce entre pays producteurs parmi lesquels l’Egypte dont les coûts de main d’œuvre sont très faibles.

Producteurs mais également commerçants utilisent aujourd’hui les réseaux sociaux pour informer de la disponibilité de produits agricoles en bout de champs ou dans les marchés de gros.

Une préoccupation qui fait écho à l’analyse d’Ali Daoudi, agro-économiste à l’École nationale supérieure d’agronomie. Lors d’un récent passage sur les ondes de la Radio algérienne, il déplorait l’absence d’un système de suivi des prix agricoles. Un outil capital à ses yeux pour organiser la profession.

À Tiaret, le ministre a également fait état de « l’ouverture, à titre gracieux, d’espaces au profit des agriculteurs au niveau des marchés de gros afin qu’ils puissent commercialiser leurs produits directement au consommateur ».

L’occasion pour les producteurs d’oignons de réduire le nombre d’intermédiaires mais également de s’organiser en groupements de conditionnement et de vente de leurs produits.

En plus de la faiblesse des infrastructures de stockage, la récolte excédentaire d’oignons cette saison illustre les retards de l’industrie algérienne de transformation des produits agricoles ainsi que le manque de planification dans l’agriculture. Les agriculteurs plantent souvent ce qu’ils veulent, sans prendre en compte les besoins du marché.

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