Politique

Algérie France : comprendre les nouvelles tensions en 3 points

C’est de nouveau la crise entre l’Algérie et la France, moins de deux semaines seulement après l’amorce lundi 31 mars suite à un appel téléphonique entre les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron d’un processus de règlement de la brouille déclenchée en juillet 2024.

Les conséquences des nouvelles tensions sont même d’une gravité jamais vue, avec l’incarcération en France d’un agent consulaire algérien et l’expulsion par Alger de 12 fonctionnaires de l’ambassade de France.

Le nom du ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau revient dans toutes les analyses. Lundi, Alger l’a désigné comme le principal coupable dans le déclenchement de la nouvelle crise. Ce sont ses services qui ont procédé à l’arrestation de trois algériens, dont un agent consulaire.

Les 12 agents français que l’Algérie a sommé de quitter son territoire sous 48 heures sont aussi directement liés au ministre de l’Intérieur, fervent défenseur depuis plusieurs mois d’une ligne dure et d’un “rapport de force” avec l’Algérie.

Nouvelle crise Algérie – France : les faits

Vendredi 11 avril, trois Algériens ont été incarcérés en France pour leurs liens présumés dans une affaire de séquestration de l’activiste algérien Amir DZ, remontant à avril 2024. L’une des personnes arrêtées est un agent consulaire algérien, donc un fonctionnaire diplomatique, en poste au consulat d’Algérie à Créteil.

Le lendemain, le ministère des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de France en Algérie Stéphane Romatet auquel il a été signifié les protestations officielles de l’Algérie.

Dans un communiqué diffusé par le MAE, l’Algérie a dénoncé une “cabale judiciaire inadmissible”, appelé à la ”libération immédiate” de l’agent consulaire et assuré qu’elle “n’a pas l’intention de laisser cette situation sans conséquences”. Le MAE a accusé directement “les fossoyeurs de la normalisation des relations bilatérales” d’être derrière cette nouvelle affaire.

Dimanche 14 avril, la France a répondu en mettant en avant l’indépendance de la justice. “Nous ne commentons pas une enquête en cours. L’autorité judiciaire, qui agit en toute indépendance, est seule compétente pour se prononcer”, a indiqué une source diplomatique française à l’AFP.

Le même jour, des médias français, dont Le Figaro, ont fait état de la décision des autorités algériennes d’expulser sous 48 heures 12 agents consulaires français. Ce qui a été confirmé ce lundi 14 avril par le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, qui a mis en garde, selon France Info, que si la décision de renvoyer les agents est maintenue, la France n’aura “d’autre choix que d’y répondre immédiatement”.

Lundi, le ministère des Affaires étrangères a confirmé l’expulsion de 12 agents de l’ambassade et des consulats de France en Algérie, une décision qui « fait suite à l’arrestation spectaculaire et ostentatoire, sur la voie publique, par les services sous tutelle du ministère de l’intérieur français d’un agent consulaire d’un État souverain accrédité en France, en date du 8 avril 2025 ». Il a précisé que les agents expulsés relèvent de la « tutelle du ministère de l’intérieur français ».

L’Algérie a rappelé que l’arrestation de son agent consulaire est un « acte indigne » qui est la « conséquence de l’attitude négative, affligeante et constante du ministre de l’Intérieur français vis à vis de l’Algérie ». Elle a accusé Bruno Retailleau de chercher à la « rabaisser ».

Ces développements sont qualifiés par les observateurs d’inédits entre les deux pays depuis 1962.

Agents expulsés par l’Algérie : des policiers et gendarmes pour la plupart 

Le journal français Le Figaro a apporté ce lundi quelques éclaircissements concernant la qualité des agents consulaires français sommés par l’Algérie de quitter son territoire sous 48 heures.

Selon les informations de ce média, ce sont des policiers et des gendarmes, “agents du ministère de l’Intérieur”, qui travaillent à l’ambassade de France à Alger, “sous les ordres de l’ambassadeur”, sur des “questions de renseignement ou toute affaire liée à la sécurité intérieure”.

Ces douze agents seraient spécialisés dans le contre-terrorisme, les dossiers de police judiciaire, les affaires de fraude documentaire ou les questions d’immigration, précise Le Figaro. Deux d’entre eux seulement seraient des fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure française (DGSI).

Les autres seraient six policiers et quatre gendarmes rattachés à la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS).

Ces policiers et gendarmes sont, “organiquement, tous placés sous la tutelle du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau”. Celui-ci est soupçonné par de nombreux observateurs d’avoir provoqué cette énième tension entre les deux capitales.

Selon le journal français, le ministère de l’Intérieur a un “relais à l’ambassade de France à Alger dénommé le ‘service de sécurité intérieure’“.

La direction de la coopération internationale de sécurité dispose de 300 policiers et gendarmes répartis dans 160 pays. En 2024, année des Jeux olympiques en France, ce service a envoyé 230.000 messages vers la France ou vers les autorités locales. La même année, il a permis de refouler 10 000 candidats à l’entrée illégale sur le territoire français, selon les informations du même journal.

Pourquoi l’incarcération de l’agent consulaire algérien est illégale 

Dans sa première réaction, l’Algérie a contesté la décision de la justice française dans la forme et dans le fond. Sur la forme, elle a rappelé que l’agent consulaire a été “arrêté en pleine voie publique puis placé en garde à vue sans notification par le canal diplomatique et en flagrante contravention aux immunités et privilèges rattachés à ses fonctions près le Consulat d’Algérie à Créteil ainsi qu’à la pratique prévalent en la matière entre l’Algérie et la France”.

Dans le fond, l’Algérie a dit retenir surtout “la fragilité et l’inconsistance de l’argumentaire vermoulu et farfelu invoqué par les services de sécurité du ministère de l’Intérieur français durant les auditions, laquelle appuie cette cabale judiciaire inadmissible sur le seul fait que le téléphone mobile de l’agent consulaire inculpé aurait borné autour de l’adresse du domicile de l’énergumène Amir Boukhors”.

Contacté par TSA, une source algérienne a confirmé que la démarche de la partie française est un précédent dans les relations entre les deux pays et contrevient aux usages diplomatiques.

Selon la même source, il arrive qu’un État juge indésirable la présence d’un fonctionnaire diplomatique sur son territoire et la procédure admise et habituellement appliquée est celle de l’éloignement dans la discrétion et après accord entre les autorités des deux pays.

Dans cette affaire, l’agent consulaire algérien a été arrêté sur la voie publique et incarcéré, ce qui constitue un précédent grave, et son cas a été en plus médiatisé. La volonté de saboter le processus de rapprochement entre les deux pays saute aux yeux, comme le soulignent de nombreux observateurs.

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