Économie

Algérie – France : la guerre commerciale aura-t-elle lieu ?

À l’ombre des tensions diplomatiques entre l’Algérie et la France qui connaissent une escalade sans précédent, les milieux d’affaires français en Algérie observent et suivent avec beaucoup d’inquiétude l’évolution de la plus grave crise dans l’histoire des deux pays.

Cette crise qui a éclaté le 31 juillet dernier suite à la décision du président Emmanuel Macron de reconnaître la marocanité du Sahara occidental, s’est aggravée avec l’arrestation et l’incarcération, mi-novembre, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. L’escalade a atteint son paroxysme cette semaine, avec l’expulsion ratée d’un tiktokeur algérien jeudi 9 janvier.

Expulsé vers l’Algérie, Doualemn a été renvoyé dans le même avion par les autorités algériennes, ce qui a mis Paris en colère. En réaction, des ministres français, notamment celui de l’Intérieur Bruno Retailleau – qui est curieusement en première ligne dans la gestion de cette crise – ont agité la menace de représailles contre l’Algérie.

Menace de représailles contre l’Algérie

Parmi les leviers de pression cités figurent les visas, l’immigration et le commerce entre les deux pays. Cette « arme » a été évoquée pour la première fois par Bruno Retailleau en octobre dernier.

Depuis, l’idée fait son chemin alors que l’Algérie devrait bientôt entamer des négociations avec l’Union européenne sur la révision de l’accord d’association.

Ce dimanche 12 janvier, le quotidien économique La Tribune affirme que « l’idée d’un train de sanctions » contre l’Algérie, « serait envisagée, mais si elle n’a pas été validée ».

Selon ce journal, une réunion a eu lieu vendredi à l’Élysée pour étudier les mesures de rétorsion à déployer contre l’Algérie.

La France brandit l’arme commerciale contre l’Algérie

« L’arme commerciale peut être un outil très utile. Menons au niveau européen les discussions nécessaires pour, s’il le faut, augmenter des tarifs douaniers avec l’Algérie », a soutenu vendredi l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, patron du parti d’Emmanuel Macron.

Le mot est lâché : la France envisage d’utiliser l’arme commerciale contre l’Algérie pour résoudre la crise actuelle. Une première dans l’histoire des relations bilatérales.

En Algérie, l’agitation par la France de la menace des sanctions économiques est accueillie avec une certaine indifférence, parfois avec une pointe de défi, en raison notamment de l’énorme déficit commercial hors hydrocarbures entre les deux pays.

Les Algériens le savent : la France n’a pas les moyens d’agir seule dans ce dossier. « Pour la hausse des droits de douane, Paris doit convaincre les autres pays de l’UE, ce qui est loin d’être acquis, sinon il est facile d’orienter le commerce bilatéral », confie une source algérienne.

« Une telle éventualité doit faire trembler d’abord les entreprises françaises basées en Algérie et celles qui commercent avec notre pays », reprend le président d’une organisation patronale algérienne.

« En cas de guerre commerciale, il y aura des perdants des deux côtés.  C’est clair. Mais dans le contexte actuel, ce sont les Français qui seront les plus grands perdants », ajoute-t-il sous couvert de l’anonymat en raison de la sensibilité politique du dossier.

En plus de la dimension humaine unique que partagent les deux pays, l’économie représente un morceau important de la relation entre l’Algérie et la France. S’en prendre aux liens économiques ne sera pas sans conséquences pour les entreprises des deux pays.

L’épisode de la suspension du commerce avec la France pendant 48 heures en novembre dernier a montré l’ampleur et la densité de cette relation économique.

« Il y a 6.000 entreprises françaises qui travaillent avec l’Algérie »

« Il y a 6.000 entreprises françaises qui travaillent avec l’Algérie et autant d’entreprises algériennes qui travaillent avec la France pour un volume d’affaire proche des 12 milliards d’euros », résume Michel Bisac, le président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française dans une déclaration à TSA.

Selon la dernière enquête de l’OFATS (Foreign AffiliaTes Statistics) sur la présence à l’étranger des groupes européens, la France arrive en tête en Algérie avec 201 filiales de ses entreprises présentes sur le territoire algérien.

En 2023, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 11,8 milliards d’euros, en hausse de 5,3 % par rapport à 2022, selon les chiffres des Douanes françaises. La France a acheté principalement du gaz et du pétrole d’Algérie. Les importations de produits hors hydrocarbures sont insignifiantes.

Pour sa part, l’Algérie a importé des produits industriels français (1,9 milliard d’euros), équipements mécaniques (un milliard d’euros), équipements de transport et produits agro-alimentaires.

En valeur, l’Algérie a importé pour 4,49 milliards d’euros de marchandises de France en 2023 contre 4,51 milliards en 2022, soit un petit recul de 0,5 %, selon les données des Douanes françaises.

À ces chiffres, il faut ajouter le montant des dividendes transférés annuellement par les entreprises françaises présentes en Algérie.

Dans ce contexte, en cas de hausse des droits de douane sur les produits algériens vers la France, elle touchera les hydrocarbures (pétrole et gaz) dans un contexte marqué par la hausse du prix du gaz en Europe, en raison de l’arrêt des livraisons du gaz russe via l’Ukraine. Fin 2024, les prix du kilowattheure ont franchi le seuil de 50 euros pour la première fois depuis octobre 2023.

« L’Algérie est le deuxième marché en Afrique pour les entreprises françaises. Si la France met à exécution ses menaces de représailles commerciales, elle va se faire du mal. Les autorités françaises ont plutôt intérêt à calmer les choses. Les entreprises algériennes peuvent trouver ailleurs les produits qu’elles importent de France, même si cela sera difficile et coûteux parfois. Mais il sera plus difficile pour les entreprises françaises, notamment les PME, de remplacer les commandes perdues avec l’Algérie, d’autant que le contexte mondial, marqué par la crise, n’est pas favorable », développe le président de l’organisation patronale algérienne.

« En cas de guerre commerciale contre l’Algérie, les Français seront les perdants »

Si les entreprises algériennes, notamment les plus importantes, ne se préparent pas à un coup dur dans l’immédiat avec la France, elles ont déjà intégré cette donne dans leurs plans stratégiques.

Les leçons de la crise de 2022 avec l’Espagne ont été tirées quand l’Algérie a décidé de suspendre brutalement le commerce avec ce pays. Des entreprises algériennes ont souffert en raison de leur dépendance vis-à-vis des fournisseurs espagnols.

La crise avec l’Espagne qui a duré jusqu’à 2024 et l’épisode de la brève suspension des domiciliations bancaires avec la France en novembre dernier ont renforcé la conviction au sein des groupes algériens sur la nécessité de diversifier leurs partenaires, et de regarder au-delà de la France.

 « Au plan stratégique, les entreprises algériennes, notamment les plus importantes, ont pris des mesures pour ne plus dépendre d’un seul fournisseur. Il vaut mieux avoir deux sources d’approvisionnement qu’une seule. Il y a d’autres pays comme la Turquie ou la Chine qui sont prêts à remplacer la France, ils sont même aux aguets », ajoute notre interlocuteur.

Interrogé, le patron d’un grand groupe privé algérien pense que l’économie doit être épargnée par les tensions politiques entre les deux pays.

« Les entreprises algériennes travaillent avec les fournisseurs qui répondent à des besoins purement économiques : qualité des produits, tarifs, service après-vente, etc. Il y a peu de sentiments dans ce domaine-là. Il y a des appels d’offres et des consultations qui sont engagés et les choix se font sur une base purement économique. Avec les entreprises françaises, les relations sont historiques et bonnes. Il ne sera pas facile de les remplacer du jour au lendemain », détaille-t-il.

Commerce extérieur : les outils redoutables de l’Algérie

À Alger, dans les milieux d’affaires français, l’inquiétude est palpable. « Les entreprises tant d’un côté que de l’autre sont très inquiètes », lâche Michel Bisac qui met en avant l’impact de la dégradation des relations politiques entre les deux pays sur les entreprises algériennes et françaises.

Pour lui, le levier économique doit être utilisé pour redresser l’état des relations entre les deux pays, et non pas pour aggraver la situation.

Dans les faits, même si Alger n’a décrété aucune mesure contre les entreprises françaises, ces dernières rencontrent de plus en plus de difficultés à accéder au marché algérien, en raison des tensions politiques récurrentes et des restrictions gouvernementales sur les importations et la reprise du contrôle du commerce extérieur par les autorités.

« Il est de plus en plus difficile d’obtenir des autorisations d’importation des produits made in France. Les certificats de conformité des produits alimentaires sont devenus aussi très difficiles à obtenir pour les entreprises françaises », confie un chef d’entreprise français. Toutefois, les restrictions ne touchent pas spécifiquement les produits français.

L’Algérie a décidé de réduire fortement ses importations. Pour cela, il a mis en place des outils efficaces qui lui permettent de réguler les importations afin d’encourager la production nationale et de réduire l’érosion des réserves de change, mais aussi de choisir les partenaires commerciaux.

Si l’Union européenne possède des barrières normatives infranchissables pour certains produits en provenance des pays tiers, l’Algérie a mis en place son dispositif pour contrôler, orienter et réguler son commerce extérieur.

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