À petits pas, l’Algérie et la France se dirigent vers la fin, du moins l’atténuation de leur brouille qui dure depuis fin juillet dernier. Des signaux d’apaisement sont envoyés de part et d’autre et, sauf gros retournement de situation, Alger et Paris renoueront incessamment le dialogue et entreprendront de refermer momentanément le chapitre d’une crise considérée comme la plus grave de l’histoire de leurs relations bilatérales.
La désescalade est déjà en marche depuis les propos tenus par le président Abdelmadjid Tebboune le 22 mars à l’adresse de son homologue français. Des propos favorablement accueillis à Paris à en juger par la réaction très mesurée d’Emmanuel Macron et de nombreuses voix en France à la condamnation de Boualem Sansal.
Algérie – France : les signe d’un apaisement conjoncturel
Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, le verdict de la justice algérienne à l’encontre de l’écrivain franco-algérien n’a pas donné lieu à des attaques violentes, y compris du courant extrémiste.
S’il y a un signe qui ne trompe pas sur la volonté de désescalade, c’est le silence du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui, depuis quatre mois, fait de la libération de l’écrivain sa priorité et multiplie les menaces contre l’Algérie si elle ne le remet pas en liberté.
Qu’il ne souffle pas mot après la condamnation à cinq ans de prison ferme de celui qu’il présente comme son « ami » a un sens.
Il s’agit sans doute d’un silence concerté au sein du gouvernement et avec l’Elysée pour ne pas mettre en péril la sortie de crise qui commence à se dessiner. Il faut dire que la méthode Retailleau a montré ses limites et le ministre de l’Intérieur a été recadré publiquement et à plusieurs reprises par le chef de la diplomatie Jean-Noël Barrot et par le président Macron lui-même.
Le cadre dans lequel les deux pays devraient amorcer un retour à la normale est celui défini par le président Tebboune le 22 mars. L’Algérie discutera avec Emmanuel Macron ou son ministre des Affaires étrangères. Celui-ci est attendu à Alger dans une dizaine de jours, aux alentours du 11 avril, a précisé le journal français L’Opinion.
Le menu du déplacement de Jean-Noël Barrot en Algérie n’est pas difficile à deviner. Les deux dossiers prioritaires sont évidemment l’affaire Boualem Sansal et la question des laissez-passer consulaires et l’exécution des OQTF qui fait s’agiter le ministre de l’Intérieur et tout le courant extrémiste.
Bruno Retailleau risque de sortir les mains vides de la crise avec l’Algérie
Les observateurs n’excluent pas que la question de la détention de l’écrivain franco-algérien soit rapidement réglée. Vendredi, sur Sud Radio, le recteur de la Grande mosquée de Paris Chems-Eddine Hafiz a donné un indice : « « Si on fait de la politique-fiction, je pense que le président de la République algérienne va décider de sa grâce ».
Juridiquement, la remise en liberté de l’écrivain proche de l’extrême droite est toujours possible par le biais d’une grâce présidentielle s’il ne fait pas appel du jugement prononcé en première instance, qui deviendrait alors définitif.
Les mots choisis, d’Emmanuel Macron en réaction au verdict du jeudi 27 mars, sont une manière de laisser les autorités algériennes opter pour la solution du « geste humanitaire » sans céder aux injonctions inacceptables et contre-productives de la droite et de l’extrême-droite françaises.
Du côté français, la remise en liberté de Sansal paraît probable, ne serait-ce que par le fait qu’il est difficile d’imaginer un apaisement avec l’écrivain toujours en détention. En France, seul Emmanuel Macron, qui a opté pour la manière douce, pourrait alors revendiquer un rôle central dans une éventuelle libération de Boualem Sansal, et par conséquent en tirer les dividendes politiques dont il a besoin pour soigner sa popularité et reprendre légèrement la main sur la gestion de la crise avec l’Algérie.
Ce qui n’est pas le cas de l’autre nœud gordien de la crise, la question des OQTF trop monopolisée par Bruno Retailleau avec l’objectif de tirer les dividendes de la moindre concession de l’Algérie.
Le ministre de l’Intérieur a abîmé davantage une relation bilatérale déjà fragilisée par les contentieux autour de la mémoire, du Sahara occidental, de la lutte contre l’immigration clandestine et de la perte par les groupes français de leur place sur le marché algérien, par son ton comminatoire à l’égard de l’Algérie, qui rappelle le « temps des colonies », comme l’a souligné le diplomate Abdelaziz Rahabi.
Quel avenir pour la relation entre la France et l’Algérie ?
Aucun État souverain au monde ne marche aux injonctions et aux ultimatums, et l’Algérie a d’autant moins de raisons de les accepter qu’elles viennent de l’ancienne puissance coloniale et à plus forte raison d’un courant politique qui n’a jamais caché sa nostalgique de l’Algérie française.
Les observateurs s’attendent à ce que tous les mots prononcés ces dernières semaines par Bruno Retailleau, ses injonctions et ses menaces de « rapport de force » et de « riposte graduée » à l’égard de l’Algérie, pèseront dans les futures discussions.
« Je pense que si Alger peut faire un geste sur Sansal pour couper l’herbe sous les pieds de ceux qui utilisent cette affaire pour s’en prendre à l’Algérie et aux Algériens, ce ne sera pas le cas pour la question des OQTF. Ce dossier va encore peser dans les relations entre les deux pays. La droite et l’extrême vont continuer à s’attaquer à l’Algérie, jusqu’aux présidentielles de 2027. Au-delà, Retailleau a donné un aperçu clair sur le futur des relations franco-algériennes », explique un ancien ministre algérien.
Autrement dit, le contentieux sur la mobilité et les reconduites aux frontières risque de perdurer pendant quelques mois encore tant les autorités algériennes ne sont pas prêtes à offrir au ministre français de l’Intérieur l’occasion de se présenter aux élections du parti Les Républicains, et peut-être à la présidentielle de 2027, dans la peau de celui qui aura fait « plier l’Algérie ».