Économie

Algérie : la culture des légumes secs en plein essor, voici les enjeux

En hiver, les pois chiches, lentilles et fèves sont particulièrement consommés en Algérie. Ces produits représentatifs de la street food ont leurs habitués.

On les retrouve dans des échoppes, attablés devant un plat fumant, abondamment épicé. En 2023, l’Algérie a lancé un programme de relance de la culture des légumes secs, dont les premiers résultats sont aujourd’hui visibles.

Suite à des décisions du Conseil des ministres, Nasreddine Messaoudi, le secrétaire général de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) déclarait en septembre 2022 à l’agence APS que l’office était chargé de fournir aux agriculteurs les engrais et toutes les semences nécessaires, notamment celles de lentilles et de pois chiches.

Le plan de relance adopté prévoit la culture de légumes secs sur 150.000 hectares, contre 10.000 hectares en 2016, de quoi répondre à la demande locale.

Les lentilles, les pois chiches et les haricots sont des produits de large consommation en Algérie qui a décidé de réduire ses importations dans le cadre de sa politique visant à assurer sa sécurité alimentaire.

Légumes secs : pourquoi l’Algérie veut réaliser l’autosuffisance

L’enjeu n’est pas uniquement financier, mais il est aussi lié à la sécurité alimentaire du pays pour des produits classés comme stratégiques, au même titre que les céréales, le sucre, l’huile de table ou le lait.

À cela, s’ajoute la qualité nutritive des légumineuses qui représentent une bonne source bon marché de protéines, notamment pour les faibles revenus.

Les lentilles, les pois chiches et les haricots font partie des aliments santé qu’il faut consommer régulièrement. Selon la FAO, les légumineuses sont riches en nutriments et présentent au moins cinq avantages : une longue durée de conservation, naturellement sans gluten, améliorent la fertilité des sols par la fixation de l’azote, une faible empreinte hydrique et pauvres en graisses et en sodium.

Contrairement aux céréales, les plants de pois chiches et de lentilles sont de petite taille, ce qui présente des inconvénients en cas de présence de cailloux et de mauvaises herbes.

Si le désherbage est mal assuré, à la récolte, on trouve plus de mauvaises herbes que de pois chiches, quant aux cailloux, ils peuvent endommager la barre de coupe des engins de récolte. Aussi, cultiver des légumes secs peut représenter un pari.

Cependant, à la vue du déroulement de la campagne agricole en cours sur le terrain, tout laisse à penser que l’autosuffisance en légumes secs est proche pour l’Algérie.

Fin janvier, les équipes de la Télévision algérienne ont produit un reportage particulièrement instructif, notamment dans l’Est du pays. Décryptage.

À Constantine, des centaines d’hectares de légumes secs

Dans la commune d’Ouled Rahmoune (Constantine), sur ses 1.400 hectares, la ferme pilote Bouaoune Rabah a semé 400 ha de pois chiches et 300 ha de lentilles.

Abderrahmane Bentrifa, l’ingénieur gestionnaire, confie : « On suit scrupuleusement l’itinéraire technique, on a ainsi épandu l’engrais de fond et on a réalisé le désherbage ».

Fièrement, il ajoute qu’en matière de blé : « Avec 50 quintaux, on se situe parmi les meilleurs rendements de l’Est et de Constantine ».

À proximité, avec plus de 1.600 hectares, la ferme pilote Bouchaaba Ahmed est une des plus grandes fermes pilotes de la société de production de semences Sodisem. Son gestionnaire Ibrahim Latreche indique des semis sur 220 hectares de lentilles et 180 hectares de pois chiches.

Le gestionnaire déclare confiant : « On a atteint un rendement de 20 quintaux de pois chiches les années précédentes ».

Si les semis de décembre procurent les meilleurs rendements, ils exposent les pois chiches à l’anthracnose. Une maladie qui constitue un véritable fléau en cas de printemps humide. Les variétés résistantes deviennent sensibles au bout de quelques années du fait des mutations d’un champignon parasite.

Dans les deux exploitations, le terrain est vallonné, les champs rectangulaires s’étirent jusqu’en haut des collines. Sur ces terres en pente, il manque la culture selon les courbes de niveau, indispensable pour réduire l’érosion.

Un agriculteur privé confie : « Les gens commencent à revenir vers les légumes secs ». Si la culture est d’un bon rapport et a la particularité de laisser de l’azote dans le sol comme toute légumineuse, elle ne laisse pas de paille comme le blé, un produit très recherché par les éleveurs.

Il ajoute être confiant cette année, bien que « depuis 3 ans, j’en cultive, mais les rendements sont très moyens ». Ses parcelles présentent des cailloux, une situation défavorable pour la culture des légumes secs.

À son tour, l’agriculteur Mostefa Debbah, un agriculteur unanimement reconnu par ses pairs pour son savoir-faire, témoigne de ses pratiques : « Depuis les années 90, je fais des légumes secs en rotation avec les céréales. J’en tire un bénéfice, car cette culture laisse de l’azote dans le sol. Il est utilisé par le blé semé l’année suivante ».

En professionnel averti, il ajoute : « Un autre intérêt est que la culture de légumes secs permet de se débarrasser des mauvaises herbes présentes dans les terres à blé. Puis l’Office algérien des céréales (OAIC) a augmenté les prix d’achat ».

Autre avantage de la culture des légumes secs, les semis sont réalisés après ceux du blé, ce qui évite les pointes de chantier de l’automne.

À la Cassap de Constantine, son directeur, Slimani Awani est confiant.

« On peut développer ces cultures jusqu’à 10.000 hectares. Certains agriculteurs ont une grande expérience et il existe plusieurs opérateurs », explique-t-il.

Aux côtés de la Coopérative de céréales et de légumes secs (CCLS) et la Cassap, l’entreprise privée Axium encourage depuis plusieurs années la culture de la lentille à travers des contrats avec les producteurs. Un produit qu’elle commercialise sous sa marque phare Kenzy.

À Annaba et Tarf, la CCLS en appui aux agriculteurs

À la CCLS d’Annaba, l’usinage des semences certifiées va bon train. Des installations sortent, des pois chiches qui sont triés selon leur taille et enrobés d’un colorant rouge contenant un fongicide.

Amar Mazati, le responsable chargé des semences, confie : « On a délivré des semences certifiées en quantité et qualité dès le 1ᵉʳ décembre, de même qu’engrais et produits phytosanitaires ».

Il précise que la CCLS assure un appui technique aux agriculteurs. Ainsi, recommande-t-il, la pratique du roulage pour s’affranchir des cailloux et de l’emploi d’herbicides, seuls moyens de garantir une bonne moisson.

Une récolte qui doit être commencée dès que « 50 % à 60 % des champs de lentilles passent au jaune, afin d’éviter les pertes », précise-t-il. Enfin, il ajoute « quant aux pois chiches, la récolte peut être réalisée fin juin-début juillet ».

Signe d’une bonne organisation, quand l’agriculteur Rabah Belaidi passe à la CCLS pour prendre son quota d’herbicide et de fongicide pour ces 20 hectares de pois chiches, ils lui sont immédiatement délivrés en tant qu’agriculteur adhérant au programme de relance.

L’absence d’un seul de ces produits aurait pu être fatale à sa culture. Ce professionnel expérimenté qui cultive également 50 hectares de céréales en production de semences se déclare confiant, car « les pluies ont été au rendez-vous après la pulvérisation de l’herbicide de post-semis ».

Un herbicide appliqué à même le sol avant que les plantes émergent et dont l’efficacité dépend de l’humidité du sol.

Plusieurs tracteurs à 4 roues motrices et à cabine sont alignés dans la cour de la CCLS, de même qu’un camion atelier. Le jeune responsable du matériel, Bilal Barahal, indique qu’il s’agit de tracteurs de 150 et de 280 CV. En vue des récoltes de juin, des ouvriers s’affairent à l’entretien de moissonneuses-batteuses en partie démontées pour l’occasion.

Amar Saadi, le président de la Chambre d’agriculture de Annaba se félicite des 860 hectares semés en légumes secs et de la disponibilité en semences.

Présente à proximité d’un train déchargeant engrais et semences, Amira Chenaze Ziadi, la directrice des services agricoles d’Annaba, décline les modalités du programme local de relance des légumes secs : « Nous organisons des journées d’information et assurons la disponibilité en semences engrais, intrants divers et appui technique aux agriculteurs inscrits dans ce programme. Et les surfaces sont en augmentation ».

À Dréan, dans la wilaya de Tarf, un agriculteur témoigne avoir cultivé 80 hectares et se réjouit de la disponibilité en engrais, semences et phytosanitaires nécessaires aux légumes secs. Il confie avoir déjà atteint des rendements de 32 quintaux. Un voisin confirme : « Sur ces bonnes terres, avec l’engrais 15-15 le pois-chiche donne de bons résultats ».

Mohamed Chemseddine Ziari, de la CCLS d’Annaba confirme la disponibilité en tout type de semences, engrais et phytosanitaires. Comme à Constantine, il indique que la coopérative assure un suivi des agriculteurs par le biais de sorties sur les parcelles, et cela, jusqu’à la récolte.

À proximité du parc matériel, l’atelier d’ensachage ne chôme pas. L’ensachageuse délivre des sachets de pois chiches d’un kilo provenant de la récolte locale 2024. Le sachet affiche la marque « Diwan Annabi » et à côté la mention « produit national » ainsi que l’emblème national. Des sachets mis ensuite dans des cartons au logo de l’OAIC.

Yacine Thuil confie que « la CCLS Annaba dispose de 2 lignes d’ensachage qui permet d’approvisionner les grossistes, les universités et les points de ventes de la coopérative. Nous avons collecté une grande quantité de pois chiches de bonne qualité la saison passée. À raison de 150 DA/kg, les prix sont accessibles à tous ».

Les agriculteurs engagés dans la culture de légumes secs sont en passe de réaliser le pari d’une autosuffisance. Nombreux sont ceux qui disposent du savoir-faire et de l’appui technique des CCLS. Reste la récolte.

Comme l’indique Amar Mazati, il faudra récolter les lentilles dès que les champs commencent à virer au jaune et pour cela disposer à temps du matériel de récolte.

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