L’Algérie a signé mercredi 24 avril un accord historique et stratégique avec le Qatar pour l’élevage bovin et la production de lait en poudre dans le désert algérien. Le projet est confié au géant qatari des produits laitiers Baladna en partenariat avec le Fonds national de l’investissement (FNI), bras financier de l’État algérien.
L’accord a été signé lors d’une cérémonie à l’hôtel Aurassi d’Alger par la directrice générale de l’investissement agricole et du foncier au ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Souad Assous, et le président du Conseil d’administration de Baladna, Mohamad Moutaz Al-Khayyat.
Six ministres et l’ambassadeur du Qatar ont assisté à cette signature, ce qui démontre l’intérêt stratégique qu’accorde l’Algérie à ce projet hors normes, et ce pour plusieurs raisons.
Projet du Qatari Baladna en Algérie : en quoi consiste-t-il ?
Selon le ministère de l’Agriculture, l’accord-cadre signé avec Baladna consiste en la « réalisation d’un projet structurant consistant à la création de fermes d’élevage intégrées de vaches laitières et de la production de lait en poudre » pour un investissement de 3,5 milliards de dollars. Une société sera créée entre Baladna et le FNI. Le premier détiendra 51% et le second 49% du projet, selon l’ambassade du Qatar en Algérie.
Avec la ferme géante Baladna, l’Algérie ambitionne de maîtriser un secteur du lait qui dépend largement des importations. Produit de large consommation en Algérie, le lait présente l’un des postes importants dans la facture des importations algériennes de produits alimentaires. En 2021, l’Algérie a importé pour 600 millions de dollars de poudre de lait.
La forte dépendance du pays vis-à-vis des importations de ce produit de large consommation a poussé les autorités à lancer un vaste projet pour produire localement la poudre de lait. Dans ce contexte, des discussions ont été entamées avec le géant qatari Baladna qui a une expérience avérée dans le domaine des fermes géantes. L’histoire de cette société est directement liée à la crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe.
Baladna est née en 2017, à la suite du blocus imposé au Qatar par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte, pour subvenir aux besoins du petit et riche émirat gazier en lait qui était fourni par son voisin et rival saoudien.
Rapidement, Baladna, avec le soutien de l’État qatari a mis en place une ferme de 24 hectares dans le désert à 60 km de Doha, abritant quelque 24 000 vaches, dans un pays où l’eau est une denrée rare.
Au Qatar, la pluviométrie est inférieure à 100 millilitres par an et les températures avoisinent les 45 degrés en été. Pour les fourrages dont la production nécessite d’importantes quantités d’eau, ils sont importés d’Asie et d’Afrique où la société possède des concessions agricoles.
En Algérie qui fait face à une sécheresse endémique, tout en disposant d’immenses réserves d’eau dans le Sahara mais qui sont faiblement renouvelables, le projet de Baladna est beaucoup plus démesuré.
Il s’agit de la création de plusieurs pôles, avec à terme 270.000 vaches pour produire 1,7 milliard de litres de lait par an, selon les chiffres du géant qatari qui ne précise pas les étapes de son projet intégré en Algérie qui ambitionne de couvrir 50 % de sa demande en poudre de lait, de produire de la viande bovine, du fourrage, de créer des emplois dans le sud.
Le lancement du projet d’une ferme géante en Algérie est presque identique à celui du Qatar à la fin des années 2010.
Même si l’Algérie n’a subi aucun blocus similaire à celui qui a touché le Qatar, mais la crise ukrainienne et la baisse de ses recettes en devises après la chute des prix du pétrole en 2014 puis en 2020 où les exportations de pétrole ont baissé de 40 % à seulement 23,8 milliards de dollars ont fait revenir la question de la sécurité alimentaire au premier plan des préoccupations au plus haut niveau de décision de l’État.
C’est aussi une question de sécurité nationale quand on connaît l’importance du lait qui est un produit de large consommation en Algérie qui ambitionne aussi de cultiver dans le sud les graines oléagineuses pour ses usines de trituration de l’huile de table, de produire du blé dur pour couvrir ses besoins, de la betterave sucrière pour réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger…
Algérie – Qatar : pourquoi le projet Baladna est stratégique ?
En 2022, des tensions sur l’approvisionnement en poudre de lait en Algérie, nées en raison des restrictions sur les importations qui ont été décidées par les autorités pour préserver les réserves de change après la crise pétrolière de 2020 et encourager la production nationale, ont forcé les usines Tchin Lait (Candia) et Soummam à des arrêts périodiques.
La situation est ensuite revenue à la normale, mais la menace ne s’est pas dissipée notamment pour Tchin Lait et Soummam dont le modèle économique est basé sur la production de produits laitiers sur la base de la poudre de lait importée, d’autant que le lait en sachet est un produit de large consommation en Algérie et bénéficie du soutien de l’État.
Ce produit connaît de temps en temps des tensions dans la distribution qui ont conduit le gouvernement à appliquer la loi sur la spéculation qui prévoit des peines sévères contre les spéculateurs afin de stabiliser le marché.
Les autorités ont également décidé d’interdire l’utilisation du lait en sachet, dont le prix est fixé administrativement à 25 dinars, dans les cafés et les restaurants, pour le réserver uniquement aux ménages.
Toutefois, comme dans le domaine des rails avec la construction d’un chemin de fer dans le désert entre Tindouf et Béchar pour transporter le minerai de fer du gisement géant de Gara Djebilet, produire du lait dans le Sahara n’est pas chose aisée, en raison des défis qui se présentent à l’Algérie, notamment en matières de gestion des eaux de la nappe de l’Albien, qui est la plus grande au monde et du transport.
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