Avec les premiers arrivages de moutons roumains en Algérie, chacun s’interroge sur les prix de ces animaux.
C’est le cas de Mustapha Zebdi, le président de l’Association algérienne de protection et d’orientation du consommateur (APOCE) qui s’est étonné que leur prix soit inférieur à 50 000 DA (40.000 dinars exactement) malgré un long voyage en mer alors que le prix moyen du mouton local atteint 100 000 DA.
L’explication est à rechercher entre sécheresse, faiblesse de la filière ovine locale et absence de concurrence du fait de la protection des barrières douanières.
Un mouton importé de Roumanie à 40.000 DA, le choc des prix
Un questionnement d’autant plus important qu’en 2024, la Cour des Comptes faisait observer que la filière des viandes rouges en Algérie est « classée la première en termes de chiffre d’affaires réalisé par rapport aux autres filières du secteur agricole. En 2021, elle a réalisé un chiffre d’affaires de près de 700 milliards de dinars (à raison de 1.300 DA/KG), ce qui équivaut à près de 5 milliards de dollars ».
Signe de l’importance des barrières douanières, l’importation de moutons a entraîné la décrue des prix enregistrés ces dernières semaines sur les marchés aux bestiaux en Algérie.
A Hassi Bahbah, un éleveur déclarait récemment sur un marché aux bestiaux que les bêtes qui valaient 100.000 DA ne valent plus que 70.000 DA.
Le président Abdelmadjid Tebboune s’est étonné des prix atteints par les moutons en Algérie. « On ne peut pas vendre un mouton à 17 millions de centimes (170.000 DA) », a-t-il estimé dans un entretien à des médias algériens diffusé samedi 22 mars sur la Télévision algérienne.
Pourquoi le mouton algérien coûte cher ?
Des prix qu’a dénoncés en juin 2023 Lamine Derradji, alors directeur général de l’Algérienne des viandes rouges (Alviar) : « Cette année, il y a eu une inflation au niveau des prix plus que celle qu’on a connue depuis 2020, ce n’est pas normal ni logique d’ailleurs. »
En bon connaisseur du dossier, il avait alors énuméré le coût d’engraissement d’un mouton : « Le repas quotidien d’un mouton ne dépasse pas 100 DA. Après dix mois d’engraissement, le coût d’un mouton doit être entre 45.000 DA et 60.000 DA. Seulement, ces moutons de 60.000 DA sont vendus entre 100.000 et 120.000 DA.»
Il avait également dénoncé les nombreux intermédiaires : « À cause des intermédiaires, le prix augmente de 15.000 DA en une journée.» Lamine Derradji avait ainsi précisé : « Un mouton de 50 kilos à peu près est vendu par l’éleveur entre 40.000 et 50.000 DA. Seulement, ce qu’il faut savoir, c’est qu’il peut être aussi vendu deux ou trois fois durant la même journée par les intermédiaires, son prix augmente de 10.000 à 15.000 DA. »
Filière ovine en Algérie : sécheresse, désorganisation et informel
L’indisponibilité des fourrages pèse lourdement sur la trésorerie des élevages. Lorsqu’il pleut comme actuellement, les parcours steppiques reverdissent et les éleveurs bénéficient d’une alimentation pratiquement gratuite. Cependant, la rareté des pluies de ces dernières années a mis à mal la trésorerie des éleveurs obligés de recourir à des achats de paille, foin, orge et de son.
Le son de blé cristallise le mécontentement des éleveurs du fait de la spéculation pratiquée par des minoteries. En mars 2022, le quotidien LNR relatait que certaines d’entre elles établissent des factures correspondant à 1 700 DA le quintal alors qu’elles le vendent en réalité à 3 500 DA.
En 2024, l’analyste financier Chabane Assad, du cabinet Finabi faisait remarquer que « l’engineering fiscal actuel encourage les fellahs non structurés et décourage les investissements structurés dont des personnes morales ». L’analyste énumérait alors les conséquences macroéconomiques jugées significatives.
D’abord d’importantes pertes fiscales : « Sur les 700 milliards de dinars, le coût fiscal est marginal. Le préjudice financier subi par le Trésor public est estimé à 100 milliards de dinars ».
Venait ensuite la précarité de l’emploi dans la filière : « Les salariés (les bergers) du secteur ne sont pas assurés. Ce qui génère une précarité de l’emploi ».
« Les 700 milliards de dinars de cash alimentent la sphère informelle. Plus de 9 % de la monnaie est en circulation », a-t-il dénoncé.
Enfin, Chabane Assad conclut sur la spéculation : « Aucune traçabilité du coût de revient de la tête (absence de comptabilité analytique), car ces fellahs ne sont pas soumis à une comptabilité. La conséquence directe est une spéculation sur les prix, car il n’y a aucun référentiel de contrôle et l’offre est limitée. »
En 2010, dans le livre « La Mitidja 20 ans après » l’ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou se demandait si les bénéfices tirés de l’activité agricole étaient réinvestis dans ce secteur.
Le mouton roumain dopé aux subventions européennes
Il existe une forte tradition d’élevage du mouton en Roumanie. Mais, de façon étonnante, il ne s’agit pas de la viande préférée des consommateurs roumains.
L’organisme public Team France-export relève que dans ce pays de l’Europe de l’Est, la consommation de viande en kilo par habitant en 2023 s’établissait comme suit : « viande porcine : 37 ; viande de volaille : 28,2 ; viande bovine : 5,1 ; viande ovine : 2,5. » Ce qui laisse des marges importantes pour l’exportation de viande de mouton.
L’explication de ce paradoxe réside dans l’existence d’une superficie forestière particulièrement étendue. Ce sont ces forêts qui permettent un élevage extensif, seul moyen d’exploiter ces zones le plus souvent accidentées. À cela est venu s’ajouter un élevage intensif en plaine. Un type d’élevage aujourd’hui largement dopé par les subventions européennes liées à la Politique agricole Commune (PAC).
En outre, la Roumanie bénéficie d’excellentes écoles vétérinaires ; en témoignent les enseignants roumains dépêchés en Algérie au milieu des années 1970.
Une récente publication du ministère français de l’Agriculture fait état des subventions européennes : « Les élevages ovins et caprins, historiquement développés, font l’objet d’un fort soutien national, via les aides du 1er pilier de la PAC » à cela s’ajoutent « les aides transitoires nationales dont bénéficient plusieurs pays de l’Est de l’Europe dans le cadre de la PAC. »
Ainsi, entre 2021 et 2027 l’agriculture roumaine devrait recevoir au total 21,3 milliards d’euros après en avoir reçu 13,5 milliards d’euros de 2014 à 2020.
Et quand en 2023, ce pays a connu une sécheresse, les éleveurs ont reçu 48 millions d’euros.
Aujourd’hui la Roumanie est devenue le 3ème pays exportateur de moutons en Europe.
Sécheresse, faiblesse des organisations professionnelles, protections douanières ; autant de facteurs qui concourent à la faible compétitivité de la filière ovine en Algérie. Et autant de défis à relever pour arriver à une baisse des prix.
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