Société

Algérie : trois mesures clés pour contrer l’invasion de criquets pèlerins

Les incursions de criquets pèlerins dans le sud de l’Algérie sont prises très au sérieux par les pouvoirs publics.

Dimanche, lors du Conseil des ministres, le président de la République Abdelmadjid Tebboune a pris trois mesures clés pour contrer l’invasion de criquets pèlerins qui menacent l’agriculture saharienne sur laquelle l’Algérie mise pour assurer sa sécurité alimentaire.

D’abord, il a « ordonné de prendre toutes les dispositions » et « mesures de précaution et de vigilance extrême, sans relâche, en vue de faire face aux essaims de criquets aux portes des frontières de manière anticipative, pour les éradiquer et empêcher leur avancée ».

Le président Tebboune a demandé la tenue d’une « réunion préparatoire et de coordination dans une wilaya du Sud pilote pour aboutir à un plan efficace, en s’appuyant sur les expertises des spécialistes du Sud ».

Troisièmement, il a demandé de « coordonner étroitement avec le ministère de la Défense nationale dans toutes les étapes du plan de lutte ».

Lutte antiacridienne en Algérie : Tebboune prend trois mesures

L’apparition des essaims de criquets pèlerins dans le sud du pays avait justifié à la mi-mars une réunion de la Commission intersectorielle de lutte contre le criquet présidée par le ministre de l’Agriculture et du Développement rural avec comme priorité la protection des cultures liées à l’agriculture saharienne.

Les attaques de criquets sont anciennes en Algérie où chacun se souvient de cette expression des aînés « aâm djard », l’année des criquets, qui est synonyme de période difficile en raison des dégâts que provoquent ces insectes à l’agriculture et aux récoltes.

La dernière grande incursion de criquets pèlerins en Algérie remonte à 2004 où ces insectes sont arrivés jusqu’au nord du pays. À l’époque, les services concernés avaient mobilisé d’importants moyens pour la lutte.

Samedi, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a déclaré que la situation acridienne en Algérie était « parfaitement maîtrisée » et que la surveillance concernait notamment la région d’In Guezzam, proche de la frontière avec le Niger.

« À titre préventif, 23.000 hectares ont été traités, et huit équipes sont actuellement déployées sur le terrain dans le sud du pays », a rapporté l’agence APS.

C’est le 18 mars que le niveau d’alerte a été rehaussé dans 14 wilayas par le réseau de surveillance de l’Institut national de la protection des végétaux (INPV).

Des criquets ont été signalés à la frontière algéro-libyenne et en Tunisie où de premières pulvérisations aériennes de produits antiacridiens ont été réalisées. Une opération qui a permis de « réduire la propagation de petits groupes de criquets, les empêchant de se développer en gros essaims », selon la presse tunisienne.

Des essaims, provenant de l’est du pays par la frontière algéro- libyenne ont déjà été signalés en Algérie notamment dans la wilaya de Ouargla à proximité de Hassi-Messaoud.

À Menéa, les autorités de wilaya ont mis en place une cellule de crise « chargée du suivi du développement de la situation acridienne », selon El Moudjahid. Un plan de lutte est prêt, avec la constitution de réserves de pesticides et de matériel d’aspersion. L’idée est de combattre les premiers essaims notamment « au niveau de leurs gîtes de reproduction ».

Le criquet pèlerin finement étudié en Algérie

Schistocerca gregaria, le criquet pèlerin a été finement étudié à l’École nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach (Alger).

Sa durée moyenne de vie est de 3 à 5 mois et les femelles peuvent pondre 300 à 400 œufs. Seuls les adultes adoptent un comportement grégaire et s’envolent sous forme d’essaims volants qui peuvent réunir plusieurs millions d’individus.

Leur déplacement est aidé par les vents et ils peuvent se déplacer de 150 km par jour. Durant le premier mois de leur développement, les plus jeunes individus ne volent pas et forment de véritables tapis au sol. Lorsqu’ils sont repérés à temps, la pulvérisation de produits chimiques permet d’en venir rapidement à bout.

Algérie : criquet pèlerin, une menace sur l’agriculture saharienne

Dès 2014, l’université de Ouargla s’est penchée sur le danger que constitue le criquet pour les cultures. Durant dix mois, les individus présents au niveau des champs de céréales sous pivot ont été capturés et leur régime alimentaire disséqué.

Résultat, ces insectes consomment des plantes appartenant à une grande variété de familles botaniques dont celle appartenant au blé dur.

L’étude a également montré un étrange ballet. Durant l’hiver, les criquets se réfugient à l’abri des palmeraies puis dès le mois d’avril, elles migrent vers les champs de céréales.

Le vrai danger consiste en l’éventuelle arrivée sur ces zones cultivées d’essaims de grande dimension. Actuellement, la récolte de maïs grain est pratiquement achevée tandis que les parcelles de blé sont en pleine croissance. Une attaque de criquets serait doublement pénalisante, d’abord pour les grains soustraits à la consommation puis pour ceux destinés à la production de semences.

Si la production de céréales dans le sud de l’Algérie reste cantonnée à quelques millions de quintaux, elle n’en reste pas moins déterminante pour la production de semences.

Après la sécheresse de 2022 au nord du pays, de nombreuses exploitations n’ont pu re-semer l’année suivante que grâce aux semences produites au sud.

La production de lait de la wilaya de Ghardaïa pourrait être également menacée à travers la production de maïs fourrage si des gîtes de reproduction de criquets venaient à s’installer dans la région.

Une hypothèse à priori peu probable lorsque des mesures préventives sont prises selon différents experts.

Criquets pèlerins : la FAO donne la priorité à la prévention

C‘est ce que confirme Dominique Burgeon, le directeur de la division des urgences et de la résilience à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture à propos du criquet pèlerin : « Lorsque certaines conditions climatiques surviennent, notamment de l’humidité, il adopte un comportement grégaire et sa reproduction s’emballe : le nombre de criquets est multiplié par 20 à la première génération, puis par 400 à la seconde (trois mois plus tard), puis par 8 000 au bout de six mois et ainsi de suite… »

Un emballement possible lorsque la lutte antiacridienne est défaillante. La spécificité de la lutte contre les criquets repose sur la détection rapide des regroupements de criquets, de leurs gîtes de reproduction et des jeunes individus encore incapables de voler.

Pour Manel Ben Chouikha de l’université de Gabès (Tunisie), « l’ampleur des dévastations enregistrées en 2020 dans la Corne de l’Afrique est liée à l’insécurité et l’instabilité qui interdisent l’accès à de nombreuses régions pour la surveillance acridienne, notamment du fait de conflits armés (Nouvelle fenêtre), et accroissent les risques d’invasion ».

Dominique Burgeon en est convaincu : « Plus on agit tôt, moins on a de surfaces à traiter et mieux on peut gérer la situation sans recours à l’aide internationale » déclarait-il en 2020 à France-Inter.

Selon ce spécialiste de la FAO, c’est le cas de l’invasion de criquets en 2003-2005 au Sahel : « la mobilisation a pris trop de temps. Notre premier appel de fonds portait sur un million de dollars. Comme la réponse a tardé, il a fallu beaucoup plus de fonds pour parvenir à endiguer le fléau ».

Algérie, utilisation d’images satellitaires pour lutter contre le criquet

Le 19 mars le média Tunisienumérique indique qu’en Tunisie, la situation était « sous contrôle » et a fait état de l’évolution du nombre de criquets en Libye, où « depuis octobre 2024, leur nombre s’est multiplié au-delà de la moyenne ».

Dans le gouvernorat de Tataouine, ce sont plusieurs centaines d’hectares qui ont été traités par des moyens terrestres ou aériens par la Société nationale de protection des végétaux à l’aide d’un hélicoptère.

À la tombée de la nuit ou tôt le matin, des pulvérisations sont effectuées. L’objectif est de réaliser les traitements avant que les criquets n’aient quitté les lieux à la faveur des premiers rayons de soleil.

En Algérie, l’organisation de la lutte antiacridienne est confiée au Comité interministériel de lutte antiacridienne (CILA) qui regroupe les représentants de différents ministères.

C’est à l’INPV que revient les opérations de surveillance en période de rémission et d’élaborer et coordonner en période d’invasion la mise en œuvre et l’exécution des programmes de lutte.

Les opérations de lutte sont gérées par un Poste de commandement central (PCC) qui dispose de différentes cellules dont celles relatives à la logistique et à la météorologie.

Depuis 2003, l’Agence spatiale algérienne ASAL collabore avec l’INPV pour lutter contre les criquets. Les images satellitaires permettant la localisation des zones où la photosynthèse est active.

Un paramètre qui permet d’estimer le lieu d’attaque éventuelle des criquets. « Grâce à l’imagerie satellite, nous avons pu maîtriser l’invasion acridienne en Algérie » a déclaré Hamid Bensaâd, secrétaire général du ministère de l’Agriculture et du Développement rural en février 2025.

Une expérience que l’Algérie a fait bénéficier les pays de la région, en leur permettant de bénéficier de ce système d’alerte précoce.

À travers la Commission de lutte antiacridienne en zone occidentale (CLCPRO) à laquelle l’Algérie est adhérente, une coordination est possible entre les pays de la région.

En février, l’ASAL et la CLCPRO ont signé un accord de coopération visant à « renforcer les capacités de surveillance et de gestion préventive du criquet pèlerin grâce aux technologies spatiales », selon l’agence APS.

Aujourd’hui l’Algérie est armée pour faire face aux invasions acridiennes. « Aâm djard » des anciens pourrait n’être plus qu’un lointain souvenir de l’époque coloniale.

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