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Arrêt de la CJUE : « Les adversaires du Polisario ont deux genoux à terre »

Arrêt de la CJUE : « Les adversaires du Polisario ont deux genoux à terre »

Par NATALIA / Adobe Stock
Drapeau du Sahara occidental

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu vendredi 4 octobre 2024 une décision historique invalidant notamment les accords agricole et de pêche entre l’Union européenne et le Maroc.

Giles Devers, avocat du front Polisario, qui est à l’origine de la procédure, détaille dans cet entretien à TSA les retombées politiques et économiques, immédiates et à terme, de cette décision qu’il qualifie de "décisive et fondamentale".

Les adversaires européens du front Polisario n’ont plus maintenant "un seul genou à terre, mais les deux", estime-t-il.

L’avocat exprime une grande détermination à faire respecter ces décisions de justice et promet d’ores et déjà un "feux de procédures« contre les instances européennes dans le cas où celles-ci auraient recours à la stratégie du contournement. »Toute échappatoire est impossible", assure-t-il.

En quoi la dernière décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est-elle importante pour la cause sahraouie ? 

Elle n’est pas seulement importante, elle est décisive est fondamentale. C’est une décision qui arrive après une série de décisions de justice victorieuses, en 2016, 2018, 2021 et maintenant 2024, c’est donc une construction, comme on construit un mur, d’autant plus solide.

La Cour a tranché deux questions qui sont pour nous essentielles. La première c’est que le Front Polisario est un sujet du droit international, représentant du peuple sahraoui et qui a la capacité de plaider en droit européen et devant toutes les juridictions européennes, ce que nous ne pouvions pas faire jusqu’à maintenant.

La deuxième chose c’est qu’il faut pour toute activité économique d’une entreprise européenne sur le territoire du Sahara occidental, le consentement du Front Polisario.

Donc il n’y a pas une seule entreprise européenne ou à capital européen, ou qui reçoit des fonds européens ou qui est mêlée d’une manière ou d’une autre à l’Europe, qui a la possibilité d’exercer une activité économique sur le territoire du Sahara occidental ou dans les eaux adjacentes sans le consentement et l’autorisation du Front Polisario.

Les autorisations, les licences, les droits, tout ce que décernait le Maroc n’a plus aucune valeur.

C’est à ces entreprises maintenant de mesurer l’importance de ce qui a été jugé et de trouver un accord avec nous pour le développement du territoire.

Qu’est-ce que vous allez faire maintenant pour la mise en œuvre de la décision ? 

On va laisser quelque temps, mais pas beaucoup, pour que tout le monde prenne connaissance de ces jugements. Il y a trois décisions de justice qui ont été rendues avec un énorme travail d’étude et de rédaction, donc il faut qu’on fasse déjà nous-même une étude approfondie.

Maintenant, on a en face de nous des adversaires qui s’appellent la Commission européenne, le Conseil, c’est-à-dire la réunion des 27 chefs d’État, qui s’appellent la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, qui ont tous essayé de se dresser contre le Front Polisario.

Aujourd’hui, ils n’ont pas un seul genou à terre, ils ont les deux. Maintenant, ils savent que le Front Polisario sait manier l’argument juridique et sait défendre ses droits.

On va faire une petite pause et leur dire : maintenant cette partie se termine par un KO technique. Vous, les plus puissants, vous êtes terrassés par le petit Front Polisario, donc maintenant soit on trouve un accord raisonnable, soit on remet une deuxième couche pour l’exécution forcée de l’arrêt.

On va entrer dans une phase de dialogue avec les grandes administrations européennes, avec les grandes et petites entreprises en leur disant que tout cela c’est fini.

Le Front Polisario ne va pas s’enivrer d’une victoire judiciaire, son rôle ce n’est pas de faire des procès, c’est la libération d’un territoire, donc si on peut éviter de nouveaux procès, on va les éviter. Mais en revanche, il faut qu’il y ait une exécution rigoureuse.

Il faut que les entreprises s’approchent du Front Polisario éventuellement par le biais de leurs avocats, et on va trouver un accord pour le développement de toute l’activité économique, sauf pour l’agriculture qui a fait l’objet d’une citation à part.

C’est une agriculture qui est exclusivement exportatrice, qui n’apporte strictement rien, qui a ruiné des eaux souterraines profondes non renouvelables et qui met en concurrence très déloyale les agriculteurs du sud de l’Europe.

La CJUE de justice européenne a justement rendu un autre arrêt rendant obligatoire la mention "Sahara occidental" sur les tomates et melons produits sur ce territoire. Le Maroc pourra-t-il accepter de l’appliquer ? 

Les deux décisions principales sont à l’initiative du Front Polisario sur l’agriculture et la pêche avec des principes qui posent sur toute l’économie, y compris le phosphate, les avions qui décollent, les compagnies d’assurance…

Il y a une troisième procédure qui a été jugée en même temps mais qui est indépendante, elle est à l’initiative du grand syndicat agricole français la Confédération paysanne.

Ce sont des gens formidables qui sont avec nous depuis le premier jour. Eux, ils agissent sur le problème immédiat des agriculteurs, c’est-à-dire la concurrence déloyale.

Le minimum quand vous achetez un produit agricole, c’est d’en connaître l’origine. Cet étiquetage qui est imposé, et qui va devoir lutter contre les fraudes avec les camions qui arrivent et les étiquettes posées à Agadir, va s’appliquer dès demain.

Ce n’est pas une option, c’est une condition de vente. Donc Azura (groupe agricole franco-marocain spécialisé dans la tomate, ndlr) a 24 heures pour mettre les étiquettes.

Pour eux, ce sera immédiat.  On va faire des contrôles et il y aura un blocage de toutes les importations si la décision n’est pas respectée.

La décision à un effet symbolique. Évidemment, on ne sait pas battu pour des étiquettes. On est très attachés à montrer que les décisions de justice sont très efficaces.

Parce que vous avez une musique qui se joue actuellement et qui est extrêmement forte y compris pour la Palestine, disant que le droit international ça ne sert à rien, il faut laisser tomber, il faut faire du commerce etc.

Les États-Unis veulent un monde dirigé uniquement par l’argent et les armes et les peuples opprimés s’opposent en disant qu’il y a l’argument du droit. Avec ces nouveaux jugements, on va comprendre que le droit est efficace.

Il faut savoir qu’il n’y a plus de pêche dans les eaux sahraouies grâce à nos actions en justice.

Pour les tomates et les melons, l’étiquetage sera marqué "Sahara occidental" et rien d’autre, ou toutes les cargaisons seront saisies à l’arrivée avec une plainte pénale contre les dirigeants d’Azura.

Donc pendant le délai de 12 mois accordé par la CJUE concernant les accords agricole et de pêche, vous allez discuter ?

On va discuter de tout ce qui peut permettre le développement du territoire, avec le Conseil européen, la Commission européenne, les grandes entreprises, mais le but il est clair maintenant, c’est la libération du territoire, c’est-à-dire d’éjecter tout ce qui est en place pour financer la colonisation, toutes ces grandes entreprises.

Sur ce plan-là, la ligne est très claire, on a reçu des consignes strictes du président (Sahraoui, NDR) Ghali et vous pouvez être sûr que je vais les mettre en œuvre de manière implacable.

On va le faire par le dialogue premièrement, par contre, pour ce qui est d’Azura et ses étiquettes, c’est demain.

On peut déjà annoncer à Azura qu’ils vont avoir un gros procès écologique qui va leur coûter très cher, vu que cela fait 10 ans que nous leur disons qu’ils sont en train de ruiner les eaux profondes et non renouvelables qui sont le trésor des Sahraouis.

La décision est-elle aussi applicable aux compagnies aériennes qui desservent le Sahara occidental ?

Elle est absolument applicable. On va commencer par Transavia. C’est une entreprise française et donc elle ne peut avoir d’activité sur le territoire du Sahara occidental, dit la justice, qu’avec l’accord du Front Polisario.

Si elle veut décoller ou atterrir, on n’y est pas opposés formellement, par contre, il faut passer par nous, il faut qu’on étudie les conditions, il faut qu’ils nous payent nous.

S’ils ne veulent pas nous payer, on est prêts à faire en sorte que l’argent aille sur une caisse neutre qui soit gérée par l’ONU, histoire de dire qu’on ne le fait pas pour le gain financier.

Mais il n’est pas envisageable que Transavia continue à recevoir des autorisations marocaines pour atterrir sur un sol qui n’a rien de marocain.

La Cour a bien fait référence à la souveraineté du peuple. Ça a été toléré, on ne pouvait pas agir parce qu’on n’avait pas la recevabilité du Front Polisario, maintenant on l’a et on peut démarrer demain un procès à Évry.

On n’est pas grisés par la victoire judiciaire. On a obtenu comme un gros socle, qui nous donne une boîte d’outils qui nous permettent de tout faire jusqu’à la libération du territoire.

On souhaite qu’il y ait des compagnies aériennes, des compagnies d’assurance, des banques, des grandes firmes qui viennent investir dans l’énergie, simplement on leur dit : vous aviez un modèle où vous demandiez les autorisations à une mauvaise personne qui n’a pas la qualité. Les décisions de justice sont là, maintenant on cherche à trouver un accord avec tout le monde.

L’Europe pourra-t-elle passer outre les décisions de sa propre justice, comme le lui demande le Maroc ? 

Elle l’a déjà fait par le passé. En 2016, nous avions déjà gagné vu que la Cour a posé le principe qu’il y a deux territoires distincts et séparés, que personne ne peut dire quels sont les bénéfices pour le peuple sahraoui, à part le peuple sahraoui qui l’examine en tant que souverain, et que le consentement passe par le Front Polisario. Tout cela est clair mais ils ont mis des contournements et des illégalités.

Maintenant, il est parfaitement clair que, vis-à-vis du Conseil et de la Commission, qui sont les patrons de l’Europe, nous allons engager un recours en responsabilité, parce que, sciemment, ces instances européennes ont voulu briser le peuple sahraoui.

C’est un peuple pacifique, c’est un peuple qui agit par le droit, il n’a jamais commis le début d’un centième d’attentat quelque part, il n’a jamais causé le moindre dommage à personne.

Il dit simplement j’ai une résolution de l’ONU et je veux un référendum d’autodétermination. Il est écrasé, laminé, réduit à la misère et il s’en sort de manière magnifique par ses propres efforts.

Ça, c’est la responsabilité du Conseil et de la Commission qui le font sciemment,  dans un seul but qui est de défendre leurs intérêts en facilitant la relation avec le Maroc.

Quand des organes comme ceux-là, qui sont surpuissants, surdotés en services, qui sont avisés par toutes nos mises en demeure depuis le premier jour, et malgré tout ils passent outre les décisions de 2016 et de 2018, oui il y a le terrain pour faire un recours en responsabilité pour tout ce qui a été volé au Sahraouis, c’est-à-dire la valeur elle-même des richesses et puis le préjudice moral.

Je pense en particulier aux prisonniers politiques qui sont retenus du fait de cette politique européenne.

Donc, il va y avoir un recours extrêmement coûteux que nous allons former contre le Conseil et la Commission et nous verrons s’ils vont plaider jusqu’à terme ou s’il y aura une négociation. Ils vont bien comprendre que la marche en arrière, c’est impossible.

Deuxièmement, ils vont payer pour ce qu’ils ont fait. Il faut rappeler que tout ce qui a été fait l’a été sous l’autorité de Moscovici (Pierre, commissaire européen aux affaires économiques entre 2014 et 2019, actuellement président de la Cour des comptes en France, ndlr).  C’est lui qui a fait monter ce système illégal.

Nous allons faire payer le contribuable européen pour les fautes qui ont été commises et il n’est pas possible de laisser cette spoliation.

La Cour européenne nous donne tous les moyens pour agir.

Ensuite, si par hasard la Commission et le Conseil continuent dans la démarche d’évitement, la vertu du dialogue auquel on appelle, elle prendra fin à la minute même et nous allons leur donner les coups juridiques les plus rudes. Tout échappatoire est impossible.

Les États européens qui appuient le plan d’autonomie marocain pourront-ils continuer à le faire maintenant que la justice européenne a explicitement fait référence à l’autodétermination du peuple sahraoui ? 

Le plan d’autonomie, il explose et il reste simplement un gadget interne pour satisfaire quelque propagande et puis quelques pays qui sont obligés de signer pour avoir les aides au développement. C’est tout ce qu’il reste de ce plan d’autonomie.

Maintenant, même la France elle devra s’aligner. On va suivre de près la visite du président Emmanuel Macron au Maroc (annoncée pour la fin du mois d’octobre, ndlr).

Elle va être sur le thème : vous êtes mon meilleur ami, je fais tout ce que je peux, j’aime le Maroc mais il y a une décision de justice que je suis obligé d’appliquer. C’est-à-dire, ils vont s’abriter derrière cette décision pour dire on ne peut pas faire autrement.

Donc les déchirements vont venir y compris du côté de la France, y compris du côté de l’Espagne. Et si ces deux pays ne jouent pas le jeu à 100 %, nous leur ferons ce qui est nécessaire.

Maintenant nous avons tous les outils pour agir en référé et sur le fond contre tous les États qui agissent en travers du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Ça a assez duré.

C’est une rupture, nous allons vers la libération du peuple, l’indépendance, il faut que tout le monde le comprenne.

Face au blocage au niveau politique, la lutte juridique est-elle donc la solution pour la cause sahraouie ? 

C’est la lutte juridique au service de la lutte politique. La grande qualité avec le peuple sahraoui, c’est qu’on fait le travail juridique et dès le lendemain, le président Ghali est au courant de ce que nous avons fait et donc il donne les ordres et les consignes et s’organise en fonction.

Nous-mêmes on s’adapte c’est ce lien entre le juridique et le politique qui est complètement détonateur. Depuis toujours il y a une seule ligne sahraouie : le peuple sur sa terre et le droit à un référendum.

Sur le plan politique ils vont faire comme s’il n’y avait rien du tout, ils vont faire semblant d’avancer.

Mais je peux vous assurer que si une porte n’est pas ouverte par les instances européennes au Front Polisario pour le considérer comme un représentant étatique, et bien nous allons démarrer un feu de procédures contre l’Union européenne.

 Jusque-là, ils ont perdu toutes les procédures. Ou ils continuent à tout perdre, ou ils acceptent la main tendue qu’on leur donne.

Le Conseil de sécurité ne pourra pas toujours bloquer le jeu, et même s’il veut le faire, il y a une chose à laquelle il ne pourra pas faire face.

Avec ces arrêts qui ont été rendus, nous allons pouvoir ruiner l’économie de la colonisation. Le Maroc ne pourra pas tenir le territoire s’il n’y a pas les investissements européens, les débouchés pour l’accès au marché européen et les fonds que verse l’Union européenne.

Ils peuvent bloquer, ils peuvent recourir à tous les artifices juridiques qu’ils veulent, nous sommes déterminés à ruiner l’économie de la colonisation. La rentabilité du territoire est loin d’être gagnée pour le Maroc.

Il faut qu’ils comprennent aussi que nous avons un autre appui que je peux qualifier d’extrêmement important. C’’est l’avis qui a été rendu le 19 juillet 2024 par la Cour internationale de Justice (CIJ) pour la Palestine, qui dit qu’une occupation militaire durable ne donne aucun droit.

Vous occupez militairement depuis 1975, ça ne vous donne aucun droit. La conclusion de la Cour est que les colons doivent partir immédiatement et sans indemnisation.

Le schéma est parfaitement établi et conforté par cet important avis de la Cour internationale de justice. Une occupation militaire ne change rien au statut du territoire.

Le colon a juste à mettre fin à la colonisation avec le départ immédiat des personnes, sans indemnisation. Il y a des valises à faire et ils laissent le territoire.

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