L’avant-projet de la Loi relative aux partis politiques, soumis actuellement à leur appréciation et qui devrait atterrir bientôt au Parlement pour adoption, n’est pas du goût des partis politiques de l’opposition.
Sollicités par la Présidence de la République pour recueillir leurs propositions, ces formations politiques n’ont pas dissimulé leur inquiétude vis-à-vis du nouveau texte qui met, selon eux, les partis sous la tutelle de l’administration.
« Ce texte marque une régression terrible en termes de pluralité, de liberté d’action et d’organisation des partis », a assuré vendredi, le premier secrétaire du FFS, Youcef Aouchiche.
Youcef Aouchiche (FFS) : l’Algérie a « besoin d’une refondation institutionnelle »
Le nouveau texte, contrairement à la Loi sur les associations soumises au régime déclaratif, impose aux partis de constituer un dossier d’agrément auprès du ministère de l’Intérieur.
Parmi les dispositions contenues dans le nouveau texte : l’imposition d’une représentation au niveau d’une trentaine de wilayas pour l’élection des congressistes, au minimum 480, avec élaboration de PV sous supervision d’un huissier de justice, l’obligation d’intégrer une proportion de jeunes et de femmes dans les structures et le statut du parti, élection des organes du parti pour un mandat n’excédant pas cinq ans, renouvelable, à titre consécutif, une seule fois, possibilité de dissolution d’un parti n’ayant pas satisfait à ses activités ou ne présentant pas de candidats lors de deux élections successives, interdiction de l’usage de la langue étrangère dans leurs activités…
Le texte prévoit également des sanctions pénales contre les partis contrevenant à certaines dispositions. « C’est vrai qu’il est au stade de projet, de maturation, mais ce projet peut indiquer le cap que certains veulent imposer au pays », redoute Aouchiche dans des déclarations aux médias au terme du Conseil national extraordinaire de son parti consacré à l’examen, entre autres, de ce nouveau texte de Loi.
Selon lui, « ces lois visent à asseoir un contrôle absolu sur la société ». Le FFS qui prépare un rapport sur la question et qui sera adressé à la Présidence réclame un changement d’approche au vu des enjeux actuels.
« Le pays a besoin d’une refondation institutionnelle (…) ce texte, nous le rejetons et nous appelons les partis à en faire de même. Il n’aide pas à rétablir la confiance entre les gouvernants et les gouvernés et certaines de ses dispositions sont contraires à la Constitution », relève-t-il.
Pour sa part, la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, estime que cet avant- projet de Loi « concrétise la caporalisation de l’activité politique par l’administration, un contrôle absolu sur les partis ».
Louisa Hanoune (PT) s’inquiète pour l’avenir des partis politiques en Algérie
Dans son allocution vendredi à l’occasion de la réunion du bureau politique de son parti, Louisa Hanoune soutient qu’à la lumière des nouvelles dispositions, le parti est perçu comme une « entreprise économique soumise à des sanctions ».
« Aucun pays au monde ne dispose d’une loi similaire. Elle tue le rôle des partis », dit-elle. « Ne manque à l’administration qu’à désigner les dirigeants du parti », ironise-t-elle en considérant que l’orientation imprimée au nouveau texte soulève plusieurs interrogations.
« Au contraire, on doit aller à l’ouverture. Aucune partie ne doit interférer dans le fonctionnement d’un parti ou dans le choix de ses responsables », soutient Louisa Hanoune dont le parti a transmis ses propositions à la Présidence de la République.
Jugeant « inutile » de commenter dans le détail cet avant-projet de Loi, le parti Jil Jadid considère, de son côté, que le « projet de réforme politique tel qu’il est engagé est un mélange de lois répressives et réglementaires transformant les partis politiques ainsi que les collectivités locales en de simples succursales de l’administration ».
« Au lieu d’organiser une vie politique libre et responsable, ces lois emmaillotent les partis politiques dans un règlement intérieur létal à plus d’un titre. Seuls persisteront dorénavant les partis politiques qui font de leur soutien un fonds de commerce. Les partis politiques novateurs, porteurs de renouveau et d’ouverture seront de fait bannis, étouffés par des dispositions plus rigides et arbitraires les unes que les autres », estime Jil Jadid dans un communiqué rendu public.
Avant-projet de loi sur les partis politiques : ce que propose Soufiane Djilali
Estimant que ces projets, tels que formulés, vont « aggraver la rupture entre les citoyens et l’État, favoriseront une hypertrophie de la bureaucratie qui finira par devenir hégémonique et un terreau de corruption et annuleront finalement tous les cadres de formation politique des futurs responsables de la nation », le parti de Soufiane Djilali espère que « ces projets de réforme soient reportés après un débat profond et sérieux concernant l’ensemble de la société politique (société civile, partis politiques, personnalités…) ».
« En attendant un tel débat, Jil Jadid souhaiterait l’abandon pur et simple de cette réforme qui n’est en aucun cas opportune. En conséquence, et en l’état actuel de ces projets de loi, nous ne participerons donc à aucun débat sur le détail de ses dispositions. En espérant que nos observations, franches et honnêtes, interpelleront la conscience de chacun pour reconsidérer cette approche qui créera plus de difficultés qu’elle n’en résoudra », conclut le communiqué.
Cette inquiétude est exprimée également par le RCD. Dans sa réponse à la correspondance de la Présidence de la République, le RCD estime que le nouveau texte, dans sa version actuelle, ouvre la « voie à l’effacement de la vie partisane » en conférant au ministère de l’intérieur le « pouvoir absolu » sur la vie politique.
La réponse du RCD à la Présidence de la République
Dans ce contexte, le RCD pointe du doigt l’obligation faite aux partis de rendre compte et de justifier leurs activités auprès du ministère de l’Intérieur, y compris lorsqu’il s’agit de conclure des alliances avec d’autres partis ou d’organiser des rencontres avec d’autres partis.
« Cela limite la liberté d’action des partis, notamment le droit de boycotter les élections, qui est une stratégie électorale légitime dans les systèmes démocratiques », estime le parti présidé par Athmane Mazouz.
Autre préoccupation du RCD : l’avant-projet de loi contient des dispositions régulant le discours politique et accordant au ministère de l’Intérieur le pouvoir de dissoudre un parti sans passer par la justice.
L’une des dispositions interdit explicitement aux partis d’adopter un discours portant atteinte à «l’unité nationale », «l’ordre public » ou encore aux «institutions de l’État »…
Des notions que le RCD juge «floues et susceptibles d’être utilisées pour censurer toute critique politique », ce qui constituerait «une violation de la liberté d’expression, notamment de l’article 58 de la Constitution, et une restriction du débat public », contraignant ainsi les partis à «l’autocensure ».
Le MSP n’a pas encore dévoilé sa réponse à la présidence de la République sur la réforme de la loi sur les partis politiques. Le chef du parti Abdelali Hassani a réuni mercredi les deux ateliers chargés de préparer la réponse du MSP à la présidence de la République sur les avant-projets de lois sur les partis politiques et les associations.