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Blé : des images inquiétantes de la sécheresse dans l’Ouest de l’Algérie

Blé : des images inquiétantes de la sécheresse dans l’Ouest de l’Algérie

Une terre sèche.

L’Algérie a lancé un appel d’offres pour acheter 1,17 million de tonnes de blé. Les livraisons pourraient provenir des pays de la mer Noire de l’UE, de l’Ukraine et de Russie, selon des sites spécialisés, dont AgriCensus.

Un achat qui intervient dans le contexte d’une nouvelle sécheresse qui touche l’Ouest algérien. S’il a neigé et plus sur l’Est et une partie du centre de l’Algérie ces derniers jours, ce n’est pas le cas de l’Ouest du pays.

Ce nouvel achat de blé pourrait se faire à raison de 257 dollars la tonne et les expéditions sont prévues courant février-mars 2025.

Source : Facebook 

Il s’agit de blé meunier destiné à la fabrication de pain ; concernant le blé dur, l’objectif affiché par l’Algérie est d’arriver à l’autosuffisance en 2025. Pour cela, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural table sur la culture de céréales sur plus de 3 millions d’hectares et la poursuite de l’extension des surfaces irriguées au Sud.

L’Ouest algérien frappé par la sécheresse

À l’Ouest du pays, c’est une vidéo glaçante que relaie la page « Tout sur l’agriculture en Algérie ». Une vidéo prise par un agriculteur qui filme des champs de blé. La couleur ocre de la terre est dominante, pas la moindre touffe de blé à l’horizon du fait du manque de pluies. Une situation qui se reproduit pour la troisième année consécutive dans cette région et qui illustre les effets du réchauffement climatique en Algérie.

Le sol du champ ressemble au sable d’une plage du fait des multiples passages des outils aratoires. Les champs situés à mi-hauteur présentent une teinte blanchâtre. Le signe d’une « érosion en nappe », selon les spécialistes ; elle indique le départ des particules de sol sous l’effet des gouttes de pluie et leur transport en contrebas. Un phénomène accéléré par l’usage abusif de la charrue et l’absence totale de haies pouvant favoriser l’infiltration des eaux de pluie.

L’auteur de la vidéo témoigne qu’auparavant, l’irrégularité des pluies existait, mais qu’en cette fin de décembre, leur absence totale retarde les semis et les rend bientôt impossibles. Il poursuit que traditionnellement, la période pluvieuse allait de novembre à mars et que les agriculteurs pouvaient alors recourir à l’irrigation de complément.

Suite à la sécheresse de ces deux dernières années, les agriculteurs algériens ont bénéficié d’un report du remboursement de leurs prêts. Une troisième année sans récolte pourrait être fatale pour de nombreuses exploitations.

Des alternatives, mais à quel coût ?

Aussi, l’agriculteur énumère-t-il quatre mesures qui, selon lui, pourraient permettre de pallier le manque de pluie : forages, dessalement de l’eau de mer, car, affirme-t-il, « la mer est proche », variétés résistantes à la sécheresse et utilisation des eaux traitées des stations d’épuration.

Concernant les forages, il réclame une aide conséquente de l’État. Cependant, un facteur est à prendre en compte : le rabattement de la nappe d’eau souterraine lors de sécheresses.

En août 2022, sous le titre « Vallée de la Soummam : Rabattement inquiétant de la nappe phréatique », le quotidien El Watan rapportait des témoignages d’usagers suite au manque de pluies.

Un maraîcher de la région de Tazmalt déclarait : « Près de 80 % des puits privés sont à sec ». Un habitant de la commune de Seddouk indiquait, pour sa part, que « pour garder le contact avec la nappe et avoir un débit exploitable, il est impératif de creuser chaque année davantage. C’est un investissement coûteux qui n’est pas à la portée de tout le monde ».

En matière de forage, la technique de battage par carottier poinçonneur utilisée par les entrepreneurs syriens installés en Algérie connaît une certaine désaffection malgré son coût inférieur à la technique de rotation par carottier rotatif. En cause, sa profondeur qui ne dépasse pas les 100 mètres. Une tendance en lien avec la baisse généralisée du niveau des nappes d’eaux souterraines en Algérie.

Pour Mohamed Belhocine, docteur en sciences physiques qui s’est exprimé en août dernier dans le média Algérie 54, il est nécessaire d’installer au niveau des forages un réseau « d’enregistreurs automatiques inviolables, transmettant par voie hertziennes les données enregistrées en temps réel » au ministère de l’Hydraulique.

De tels enregistreurs permettraient de procéder à des mesures piézométriques réalisées au niveau des forages et de connaître leur cône de rabattement lié aux quantités d’eau prélevées.

Dessalement de l’eau de mer

Quant au dessalement de l’eau de mer, la technique présente un coût non-négligeable. Un exemple révélateur est donné par la production de tomates cerise au Sahara occidental occupé.

Les ressources en eau des nappes souterraines locales sont actuellement pillées par des groupes agricoles franco-marocains attirés par la promesse d’une exonération fiscale destinée à favoriser la venue d’investisseurs.

Face à l’épuisement progressif des nappes, l’heure est au dessalement de l’eau de mer et à Dakhla, l’entrée en service d’une usine est annoncée pour 2025.

À 1.500 km plus au Nord au Maroc, des agriculteurs d’Agadir irriguent déjà depuis deux ans leurs cultures avec l’eau dessalée de l’usine locale.

Celle-ci fournit 275.000 m³ d’eau par jour et la société franco-marocaine Azura spécialisée dans la culture et l’exportation de tomate cerise irrigue 100 % de ses serres avec ce type d’eau.

Une eau qualifiée de « relativement chère par rapport à l’eau de barrage : l’équivalent de 0,5 €/m³ contre 0,10 à 0,20 €/m³ », selon l’aveu même des responsables d’Azura. Un coût cependant amorti du fait de la faiblesse des salaires accordés à la main d’œuvre locale et du prix de vente élevé de cette culture d’exportation. Qu’en sera-t-il pour les cultures moins rémunératrices ?

Utilisation des eaux traitées des stations d’épuration

Autre solution, l’utilisation de l’eau des stations d’épuration. En novembre dernier, Salah Lahlah, inspecteur général à l’Office national d’assainissement (ONA) confiait à la Radio algérienne : « Nous avons un parc de 230 stations d’épuration avec une capacité d’épuration de plus d’un milliard de mètres cubes (m³) ».

Déjà, l’ONA a signé un accord avec l’entreprise de développement des cultures agricoles stratégiques. Il devrait permettre la fourniture d’un quota d’eau traitée pour approvisionner les cultures stratégiques de quelque 170 fermes pilotes, dont des céréales, légumes secs, oléagineux et arbres fruitiers.

Le bon usage de cette nouvelle ressource nécessite le respect des priorités accordées aux cultures stratégiques. Certains agriculteurs trouvent cependant plus rentables de cultiver de la pastèque ou engraisser de jeunes bovins, dont chaque kilo de viande nécessite l’utilisation de 15.000 litres d’eau.

Le manque de pluie dans les wilayas à l’Ouest algérien est préoccupant. Des alternatives sont possibles, mais elles peuvent être coûteuses. Elles nécessitent une adaptation des techniques de culture actuellement employées par les exploitations céréalières.

Dès 2010, l’Institut Technique des Grandes Cultures et des universitaires ont mis en avant la notion d’agriculture de conservation. Une approche qui vise à préserver la fertilité des sols et à renforcer leur capacité à retenir l’eau des pluies.

De telles alternatives peuvent parfois être douloureuses pour les exploitations dans la mesure où elles impliquent une remise en cause des techniques employées. Face au manque de fourrages, certains éleveurs optent déjà pour les cultures hydroponiques et font germer durant une semaine des grains d’orge en milieu confiné pour nourrir leurs animaux.

Lutte contre le gaspillage du pain

Outre la production, les alternatives peuvent concerner la transformation du grain au niveau des minoteries. À raison d’un taux moyen d’extraction de farine de 75 %, ce sont 25 % d’issues de meunerie qui sont inutilisées par alimentation humaine alors que les diététiciens recommandent la consommation de fibres.

Rapportées aux quantités de blé importé, les quantités inutilisées ne sont pas négligeables. Des pertes ont également été documentées par des enquêtes : certaines minoteries détournent frauduleusement du blé pour le revendre aux éleveurs de moutons.

Des universitaires innovent comme ceux de l’université de Blida qui ont réussi la mise au point de biscuits contenant jusqu’à 40 % de farine d’orge en remplacement de farine de blé importée.

Aux pertes liées aux issues de meuneries, il s’agit de prendre en compte les pertes au niveau des consommateurs.

En mars 2024, lors du lancement de la campagne nationale contre le gaspillage des produits alimentaires, le ministre du Commerce et de la promotion des exportations, Tayeb Zitouni chiffrait à 100 millions le nombre de baguettes de pain que les consommateurs jettent durant le mois de Ramadan.

Le phénomène est tel qu’une nouvelle catégorie de métier est apparue en Algérie, celle de collecteur de pain sec, un pain destiné à l’élevage.

Le réchauffement climatique pourrait à l’avenir bouleverser les pratiques de la filière céréales, depuis le champ jusqu’à l’assiette des consommateurs.

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