Politique

Chems-Eddine Hafiz : « Les liens entre la Grande Mosquée de Paris et l’Algérie sont en jeu »

La Grande Mosquée de Paris est sous forte pression en France dans un contexte de graves tensions diplomatiques avec l’Algérie.

Son recteur Chems-Eddine Hafiz répond, dans cet entretien à TSA, à toutes les accusationsconcernant la gestion de l’institution, la certification Halal, les relations entre la Grande mosquée de Paris et l’Algérie, les tentatives marocaines de mettre la main sur l’institution.

Chems-Eddine Hafiz évoque aussi ce que ressent la diaspora algérienne

La Grande mosquée de Paris est accusée d’avoir mis en place un “juteux système financier” à travers la certification Halal pour l’Algérie. Que répondez-vous à ces accusateurs, qui vont jusqu’à évoquer un problème de ”sécurité” ?

Ces accusations sont totalement infondées. Le mandat accordant à la Grande Mosquée de Paris l’exclusivité de la certification Halal des produits importés en Algérie émane d’une décision du ministère algérien du Commerce et du ministère algérien des affaires religieuses, signée en décembre 2022 et rendue effective en juin 2023.

Ce mandat a permis d’améliorer la situation grâce à l’expérience de la Grande Mosquée en la matière, qui remonte à 1939. Je rappelle d’ailleurs que l’Etat français a, lui-même, agrée la Mosquée de Paris, par arrêté ministériel du 15 décembre 1994, comme organisme religieux habilitant des sacrificateurs rituels.

La certification Halal est d’abord une responsabilité morale à l’égard des consommateurs, algériens comme français. Nous garantissons que nos activités  respectent  les  préceptes  religieux  et  d’autre  part  les réglementations algérienne, française et européenne.

La délivrance de nos certificats répond à des critères stricts et à une série de contrôles, qui va des abattoirs aux laboratoires d’analyse.

Le “juteux système financier” dont parlent les détracteurs n’est rien de moins qu’une nouvelle source de financement, transparente et bénéfique, pour le culte musulman, qui en manque cruellement.

L’idée de taxer l’économie Halal, ce qui est autre chose, pour financer le culte est d’ailleurs discute au sein du Forum de l’islam de France, la nouvelle instance de dialogue initiée par le ministère de l’Intérieur français.

Comment peut-on reprocher à la Grande Mosquée de Paris de trouver des ressources tout en rendant un service essentiel ?

Pourquoi la Grande mosquée de Paris est ciblée ? Est-ce seulement à cause de ses liens avec l’Algérie, qui est en crise en ce moment avec la France ? 

La Grande Mosquée de Paris est une institution symbolique qui joue un rôle clé dans l’organisation de l’islam en France.

Cette position fait parfois d’elle une  cible  d’attaques,  en  fonction  de  considérations  politiques  ou idéologiques.

Elle  est en ce moment visée par  une campagne déstabilisation : les plus basses calomnies semblent permises, dont celles sur sa gestion de la certification Halal.

Ses liens historiques et actuels avec l’Algérie sont évidemment en jeu. En dehors des détracteurs habituels, l’agitation est provoquée par les mouvements hostiles au rapprochement entre les deux pays.

Parmi eux se trouvent les groupes qui jettent l’opprobre sur les musulmans à longueur de journée et souhaitent les exclure du passé et du futur de la France.

Cet épisode regrettable ne nous détournera pas de nos missions ni de nos engagements.  

Certains vous reprochent votre grande proximité avec le gouvernement algérien, que répondez-vous ?

Je dirige la Grande Mosquée de Paris en toute indépendance et en pleine lumière, avec pour seule boussole l’intérêt des musulmans et l’harmonie de la société.

Depuis toujours, la Grande Mosquée de Paris représente un lien entre la France, l’islam, son histoire, ses cultures, et le monde musulman. Ses relations avec l’Algérie ou avec d’autres pays à majorité musulmane ne sont pas une menace, mais une véritable richesse.

J’ai affirmé dès mon arrivée à la tête de l’institution mon souhait de nourrir ces relations et d’ériger des passerelles vertueuses entre la France et l’Algérie.

Mes rapports avec le gouvernement algérien s’inscrivent tout simplement dans des projets qui construisent ces passerelles.

Oui, la Grande Mosquée de Paris est fière d’amener les enfants ou les aînés à de couvrir l’Algérie grâce aux colonies de vacances ou aux cures thermales. Est-ce là la preuve d’une impardonnable “influence étrangère” ? Soyons sérieux.

Des médias marocains ont tenté d’inventer une “histoire marocaine” à la GMP et certains réclament que sa gestion soit confiée au Royaume. Y a-t-il un enjeu pour le contrôle de l’islam de France ?

Il y a surtout de l’agitation inutile, alors que de nombreux défis attendent d’être relevés. Le culte musulman en France appartient à tous les musulmans vivant sur le territoire, quelle que soient leurs origines.

Les racines de la Grande Mosquée de Paris se trouvent dans le sang versé par les soldats musulmans venus de tout le Maghreb, de toute l’Afrique subsaharienne, et de plus loin encore, pour reconquérir la liberté de la France en 1914-1918. Fidèle à ce symbole, elle travaille pour le bien de chaque musulman du pays et pour favoriser sa citoyenneté.

Les tentatives de réécriture ou de revendication de son histoire sont donc malvenues et ne servent qu’à exacerber les divisions.

Quels sont les liens historiques et actuels entre la Grande mosquée de Paris et l’Algérie ?

La Grande Mosquée de Paris à une histoire forte et singulière avec l’Algérie.

Tous ses recteurs sont nés en Algérie. La Société des Habous, propriétaire et gestionnaire de l’institution, fut fondée a la Mahkama d’Alger.

Dans les années 1980, elle a commencé à bénéficier de la subvention annuelle de l’Etat algérien ainsi que des imams détachés du ministère des Affaires religieuses.

Cet accord, pleinement accepté par l’Etat français, a permis de sauver l’édifice. Il a aussi permis à la Grande Mosquée de Paris d’accompagner le développement du culte en France, de défendre la dignité et les apports des musulmans, de porter le message pacifique de l’islam contre les dérives extrémistes et pour la cohésion sociale.

Ainsi cette relation n’est en rien contradictoire à l’engagement républicain de la Grande Mosquée, que personne ne peut contester.

Demeurant avant tout une institution religieuse, elle mène aussi, conformément à ses prérogatives originelles, des actions culturelles, caritatives, éducatives, à destination de tous, qui mettent en valeur les contributions des terres d’islam au patrimoine universel.

L’Algérie est l’une de ses terres. J’ai grandi avec les trésors spirituels, éthiques et culturels de mon pays natal. Je veux les partager au monde. Et je sais qu’ils résonnent dans le cœur de tant de personnes en France. Quel mal y-a-t-il à cela ?

Outre la Mosquée de Paris, l’Algérie et les Algériens sont aussi attaqués en France par le courant extrémiste. Pourquoi ?

Ces attaques sont souvent le fruit de stéréotypes et de préjugés tenaces, qui servent à alimenter les discours populistes ou extrémistes d’aujourd’hui.

Quand certains luttent contre les idées-reçues, d’autres veulent opposer les différentes composantes de la société française.

La Grande Mosquée de Paris sera toujours du côté du dialogue et de la lutte contre les discours de haine. Son rôle est d’unir, non de diviser.

Comment la diaspora algérienne vit-elle la crise actuelle entre l’Algérie et la France ? 

Je ne veux pas prétendre parler en son nom, mais je ressens une grande tristesse et une grande incompréhension.

La diaspora algérienne se voit réduite à une image dégradante, qui n’est pas elle.

Je pense à tous ces hommes et ces femmes qui étudient, soignent, enseignent, aident, travaillent dans la société française et participent à sa prospérité.

Ces voix-là ne s’expriment pas, peut-être par sidération, peut-être parce qu’elles n’ont pas à prouver leur contribution au bien collectif. Il y a tant de belles existences partagées entre les deux rives de la Méditerranée, et tant à inventer encore pour un horizon commun. Ne gâchons pas tout.

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