Économie

Chute du pétrole, taxe Trump… : quelles retombées pour l’Algérie ?

Professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou, Brahim Guendouzi décrypte pour TSA, les conséquences de la guerre commerciale lancée par le président américain Donald Trump avec sa taxe contre 180 pays, notamment la Chine.

Il explique les raisons de la forte baisse des prix du pétrole et les conséquences éventuelles sur l’économie algérienne qui reste fortement dépendante des hydrocarbures. Sachant que ces dernières assurent 90 % des recettes en devises du pays.

Brahim Guendouzi suggère aussi des pistes pour renforcer la résilience du pays contre les fluctuations du marché pétrolier mondial et les guerres commerciales. Il évoque, par la même occasion, une éventuelle baisse du dinar algérien et l’avenir du marché pétrolier.

Le pétrole est au plus bas depuis quatre ans. Avec l’annonce de la taxe Trump, le baril de Brent a plongé sous les 60 dollars mercredi avant de remonter légèrement. Quels risques pour l’économie algérienne ?

On assiste effectivement à une déstabilisation du marché pétrolier international qui a vu les cours du brut perdre en une semaine plus de 10 dollars et sont aujourd’hui à 63,08 $ pour le Brent, après avoir brièvement atteint les 58,47 dollars le baril.

La conjugaison de trois facteurs a conduit à la plongée des prix du pétrole, en l’occurrence l’escalade de la guerre commerciale enclenchée par le président américain Donald Trump entre les États-Unis et la Chine, la décision de l’OPEP+ d’augmenter sa production de 411.000 barils par jour à partir de mai 2025, et enfin, des prévisions concernant l’offre mondiale de pétrole qui pourrait dépasser la demande de 1,2 million de barils par jour en 2025, selon la Banque mondiale.

À tel point, la banque d’investissement américaine, Goldman Sachs, anticipe, dans un scénario catastrophe, un cours du pétrole brut à hauteur de 40 $ le baril d’ici la fin de 2026.

Il est clair que les fluctuations à la baisse des cours mondiaux du pétrole brut, ainsi que les incertitudes géopolitiques, vont avoir des conséquences négatives sur l’économie algérienne, dont la dépendance est excessive vis-à-vis des hydrocarbures.

Il faut s’attendre à des effets contraignants aussi bien sur les équilibres externes (balance commerciale) qu’internes (les finances publiques).

En somme, bien que l’Algérie ne soit pas confrontée à un fardeau de dette extérieure important, elle reste néanmoins fragile sur le plan budgétaire en raison de son modèle économique dépendant des exportations de pétrole et de gaz, et de déficits budgétaires chroniques.

Les programmes de développement et les subventions sociales risquent-elles d’être impactées ?

Les dépenses de transfert représentent 35,3 % du total du budget de l’État pour 2025, alors que les investissements ont atteint 18,6 % du total des crédits budgétaires.

À partir de là, un retournement du marché pétrolier international aura incontestablement un effet direct sur les ressources budgétaires de l’État à travers la fiscalité pétrolière qui représentait près de 45 % en 2024.

Dans ce contexte, avec une contraction des recettes budgétaires en raison de la baisse de la fiscalité pétrolière, l’Algérie serait confrontée à la nécessité de rationaliser ses dépenses publiques afin de maintenir l’équilibre budgétaire tout en préservant les services essentiels et en soutenant son développement économique.

Aussi, serait-il nécessaire de revoir la question des transferts sociaux, car les subventions, bien qu’elles aient un rôle social important, elles sont aussi coûteuses et dans bien des cas inefficaces.

D’où la nécessité de réorienter les subventions vers les franges de la population les plus vulnérables plutôt que de maintenir un système généralisé de subventions.

D’autres aspects liés à la gestion des dépenses publiques comme par exemple la réduction des coûts administratifs grâce à la numérisation, une meilleure maîtrise des effectifs de la fonction publique, et surtout, effectuer un audit et un contrôle pour identifier les dépenses inefficaces et réduire les gaspillages.

Le dinar algérien risque-t-il d’être dévalué ?

Le régime de change adopté par l’Algérie permet la flexibilité dirigée du dinar autorisant la Banque d’Algérie à ajuster la valeur de la monnaie nationale par rapport aux devises étrangères, en fonction de deux situations précises : suivant les paramètres macroéconomiques, tant internes qu’externes, en cas de détérioration de la situation économique du pays, d’une part, et de tenir compte des évolutions des taux de change des principales monnaies sur les marchés internationaux, en l’occurrence le dollar et l’euro, d’autre part.

Or, les craintes de récession économique à travers le monde, liée aux répercussions de la guerre commerciale enclenchée par Trump, sont susceptibles d’influer l’évolution du dollar et d’ajouter sa volatilité au niveau des marchés des changes.

Il en est de même pour le marché pétrolier dont la tendance baissière est déjà enclenchée. À partir de là, il est fort probable que la Banque d’Algérie aille vers une dépréciation graduelle du dinar afin de s’adapter à la nouvelle donne de l’économie mondiale, mais aussi pour préserver un certain équilibre dans la balance commerciale et dans le budget de l’État, pour les mois à venir.

Au demeurant, une dépréciation du dinar conséquente pourrait relancer l’inflation, jusque-là contenue dans des proportions soutenables, et entraîner une baisse de la compétitivité des entreprises nationales, particulièrement celles qui dépendent fortement de l’importation de leurs entrants.

L’Algérie est-elle bien armée pour faire face à un nouveau choc pétrolier ?

L’Algérie dispose encore de marges de manœuvre grâce à l’importance de ses exportations gazières (par gazoduc et GNL) puisqu’elle se positionne comme le troisième fournisseur de l’Europe.

La montée en puissance du GNL dans le monde offre une flexibilité accrue pour l’Algérie afin de diversifier ses exportations vers des marchés émergents, tout en réduisant sa dépendance au marché européen.

Il existe aussi des sources de croissance dans l’agriculture et les filières industrielles moins sensibles aux fluctuations des prix du pétrole.

La substitution aux importations par des productions locales et les incitations accordées aux exportations hors hydrocarbures sont des actions destinées à donner plus de résilience à l’économie nationale face aux chocs externes.

Au demeurant les principaux leviers pour que l’Algérie puisse maintenir ses revenus en devises étrangères dans un contexte de guerre commerciale mondiale, sont essentiellement le renforcement de ses exportations gazières, la diversification de son économie et la rationalisation de ses importations, tout en continuant à attirer des investissements étrangers dans des secteurs non-pétroliers.

Quels sont les secteurs qui peuvent être durement touchés en cas d’une baisse durable des prix du pétrole ?

La conjoncture économique mondiale actuelle et les fluctuations des prix du pétrole qui en découlent, risquent d’influer négativement sur les investissements en Algérie.

En effet, la réduction de la capacité financière de l’État peut être un frein à l’effort d’investissement dans des projets de développement structurants, au risque de créer une incertitude pour les investisseurs étrangers et nationaux.

D’autant plus qu’avec une baisse prolongée des prix du pétrole, il y aurait exacerbation des problèmes budgétaires internes, réduisant ainsi la capacité du gouvernement à soutenir une politique d’incitations fiscales et d’aides à l’investissement, surtout pour attirer les IDE.

Par ailleurs, les firmes pétrolières internationales pourraient devenir plus réticentes à investir dans l’exploration et la production de pétrole, en raison de la rentabilité réduite susceptible d’être réalisée avec des prix du pétrole bas dans le cas d’une tendance baissière durable.

La menace d’un effondrement des cours du pétrole plane-t-elle toujours ?

Effectivement, la menace d’une tendance baissière durable des cours du brut est toujours présente en raison tout d’abord de la nouvelle politique tarifaire américaine et ses retombées.

Les tensions commerciales croissantes entre les États-Unis et la Chine, pourraient entraîner un ralentissement économique mondial.

La guerre commerciale affecte le marché pétrolier, non seulement par une réduction de la demande en raison de la contraction économique mondiale, mais aussi par des effets indirects liés à l’incertitude financière, la fluctuation des devises et les ajustements de la production par les pays producteurs.

Il existe également d’autres facteurs susceptibles de contribuer à la déprime du marché pétrolier international comme par exemple les perspectives d’une offre excédentaire de pétrole du fait des pays hors OPEP+, et ce, dans un contexte où les facteurs géopolitiques et l’incertitude sont omniprésents.

La production de pétrole de ces pays (USA avec le pétrole de schiste, Canada, Brésil, producteurs de la mer du Nord) a augmenté de manière significative au cours de la dernière décennie.

Enfin, la politique énergétique des pays consommateurs qui va plus vers le renforcement de leur transition énergétique et l’encouragement des énergies renouvelables afin de réduire la place des énergies fossiles.

En définitive, les prix du pétrole restent très sensibles aux événements mondiaux, ce qui rend les prévisions incertaines.

Pourquoi Donald Trump a-t-il décidé d’imposer une nouvelle taxe sur tous les produits étrangers ? Que veut-il sauver ? Le dollar, la place des États-Unis comme première économie mondiale ? Que cherche-t-il ?

Les États-Unis, qui ont longtemps été les champions du libre-échange, viennent d’adopter une position défensive en pratiquant une politique protectionniste pour protéger leur industrie nationale et réduire leur déficit commercial.

Cette approche, préconisée par Trump, reflète tout d’abord des préoccupations économiques internes, mais aussi une volonté de contrer l’influence croissante de la Chine sur la scène mondiale.

Cette dernière, qui était perçue comme une économie émergente il n’y a pas très longtemps, est devenue aujourd’hui un acteur majeur du commerce mondial, prônant le libre-échange pour maintenir son accès aux marchés internationaux et renforcer ses relations économiques sur l’ensemble des continents.

Les stratégies de rupture qui commencent à s’appliquer sur de nombreux conflits à travers la planète, Trump le fait dans le domaine économique.

Le monde est de plus en plus multipolaire, où les grandes puissances cherchent toutes à établir ou à renforcer leur influence.

À titre d’exemple, les nations qui investissent massivement dans l’IA et les technologies émergentes, comme les États-Unis et la Chine, prennent une avance significative en termes de croissance économique, d’innovation et de pouvoir géopolitique.

Aussi, il ne faut pas perdre de vue qu’une guerre commerciale peut inclure une gamme de mesures économiques et stratégiques destinées à perturber les échanges commerciaux et nuire à l’économie des pays concurrents.

Il peut y avoir par exemple des restrictions sur les investissements étrangers, en empêchant l’acquisition de sociétés stratégiques ou en limitant l’accès aux technologies avancées, une révision ou annulation d’accords commerciaux existants, une manipulation monétaire pour rendre les exportations moins chères et plus compétitives sur les marchés mondiaux, etc.

Ainsi, la Chine étant devenue un concurrent majeur des États-Unis dans des secteurs technologiques clés, comme les télécommunications, l’intelligence artificielle et la 5G, la guerre commerciale qui lui est menée aujourd’hui est en partie motivée par la volonté de freiner sa progression technologique.

Le président Trump considère, par ailleurs, que les pratiques économiques de la Chine, comme la manipulation de la monnaie, les subventions gouvernementales aux entreprises et les restrictions sur l’accès au marché chinois, représentent des distorsions et une concurrence déloyale.

Sa politique tarifaire constitue donc une forme de réponse et un moyen de contraindre la Chine à adopter des pratiques commerciales plus transparentes et équitables.

En définitive, la nouvelle politique tarifaire des États-Unis, sous l’administration Trump, se veut une réponse à l’émergence de la Chine en tant que superpuissance économique et géopolitique, ainsi qu’à la perception qui est véhiculée que l’économie américaine perdait de son influence face à celle de la Chine.

Dans ce contexte de guerre commerciale planétaire, que doit faire l’Algérie ?

La gouvernance économique en Algérie souffre d’un manque d’anticipation face aux chocs externes, qu’ils soient liés à la volatilité des prix du pétrole, à des fluctuations économiques mondiales ou à des crises géopolitiques. Ceci résulte souvent de la difficulté à prévoir et à planifier sur le long terme.

Face aux stratégies de rupture qui sont actuellement mises en œuvre à travers le monde, tant sur le plan géopolitique qu’économique et commercial, l’Algérie ne doit compter que sur elle-même et sur ses ressources humaines et naturelles, en privilégiant une vision et une approche proactives des événements.

L’Algérie ne dispose pas encore d’une stratégie claire et structurée, apte à pouvoir faire face à la crise économique mondiale qui s’annonce.

Même si elle dispose d’un fonds de régulation des recettes (FRR) et des réserves de change importantes (70 milliards de dollars) obtenus durant les périodes de hausses des prix du pétrole, ces réserves demeureront insuffisantes pour faire face à des crises économiques prolongées.

Aujourd’hui, on ressent la nécessité de mettre en place un fonds souverain destiné à sécuriser les recettes futures et à amortir les effets des chocs externes, comme cela a été fait par de nombreux pays pétroliers.

Faut-il accélérer les réformes économiques ?

L’Algérie a entamé plusieurs réformes économiques, mais ces dernières ont souvent été lentes et insuffisantes pour se préparer à des chocs externes.

Aussi, afin de renforcer sa résilience économique et garantir une croissance durable, il lui est impératif d’engager d’ores et déjà d’autres réformes structurelles profondes, notamment dans la diversification économique et l’amélioration de la compétitivité du pays.

La réforme fiscale, la gestion des dépenses publiques et le renforcement du secteur privé, le financement des entreprises, la formation du capital humain, sont autant de domaines qui nécessitent un vison novateur pour pouvoir aller de l’avant.

La réforme budgétaire en cours s’appuyant sur la loi organique n° 18-15, relative aux lois de finance (LOLF), a introduit des changements décisifs avec le passage d’une gestion axée sur les moyens vers une gestion axée sur les résultats et la performance.

La LOLF donne, en effet, plus d’autonomie aux gestionnaires dans le choix d’affectation des ressources financières publiques, en échange d’une responsabilité managériale accrue.

Sur le plan fiscal, il importe pour l’Algérie d’améliorer la collecte de l’impôt pour augmenter ses recettes intérieures et combler le manque à gagner par rapport à la fiscalité pétrolière.

Par ailleurs, le secteur informel représente une part importante de l’économie nationale, dont il faudra inciter les acteurs qui l’animent à mieux s’insérer dans le secteur formel, pour pouvoir augmenter ses recettes fiscales sans augmenter les taxes sur la population. Enfin, l’élargissement de l’assiette fiscale reste nécessaire en incluant de nouveaux secteurs.

La mise en place de partenariats public-privé (PPP) peut s’avérer d’un grand apport dans des secteurs comme les transports, les infrastructures ou encore les télécommunications, où des acteurs privés peuvent contribuer à améliorer l’efficacité et l’innovation.

La politique d’investissement gagnerait à être plus efficace en améliorant transparence et célérité pour que les nombreux projets inscrits auprès du guichet unique de l’AAPI soient réalisés dans les meilleurs délais.

Donald Trump exige de l’Europe d’acheter du pétrole américain pour annuler ses surtaxes sur les produits européens. Ce chantage représente-t-il une menace directe pour l’Algérie dont l’Europe est le principal débouché pour son gaz et son pétrole ?

Depuis la crise russo-ukrainienne, les USA sont devenus des fournisseurs importants en GNL de l’Union européenne. Les marchés du gaz sont de plus en plus dérégulés et les firmes américaines sont très présentes sur les marchés libres.

Par ailleurs, sachant déjà que l’Union européenne est fragilisée par la crise énergétique et sa dépendance au gaz russe, se retrouve dans une position délicate.

Le locataire de la Maison Blanche semble vouloir exploiter cette vulnérabilité pour renforcer les exportations énergétiques américaines, tout en réduisant le déficit commercial avec l’Europe.

En parallèle, l’augmentation des échanges entre l’Europe et la Chine, notamment dans les secteurs technologiques et industriels, inquiète les États-Unis, qui voient cela comme une menace à leur influence économique.

S’agissant de l’Algérie, elle a renforcé sa position grâce aux deux gazoducs qui vont, l’un vers Italie, et le second vers l’Espagne, et ce, en signant des contrats de livraison de long terme.

Des cargaisons de GNL sont aussi expédiées à destination de plusieurs pays européens, dont la France, vu que ce marché prend de l’ampleur, car il existe une forte demande en gaz naturel compte tenu du rôle important qu’il joue dans la transition énergétique et dans la composition du mix énergétique européen.

SUR LE MÊME SUJET :

Taxe Trump : l’Algérie face à un double risque

Les plus lus