Économie

Comment la France a perdu le marché algérien de la pomme

En Algérie, le prix des pommes est à la hausse et suscite l’irritation des consommateurs. Pourtant, la production locale s’est développée à la faveur de l’arrêt des importations et la fermeture du marché à la pomme française.

Une partie de cette production est exportée et contribue à alimenter la spirale des prix. Faudrait-il interdire ces exportations, voire relancer les importations ?

Les wilayas de Khenchela et Batna sont reconnues en la matière ; plus de 10.000 hectares sont consacrés à cette culture et ont permis la production de 3,1 millions de quintaux de pommes en 2023.

Mais, les consommateurs s’interrogent quant à leur disponibilité à l’image de cet internaute qui s’est aventuré sur un marché. Il filme un étalage et énumère le prix de différentes variétés de pommes : « 850 DA, 800 DA, 680 DA, 950 DA, 900 DA, 850 DA, 900 DA, et même 1.000 DA ».

Stockage et risque de spéculation

La pomme présente l’avantage de pouvoir être conservée une année entière en chambre froide. Un avantage qui amène des grossistes indélicats à en stocker à des fins de spéculation ou à les exporter.

Sur les réseaux sociaux, un internaute déclare : « Sur les étals de fruits et légumes à la Mecque figure en pole position la pomme de Bouhmama. »

Un internaute s’alarme du mode de conservation : « L’offre en pomme est loin de répondre à la demande. La qualité est rarement au RDV. Ces belles pommes sortant du frigo ne tiendront pas la semaine. »

Il suggère de vérifier leur qualité : « Coupez en deux une pomme achetée à un prix prohibitif et vous serez surpris d’avoir été berné : chair farineuse, goût fade, couleur brunâtre, points de pourriture, etc. ». Enfin, il conseille : « Préférez un fruit de saison à vos invités pour ne pas avoir de mauvaises surprises. »

« On cède la meilleure qualité entre 200 et 250 DA le kilo »

De leur côté, les producteurs disent n’y être pour rien dans cette hausse des prix. En 2024, Yacine Nasri, président de la coopérative « Pomme Bouhmama » imputait les prix élevés au trop grand nombre d’intermédiaires : « On cède la meilleure qualité entre 200 et 250 DA le kilo. Il y a une longue chaîne de distribution qui ramène le prix à 600, 700, voire 800 DA, notamment dans les périodes hors saison. »

Dans les zones montagneuses des Aurès, les terres se couvrent de vergers. À Oued Taga ou Ichemoul à flanc de collines, les terrasses sont aménagées au bulldozer pour y planter des pommiers.

Ces cultures sont reconnaissables aux filets anti-grêle tirés au-dessus des arbres et aux nombreux bassins d’irrigation.

Des vergers reliés par des pistes caillouteuses et parfois équipés de groupes électrogènes alimentés au diesel lorsqu’ils ne sont pas encore reliés au réseau électrique. Certaines exploitations sont aujourd’hui équipées de chambres froides, un outil indispensable pour conserver la production et éviter de la brader dès la récolte.

Ce renouveau agricole crée des emplois. En 2023, la direction des services agricoles de Khenchela prévoyait le passage de 16.000 à 20.000 le nombre de personnes employées dans le secteur.

Des surtaxes pour les pommes, l’ail et les tomates de conserve

Les Aurès doivent développer la culture de la pomme, au froid hivernal indispensable aux pommiers, mais aussi à la décision prise en 2017 par les pouvoirs publics de favoriser la production locale aux dépens des importations.

Depuis cette date, les importations de fruits et légumes sont concernées par des droits de douane de 30 % et des droits additionnels provisoires de sauvegarde (DAPS) de 120 %.

Ces mesures concernent aussi l’ail, la tomate de conserve et les sauces. Elles ont permis une production locale qui répond à la demande locale avec des prix accessibles.

Dans le cas des pommes, la situation est différente. La production locale ne suffit pas et la tendance de la filière à privilégier l’exportation déséquilibre le marché. En plus de favoriser la flambée des prix, elle peut donner une image négative de la politique de protection du marché intérieur.

Pommes : Chute drastique des importations algériennes de France

Cette volonté des pouvoirs publics d’encourager la production locale n’a pas fait la joie des exportateurs français. Lors de la campagne de 2014-2015, ils exportaient près de 80.000 tonnes de pommes vers l’Algérie, un volume passé à 12.000 tonnes en 2015-2016. Les titres de la presse spécialisée, dont ceux de La France Agricole, sont éloquents. Florilège.

En février 2017 : « Le débouché algérien encore incertain ». Un titre accompagné d’une alerte : « Le retard pris dans la délivrance des licences d’importation met en difficulté la campagne de commercialisation française. »

En mars 2017 : « Sud-Est : L’Algérie se ferme à la pomme des Alpes. » Puis en juin 2017 : « Algérie, le marché des fruits et légumes verrouillé ». Le magazine ajoute alors : « Sur 247 [d’importateurs] au total, seuls une quinzaine se sont vu attribuer des licences pour l’importation de quotas très limités. »

Le producteur et dirigeant d’une coopérative dans la Drôme, Thierry Clos, confiait à l’époque à La France Agricole : « Actuellement, le coût de revient de 1 kg de pommes est évalué à 0,30 à 0,35 €/kg ». Il était inquiet de l’arrêt des exportations vers l’Algérie, aussi craignait-il pour la survie des exploitations : « Si le scénario actuel se poursuit, on va nous régler la pomme à 0,20 €/kg. »

Face à la situation, le président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Christian Estrosi est alors intervenu et a demandé au Premier ministre français d’« intervenir auprès de son homologue algérien en urgence », pour assurer un « quota de 20.000 tonnes de pommes des Alpes au minimum ». Il indiquait que ce quota permettrait « la survie des exploitations alpines qui connaissent des problèmes de trésorerie très importants ».

Mais, les pouvoirs publics algériens ne reviennent pas sur leur décision. Rien n’y fait, ni même la supplique de Christian Estrosi. Aucune licence d’importation n’est délivrée et c’est une période faste qui s’ouvre alors pour les producteurs algériens et notamment dans les Aurès où les zones montagneuses ne permettent pas de développer la culture du blé à large échelle.

Par contre, la priorité donnée à la production locale est chaleureusement accueillie par les investisseurs. En février 2024, au Salon de l’Agriculture de Paris, le représentant de la société CATM expliquait que « c’est l’arrêt des importations en 2016 de toute catégorie de fruits qui a suscité le goût à l’investissement dans le domaine de l’arboriculture ». Un satisfecit entendu également chez les producteurs de pommes des Aurès.

DAPS, un mécanisme provisoire

La protection de la filière pomme n’est pas vue d’un bon œil par l’Union européenne (UE). En juillet 2024, celle-ci a dénoncé « des restrictions au commerce et aux investissements en Algérie ».

Dans un communiqué, l’UE a annoncé avoir lancé une procédure de règlement des différends contre l’Algérie, précisant que « l’objectif est d’engager un dialogue constructif en vue de lever les restrictions dans plusieurs secteurs allant des produits agricoles aux véhicules à moteur ».

Comme l’indique leur dénomination, les Daps constituent des mécanismes « provisoires ». À trop vouloir engranger des profits, les exportateurs de pommes et les spéculateurs indisposent les consommateurs irrités de voir les prix s’envoler. Par ailleurs, ils portent un tort à la politique de reconquête du marché intérieur par la production locale.

La filière bénéficie largement du soutien de la puissance publique à travers l’électrification des exploitations, les autorisations de forage, les aides à l’exportation et les Daps. Le professionnalisme doit être de rigueur sous peine de voir, comme dans la filière ovine, un éventuel recours aux importations.

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