Malgré la virulence des attaques qu’elle subit, l’Algérie ne verse pas dans l’invective dans sa gestion de la crise avec la France. Une crise qui a pourtant réduit la relation entre les deux pays à sa plus simple expression.
Dans leur communication officielle, les autorités algériennes évitent soigneusement d’impliquer les parties en France qui ne sont en rien responsables des tensions actuelles.
Elles ciblent ce qu’elles considèrent comme la source du mal : l’extrême-droite autour de laquelle gravitent les nostalgiques de l’Algérie française.
Il s’agit de ne pas tomber dans le piège des extrémistes dont le but ultime est de provoquer la rupture entre les deux pays, ce qui n’est dans l’intérêt ni de la France ni de l’Algérie.
Ces deux pays sont liés par une histoire commune, une dimension humaine unique – avec la présence de millions de personnes qui ont des liens avec l’Algérie – et partagent des préoccupations concernant la lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine.
À cela s’ajoutent des relations économiques denses et diversifiées, avec des échanges commerciaux qui ont atteint 11,8 milliards d’euros en 2023.
Algérie – France : des relations économiques et humaines denses
L’Algérie est le deuxième partenaire économique de la France en Afrique. « 6.000 entreprises françaises travaillent avec l’Algérie, et autant d’entreprises algériennes qui travaillent avec la France », rappelle le président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française Michel Bisac, dans une déclaration à TSA.
Dans la crise avec la France, l’Algérie marche sur des œufs. Tout en maintenant une ligne dure vis-à-vis de l’extrême-droite, elle ne perd de vue ses intérêts et ceux de sa diaspora en France.
Une forte dégradation ou une rupture des relations avec la France aurait un impact considérable sur les ressortissants algériens qui sont de plus en plus pris pour cible par l’extrême-droite et les médias proches de cette mouvance.
L’hostilité de ce courant à l’Algérie est antérieure aux événements de ces derniers mois et semaines, notamment la reconnaissance par la France de la “souveraineté marocaine” sur le Sahara occidental le 31 juillet dernier, l’arrestation la mi-novembre de l’écrivain Boualem Sansal ou encore l’interpellation début janvier en France d’influenceurs algériens appelant à la violence ou à la haine.
L’extrême-droite et une partie de la droite mènent campagne depuis près de deux ans pour la révocation de l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration.
Cela fait aussi plusieurs années que ces parties font de l’immigration algérienne le bouc émissaire de tous les maux de la France, s’opposent à toute “concession” dans le dossier mémoriel et font pression sur Emmanuel Macron pour se rapprocher du Maroc et se détourner de l’Algérie.
Il est donc évident que tous les évènements récents ont servi de prétexte à un courant politique et idéologique aux idées tranchées sur l’Algérie. Cela, l’Algérie l’a très vite compris.
Tebboune : « 65 % des Français n’ont rien à voir avec ça »
En octobre dernier, le président de la République Abdelmadjid Tebboune expliquait dans une interview télévisée que les questions brandies par le courant extrémiste en France sont des “épouvantails”.
Pour lui, l’accord franco-algérien de 1968 est devenu “un slogan politique qui est fait pour réunir leurs extrêmes”, le qualifiant d’ “étendard derrière lequel marche l’armée des extrémistes”.
“Nous n’allons pas rentrer dans ces futilités”, a-t-il dit. “Ils sont en train de raconter des histoires au peuple français (…) 65 % des Français n’ont rien à voir avec ça. C’est une minorité haineuse qui cultive la haine qui veut salir l’Algérie”, a asséné le président algérien, ajoutant notamment à l’adresse de Bruno Retailleau : “Votre tendance est connue, vous cherchez à faire détester l’Algérie aux Français”.
L’Algérie fait la distinction entre la France et son extrême-droite
Le 6 janvier, le ministre de la Communication, Mohamed Meziane, expliquait à partir d’Oran que l’Algérie faisait la distinction entre la France en tant que peuple et État et la France coloniale.
“Nous faisons la distinction entre le peuple français ami, avec lequel nous avons des liens d’amitié et de respect, la République française, à laquelle nous vouons tout le respect, et les autorités coloniales qui ont occupé injustement l’Algérie”, a-t-il dit, soulignant ainsi la position du gouvernement sur la crise avec la France.
Dans son communiqué du samedi 11 janvier relatif à l’affaire de l’influenceur “Doualemn” expulsé de France, le ministère des Affaires étrangères n’a pas dérogé à la ligne adoptée jusque-là, qui est de désigner avec précision la partie qui pousse au pourrissement.
Alors que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau avait accusé la veille l’Algérie de “chercher à humilier la France”, la diplomatie algérienne a dénoncé ”une extrême-droite revancharde et haineuse (…) qui mène actuellement une campagne de désinformation, voire de mystification, contre l’Algérie”, tout en rejetant toute “logique d’escalade, de surenchère ou d’humiliation” envers la France.
“C’est bel et bien l’extrême-droite et ses représentants qui veulent imposer à la relation algéro-française leurs vues faites de velléités d’intimidation, de menace et d’un bras de fer dont ils parlent sans retenue et sans nuances”, a appuyé la diplomatie algérienne.
L’Algérie a compris que ce n’est pas toute la classe politique française et encore moins toute la France qui pousse à la rupture, comme en témoignent les récentes sorties de plusieurs hommes et femmes politiques de gauche.
Sachant que l’extrême-droite est minoritaire au sein de la société française comme l’ont montré les législatives de l’été dernier, le gouvernement algérien focalise ses réponses sur sa cible.
« Nous ne voulons pas la guerre avec l’Algérie »
En France aussi, ce n’est pas toute la classe politique qui veut en découdre avec l’Algérie. « Nous ne voulons pas la guerre avec l’Algérie », a tranché le chef de la France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon jeudi 15 janvier lors d’un meeting.
Le groupe parlementaire de ce parti, le chef du Parti socialiste (PS) Olivier Faure et la patronne des Écologistes Marine Tandelier ont tous reproché à Bruno Retailleau de faire de la provocation dans l’affaire de l’expulsion ratée d’un influenceur algérien connu sous le pseudonyme Doualemn.
Ce dernier a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion par Bruno Retailleau jeudi 9 janvier, mais l’Algérie a refusé de l’accueillir et l’a renvoyé dans le même avion qui l’a transporté. Un refus qui a provoqué un tollé au sein d’une partie de la classe politique française et du gouvernement.
Dans la foulée, la menace des représailles contre l’Algérie a été brandie, mais la diplomatie a rapidement repris le dossier en main. Au sein du gouvernement français un discours de raison commence à se faire entendre.
“Ni l’Algérie, ni la France n’ont intérêt à ce que s’installe une situation de crise, une situation de tension. Nous sommes deux pays voisins, deux grands pays de la Méditerranée, nous avons intérêt à aplanir les difficultés”, a déclaré ce jeudi le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot.