La chute des exportations de blé français vers l’Algérie continue d’agiter les esprits en France. Après qu’une chroniqueuse d’Europe 1 s’est offusquée du changement en Algérie des normes à l’importation de blé, ce sont des professionnels français qui réitèrent leurs inquiétudes.
Côté algérien, l’opinion publique suit avec intérêt l’évolution la crise diplomatique avec la France et notamment les déclarations de l’extrême droite et de personnalités.
Récemment, Louis Sarkozy, le fils de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, a déclaré vouloir s’en prendre à l’ambassade de l’Algérie en France.
Le 11 janvier, dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères a démenti chercher l’escalade avec la France et a pointé une extrême droite française « revancharde et haineuse ainsi que ses hérauts patentés au sein du gouvernement français » de mener une campagne de désinformation à l’égard de l’Algérie.
De son côté, La France insoumise (LFI) a accusé Bruno Retailleau d’« entretenir l’escalade et de tenter de forcer la confrontation », rappelant que des millions de Français « vivent une relation directe d’affection et de fraternité respectueuse avec le peuple algérien ».
Consommateur algérien, un lien particulier avec le pain
Pour comprendre l’importance accordée par les pouvoirs publics algériens au commerce du blé, il faut avoir à l’esprit la relation particulière qui lie le consommateur au pain.
A Alger, il n’est pas rare de voir sortir d’une boulangerie un père de famille avec une dizaine de baguettes. Et jusque dans les années 1970, lorsqu’un gamin trouvait dans la rue un morceau de pain sec, il le ramassait religieusement pour le déposer sur un quelconque rebord de fenêtre après l’avoir porté à ses lèvres et à son front.
Plus récemment, lors du Covid 19, des consommateurs ont posté sur les réseaux sociaux des photos les représentant à côté de sacs de semoule de 25 kilos entassés dans leur appartement.
L’Office algérien des céréales (OAIC) a l’habitude de constituer des « stocks stratégiques » de céréales représentant plusieurs mois de consommation.
Actuellement, l’OAIC a entrepris la construction de silos à travers tout le pays pour stocker jusqu’à 90 millions de quintaux de céréales, l’équivalent de la consommation annuelle. Ces projets de silos ont été lancés sur instruction du président de la République Abdelmadjid Tebboune, qui a demandé aux walis de suivre personnellement l’avancée des travaux.
Augmentation de la consommation de céréales en Algérie
La consommation annuelle de céréales en Algérie atteint 200 kilos par habitant et augmente au rythme de l’accroissement de la population soit près d’un million de personnes par an.
L’amélioration du niveau de vie ces dernières années a fait que la part de la consommation de viande et de produits laitiers a augmenté. Conséquences, un tiers des terres céréalières est occupé par la culture de l’orge à destination de l’élevage.
Traditionnellement, c’est la France qui approvisionnait l’Algérie en céréales. Suite à sa visite en Algérie en 1981, le président François Mitterrand avait indiqué comprendre le désir de l’Algérie de revoir à la hausse le prix du pétrole algérien et un deal semble avoir été passé : céréales françaises contre pétrole et gaz algérien.
Un deal à l’image de celui passé entre le Maroc et la France : blé français contre tomates du Maroc.
Mais de 5,4 millions de tonnes de blé, les exportations françaises vers l’Algérie sont passées à moins d’un million de tonnes en 2023 selon les chiffres officiels.
Après la récolte de 2024, seul un bateau de près de 32.000 tonnes de blé français a été réceptionné en Algérie. Depuis plus rien. Certes, avec moins de 30 millions de tonnes, la récolte française de 2024 a été la plus mauvaise depuis les 40 dernières années estime l’interprofession française.
Pendant l’âge d’or, sur 5 tonnes de blé français exportées, 2 voire 3 allaient vers l’Algérie. Des exportations favorisées par le fait que pendant longtemps, les agriculteurs français ont bénéficié de subventions européennes accordées selon le quintal de blé produit, ce qui a encouragé une course au rendement au détriment de la qualité. L’interprofession a alors réagi en équipant les silos des organismes stockeurs en appareils de mesure du taux de protéines.
Cependant, que ce soit avec le Maroc ou l’Algérie, ce temps est révolu. Dès 2016, les importateurs marocains ont commencé à importer du blé russe meilleur marché que le blé français.
Côté algérien, à l’accusation de rétorsions économiques de la part de l’Algérie, suite à la position de la France vis-à-vis du Sahara occidental, l’OAIC a démenti en octobre 2024 les informations faisant état d’une l’exclusion « délibérée » des fournisseurs français de blé de son dernier appel d’offres précisant que ces rumeurs « étaient infondées ».
Cette baisse des importations algériennes a commencé en 2016. Cette année-là, comme en juillet 2024, d’abondantes pluies ont dégradé les récoltes de blé en France.
Une partie des blés prêts à être récoltés ont germé sur pied, un phénomène attesté par l’indice de chute de Hagberg (TCH).
En outre, les épis ont été atteints par la fusariose et les champs dégageaient une odeur de moisi. Résultats des blés déclassés car inaptes à la panification. Plus grave, la présence de mycotoxines de type Déoxynivalénol (D.O.N) cancérogènes sur les grains a été détectée.
Céréales : changement du cahier des charges en Algérie
Face à l’impossibilité de couvrir la totalité de ses besoins, l’OAIC mais aussi le General Authority for Supply Commodities (GASC) en Egypte ont alors commencé à s’intéresser aux blés de la mer Noire dont le blé russe. Un blé moins cher que le blé français.
En 2018, le mensuel français Perspectives Agricoles céréalière faisait état de l’engouement pour le blé russe en Afrique, notamment au Maroc et au Nigeria où l’une des plus importantes meuneries déclarait travailler « avec 100 % de blé russe, car la farine boulangère russe possède d’emblée les critères recherchés ».
Cependant le cahier des charges de l’Office algérien des céréales (OAIC) ne tolérait que 0,2% de blés punaisés alors que les blés de la mer Noire avoisinaient les O,5%, cependant avec un bon taux de protéines.
Un paramètre particulièrement apprécié par les meuniers et les consommateurs algériens, d’autant plus qu’en Algérie dans les villes du littoral, l’humidité a vite fait de dégrader la qualité du pain d’où le qualificatif de « pain caoutchouc » donné par les consommateurs au pain confectionné avec de la farine habituellement importée.
Entre d’un côté, du blé français germé non panifiable même en étant coupé et contaminés aux D.O.N et de l’autre, un risque de blé punaisé qui peut cependant être coupé, l’Algérie a tranché en modifiant à la baisse ses exigences quant au pourcentage de blé punaisé.
En 2019 une délégation algérienne a assisté au World Food Moscow puis un premier lot de blé russe a été importé ouvrant la voie à des achats.
A partir de 2022-23, l’augmentation des importations de blé russe s’est faite au détriment du blé français mais également d’autres origines. Pour la campagne de commercialisation 2024-2025, les achats algériens de céréales russes devraient atteindre 3 millions selon la mission commerciale de la Russie en Algérie.
Blé français, à qui vendre les futures récoltes ?
Fin août 2019, suite à une récolte exceptionnelle, Michel Portier, du cabinet Agritel, s’inquiétait de la bataille commerciale à venir : « Après avoir réalisé la 2ème meilleure récolte de blé tendre de son histoire avec 39,2 Mt, la France va désormais devoir relever un challenge de taille à l’export : commercialiser plus de 20 Mt de blé ! »
Il ajoutait : « Une performance que nous n’avons atteint que 3 fois jusqu’ici », qu’en sera-t-il si en 2025 la récolte de céréales reprend des couleurs ? Alors que les blés de la mer Noire inondent aujourd’hui les marchés et que fleurissent en France des déclarations à l’emporte-pièce envers l’Algérie, le blé origine France trouvera-t-il encore preneur ?
D’autant que les menaces de l’extrême droite de sanctionner l’Algérie n’arrangent pas les affaires des céréaliers français.