Les signaux d’alarme sur la situation sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 en Algérie se multiplient de la part des professionnels de la santé et des autorités publiques.
Mais avec un bilan journalier légèrement supérieur à 300 cas et moins de décès quotidiens, la situation nécessite-t-elle un tel alarmisme ? Beaucoup se posent la question, mais pour les spécialistes, c’est la réalité du terrain qui compte.
La réalité du terrain
Pour ceux que nous avons interrogés, une chose est certaine : les statistiques officielles se basent sur les personnes diagnostiquées par PCR.
« Le bilan (des contaminations journalières) se base uniquement sur le nombre de PCR réalisées. Si la PCR est positive, le patient est déclaré positif (au Covid). Par contre, sur le terrain, c’est autre chose », explique le Pr Abderrazak Bouamra, le chef du service de réanimation du CHU de Blida qui signale que l’Algérie réalise en réalité peu de tests PCR. « En comparaison avec des pays voisins, les pays européens par exemple, il y a un écart très important », observe-t-il.
« 200 000 tests PCR, un chiffre très faible »
Récemment sur l’ENTV, le Dr Fawzi Derrar, DG de l’Institut Pasteur d’Algérie (IPA), a évalué le nombre de tests PCR réalisés en Algérie depuis le début de l’épidémie à 200 000 unités.
« L’IPA a essayé de faire un effort en multipliant le nombre de centres de dépistages par PCR. Mais avec 200 000 tests réalisés, le chiffre reste très faible, malgré les efforts déployés. Les 200 000 tests est un chiffre qui pouvait être réalisé en un jour au début de l’épidémie par un pays comme l’Allemagne. Ou encore un pays comme la France qui réalise 100 000 tests/jour (1,8 million de tests PCR depuis le début de l’épidémie, ndlr). L’écart est très important, cela n’empêche pas de dire que l’IPA a fait un effort », fait remarquer le Pr Bouamra.
Un constat qui n’est pas loin de celui du Pr Rachid Belhadj, chef du service médecine légale du CHU Mustapha (Alger). « La problématique sur les chiffres diverge sur le diagnostic. Le bilan officiel prend en considération les PCR positives. Mais nous soignons des malades à partir des images radiologiques surtout lorsqu’il s’agit de lésions jusqu’à 50 %. Voilà pourquoi les chiffres sont différents de ceux déclarés », explique le Pr Belhadj.
« Au CHU Mustapha, nous faisons bénéficier nos patients des examens biologiques, d’un ECG, d’un examen clinique, et aussi d’un examen scanographique. Et alors, on se retrouve devant des situations avec des lésions de -10 % et une PCR positive. Il arrive qu’on ait aussi des personnes asymptomatiques avec une sérologie positive et, effectivement, lorsqu’on les examine au scanner on retrouve des lésions à 10 %. Tout cela n’est pas recensé par le ministère de la Santé qui prend en compte les PCR envoyées par les hôpitaux et qui souvent arrivent tardivement », détaille le Pr Belhadj.
« Nous vivons une situation où tout est axé sur la Covid-19 »
Le chef du service médecine légale du CHU Mustapha signale aussi une divergence sur le nombre de décès du Covid-19. « Hier, par exemple, on a recensé 7 décès à l’échelle nationale. Or, avant-hier au CHU Mustapha, j’ai eu sept décès Covid. Mais en tant que légiste ces gens ne meurent pas de Covid. Ils décèdent beaucoup plus de la décompensation de leurs pathologies », explique notre interlocuteur.
« Nous vivons une situation où tout est axé sur la Covid-19. Au CHU Mustapha, on a dit qu’il faut prendre aussi en charge les malades chroniques qui décompensent dangereusement, tels que les cancéreux, les diabétiques, les insuffisants rénaux, les cardiopathes, et les malades qui ont des pathologies respiratoires. Il suffit que la maladie décompense et d’une petite infection Covid, pour que le malade décède », ajoute-t-il.
Autrement dit, souvent des malades décèdent plus des suites des complications de leurs pathologies chroniques que du Covid-19.
En matière des besoins en lits d’hospitalisation, une pression est également enregistrée dans les hôpitaux. « À Blida, nous connaissons une tension. Et ceci s’explique par l’augmentation du nombre de personnes qui nécessitent une hospitalisation », confirme le Pr Bouamra.
Mais l’hôpital n’est pas saturé, et il y a encore des lits libres, que ce soit dans le service réanimation ou le service dédié au Covid, précise-t-il. « Nous avons même rouvert quelques services pour arriver à prendre en charge les malades dont le nombre ne cesse d’augmenter. Ceci étant, il y a un besoin en matière d’hospitalisations », rappelle-t-il.
Situation quasi identique au CHU Mustapha où le service de réanimation « affiche complet », selon le Pr Belhadj. « Nous avons 35 lits en réanimation intensive et depuis une semaine nous affichons complet », certifie-t-il.