Dans cet entretien à TSA, Abdelouahab Yagoubi, député des Algériens de France, revient sur l’impact de la crise diplomatique entre Alger et Paris sur la diaspora algérienne en France.
Il propose de dépolitiser la question des OQTF, et de faire participer les députés de la communauté algérienne ainsi que les groupes parlementaires d’amitié des deux pays pour trouver des solutions.
Abdelouahab Yagoubi évoque un climat de peur de peur et d’incertitude au sein de la diaspora algérienne en France, et les conséquences d’une rupture des relations entre l’Algérie et la France sur la communauté algérienne dans ce pays.
Quelle est la situation de la diaspora algérienne en France dans le contexte de la crise entre Paris et Alger ?
Merci tout d’abord à TSA pour me donner l’occasion de m’exprimer sur cette question qui touche directement les Algériens résidents en France.
Pour revenir à votre question, oui la communauté algérienne en France est profondément affectée par ces fluctuations des relations entre Paris et Alger.
Chaque crise diplomatique entre les deux pays entraîne une influence directe sur notre communauté, compliquant à la fois leur situation administrative et leur sentiment d’appartenance.
Pour rappel, lors des tensions de 2021, la France a décidé de limiter le nombre de visas délivrés aux Algériens, ce qui a eu un impact direct sur ceux qui ne pouvaient plus recevoir leur famille.
D’autres part, les Franco-Algériens se retrouvent fréquemment au centre des débats en France, notamment sur des sujets comme l’immigration et l’intégration. Certains responsables politiques français critiquent même leur double nationalité en période de tensions diplomatiques.
Cependant, il est essentiel de reconnaître que la majorité de la communauté algérienne est un acteur clé dans les relations bilatérales. Elle participe activement à la vie économique, sociale et culturelle en France, ainsi qu’à la coopération économique et aux discussions mémorielles sur la colonisation et la guerre d’Algérie.
La France doit faire face à cette part sombre de son histoire, tout en valorisant ses contributions universelles en matière de liberté et de droits humains.
Depuis le début de la crise, rares sont les personnalités de la diaspora algérienne en France qui se sont exprimées. Pourquoi ?
Il est vrai que de nombreuses personnalités de la communauté algérienne en France restent silencieuses face à cette crise, et ce silence peut être expliqué par plusieurs facteurs.
D’abord, la complexité de la situation, politiquement et socialement sensible, rend difficile l’adoption d’une position claire sans risquer de diviser ou d’offenser une partie de la communauté algérienne ou de la société française dans sa diversité.
En outre, l’éloignement géographique et l’accès limité à une information complète et objective compliquent la compréhension des événements, surtout dans un contexte où l’information peut être contrôlée ou manipulée.
De plus, certains membres influents de la communauté algérienne en France ont des liens économiques, politiques ou institutionnels avec les deux pays, ce qui les pousse à la prudence.
L’absence de plateforme médiatique ou de relais pour exprimer leurs opinions empêche parfois ces voix de se faire entendre. Enfin, pour éviter que leurs propos soient récupérés à des fins politiques, certains choisissent de rester discrets afin de ne pas être instrumentalisés par certains acteurs politiques.
Les membres de la diaspora ont-ils peur d’être des victimes collatérales de la crise ?
Oui, certains membres de la communauté algérienne en France, notamment les plus vulnérables, redoutent d’être des victimes collatérales de la crise, et certains le sont probablement déjà.
Beaucoup évitent de prendre position par crainte de subir des représailles, telles que le harcèlement, les arrestations arbitraires ou d’autres formes d’intimidation.
Dans certains cas, les autorités peuvent restreindre les déplacements en refusant leur retour ou même en les arrêtant à leur arrivée. Des cas d’intimidation et même de sanctions ciblées ont été rapportés. Ainsi, si certains sont déjà victimes de ces pressions, d’autres préfèrent se taire pour éviter d’être pris pour cible.
Les deux pays sont proches de la rupture. Un tel scénario est-il possible ? Quel serait l’impact sur la diaspora algérienne ?
Si les deux pays s’approchent de la rupture, un tel scénario pourrait avoir des conséquences profondes, y compris pour notre communauté.
Une escalade des tensions diplomatiques ou des sanctions mutuelles pourrait précipiter cette rupture. Sur le plan économique, bien que les deux pays soient interdépendants, une rupture totale resterait envisageable si les tensions devenaient incontrôlables.
Des alliances extérieures pourraient également influencer la dynamique, certains acteurs internationaux cherchant à apaiser la situation tandis que d’autres pourraient l’exploiter.
Les membres de la communauté ayant des attaches dans les deux pays risqueraient de perdre leur liberté de circulation, se retrouvant bloqués d’entrée dans l’un ou l’autre.
Il est crucial d’œuvrer pour éviter une telle issue. Le dialogue et la diplomatie restent essentiels, avec des canaux de communication officiels et informels permettant de limiter l’escalade. Une communauté bien organisée pourrait jouer un rôle de médiation et peser en faveur d’une désescalade.
Le ministre de l’Intérieur français Bruno Retailleau menace de sanctionner Air Algérie qui refuse d’embarquer les Algériens expulsés dans laissez-passer consulaire. Certains en France propose même de suspendre les vols entre les deux pays. Faut-il envisager une suspension des vols entre l’Algérie et la France ?
Une suspension des vols entre l’Algérie et la France aurait d’importantes répercussions diplomatiques, économiques et humaines.
Elle constituerait une escalade des tensions et pourrait entraîner des représailles de la part d’Alger. La communauté algérienne en France serait particulièrement touchée, avec des difficultés de déplacement pour les familles, les étudiants et les travailleurs. L’économie en souffrirait également, notamment dans les secteurs des compagnies aériennes, du tourisme et des échanges commerciaux.
L’OACI ne pourrait pas empêcher une telle suspension si elle résulte d’une décision politique, mais elle pourrait jouer un rôle de médiation en cas de violation d’accords internationaux. Le dialogue diplomatique reste la meilleure option pour éviter une crise prolongée.
La question des OQTF est au cœur de la crise entre Alger et Paris. Comment la résoudre ?
La crise des OQTF ne pourrait être résolue que par un dialogue diplomatique renforcé et un cadre de coopération équilibré. Associer les députés de la communauté algérienne en France et les groupes d’amitié parlementaire des deux parlements aux discussions permettrait d’identifier des solutions respectueuses des droits des personnes concernées.
Des mesures justes, comme le respect des voies de recours des justiciables, faciliteraient la coopération entre les deux pays. Il est essentiel de dépolitiser la question et d’adopter une approche pragmatique et humanitaire pour éviter qu’elle ne devienne un levier de pression diplomatique. Un compromis est nécessaire pour prévenir une crise prolongée préjudiciable aux deux grands pays.