Le président Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé, dans un long entretien accordé au journal français L’Opinion, sur la crise entre l’Algérie et la France. Il a répondu aux attaques de l’extrême droite, a évoqué les accords de 1968, les relations avec la DGSE, la DGSI, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, Boualem Sansal…
Éric Ciotti, le « petit jeune » Jordan Bardan…
« Mais, plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu. Il y a des déclarations hostiles tous les jours de politiques français comme celles du député de Nice, Éric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’« État voyou » ou du petit jeune du Rassemblement national [Jordan Bardella] qui parle de « régime hostile et provocateur » », a critiqué le président Tebboune.
Le président de la République s’étonne que ces personnalités de l’extrême droite « aspirent un jour à diriger la France ». « Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays », a-t-il dit.
Sur le Sahara occidental, le chef de l’État a révélé avoir mis en garde son homologue français Emmanuel Macron des conséquences sur les relations avec l’Algérie de la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara occidental.
La réponse cinglante de Tebboune à Marine Le Pen
C’était lors de sa rencontre en marge du G7 le 13 juin dernier à Bari en Italie que les deux présidents se sont entretenus pendant 2 h 30. Tebboune révèle avoir dit à Macron : « Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre ». Le président de la République a mis en avant le statut de la France, qui en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, comme « protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé ».
Sur les menaces de Marine Le Pen qui a affirmé que si elle était élue présidente, elle ferait avec l’Algérie ce que le président Donald Trump a fait avec la Colombie pour la forcer à reprendre ses immigrés clandestins, le président Tebboune a rappelé le passé de l’extrême droite française.
« Ce sont des « analphabétises ». Les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force. Il y a encore dans l’ADN de ce parti des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats », a déploré le président Tebboune.
Avec la fille de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national devenu Rassemblement national, au pouvoir en France, Abdelmadjid Tebboune n’a pas caché ses inquiétudes pour l’avenir des Algériens dans ce pays. « Moi, je m’interroge sur la manière dont Madame Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir : veut-elle une nouvelle rafle du Vel d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? »
Le président de la République a rappelé que l’Algérie est la troisième puissance économique et la deuxième puissance militaire en Afrique, en estimant que l’utilisation de la force, comme prônée par Marine Le Pen, est un « non-sen absolu ». Mais le chef de l’État a dit : « Nous sommes prêts à dialoguer ».
Aide au développement : l’Algérie « n’a pas besoin de cet argent »
Dans la question suivante, il a répondu à la polémique lancée par l’extrême-droite sur l’aide au développement de la France à l’Algérie.
« Cela relève d’une profonde méconnaissance de l’Algérie. C’est de l’ordre de 20 à 30 millions par an. Le budget de l’État algérien est de 130 milliards de dollars et nous n’avons pas de dette extérieure », a énuméré Abdelmadjid Tebboune, mais l’Algérie, a-t-il ajouté, n’a pas besoin de cet argent qui « sert avant tout les intérêts d’influence extérieure de la France. »
Sur l’influenceur Doualemn, dont l’expulsion ratée le 9 janvier dernier a aggravé la crise entre les deux pays, le président Tebboune a précisé qu’il « ne veut pas imposer à la France des Algériens en situation irrégulière ».
« Nous avons d’ailleurs accordé 1.800 laissez-passer consulaires l’année dernière. Mais il faut respecter les procédures légales », a-t-il dit. Dans la foulée, il a accusé le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, d’avoir « voulu faire un coup politique en forçant son expulsion », et a rappelé qu’il a été retoqué par la justice française qui a annulé l’arrêté d’expulsion d’urgence.
Le président Tebboune a dit que la France « donne la nationalité ou le droit d’asile à des personnalités qui ont commis des crimes économiques ou qui se livrent à de la subversion sur le territoire français ». Il a réclamé que la France accède aux demandes d’extradition formulée par l’Algérie, à l’instar de l’Espagne, de l’Allemagne, de l’Italie.
Le président Tebboune a expliqué que le bras de fer ne marche pas avec l’Algérie, et a rappelé que Gérald Darmanin, le prédécesseur de Retailleau, a cherché « à nous forcer la main » au début de son règne à Place Beauvau, avant de venir à Alger.
Sur le nombre de clandestins algériens en France, Tebboune a révélé que l’Algérie a délivré 1.800 laissez-passer consulaires en 2024, mais il a précisé qu’il y a « peu d’entrées illégales », et que la « plupart de mes compatriotes arrivent en France avec des visas pour étudier ou exercer comme médecins, avocats ou ingénieurs, sans que cela pose de problème aux autorités. »
À ceux qui appellent en France à l’abrogation de l’accord de 1968, le président Tebboune a laissé la balle dans leur camp. « Pour moi, c’est une question de principe. Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies. Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 ? ».
Tebboune : l’affaire Sansal est « scabreuse »
Il a réitéré sa position sur ce texte qu’il considère comme une « coquille vide » qui permet le « ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade. » Sur Boualem Sansal qui a été arrêté le 16 novembre dernier à l’aéroport d’Alger avant d’être écroué et poursuivi pour atteinte à l’intégrité nationale, Tebboune a dit : « C’est une affaire scabreuse visant à se mobiliser contre l’Algérie. »
Tebboune a rappelé que Boualem Sansal est « d’abord Algérien depuis soixante-quatorze ans », et que c’est un « retraité algérien ». Il a indiqué que la veille de son voyage en Algérie, il a diné avec Xavier Driencourt qui a été deux fois ambassadeur de France, et qui mène campagne pour l’abrogation de l’accord de 1968 et des sanctions contre l’Algérie.
Sur la possibilité d’accorder la grâce présidentielle à Sansal, le président Tebboune est resté vague : « Je ne peux présager de rien. »
Tebboune : « Tout ce qui est Retailleau est suspect »
Sur la coopération sécuritaire entre l’Algérie et la France, Tebboune a clarifié les choses. Tout en confirmant la visite du patron de la DGSE le 13 janvier à Alger pour parler du cas du repenti « Abou Rayan », il a déclaré que « tout ce qui est « Retailleau » est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays. »
Le président de la République a donc expliqué que la coopération entre les services de sécurité algériens et la DGSI française qui dépend du ministère de l’Intérieur est à l’arrêt.
« Il n’y a donc plus de coopération, à l’inverse de la DGSE qui a su garder ses distances », a-t-il dit. La DGSE, dépend-elle du ministère des Armées français ?
Grande Mosquée de Paris : Tebboune soupçonne Retailleau de chercher à remplacer Hafiz
Le président Tebboune a accusé Bruno Retailleau qui veut lancer des enquêtes sur ses biens, pour « remplacer, à terme », le recteur de la Grande Mosquée de Paris qu’il a défendu.
Le chef de l’État a jugé probable que certains pays arabes, sans les citer, « sont en train de jouer avec le feu en voulant affaiblir le recteur actuel avec la complicité de Bruno Retailleau ».
Sur les factures impayées des soins des Algériens en France, le président Tebboune a dit que le montant restant à payer est de 2,5 millions d’euros, et a annoncé la décision de l’Algérie de ne plus envoyer ses ressortissants se soigner en France. Il a démenti le montant de 44 millions d’euros avancé par les médias français, dont L’Opinion.
« Ils vont dans d’autres pays européens, comme l’Italie, la Belgique ou encore la Turquie. C’est le résultat de toutes ces tracasseries que nous subissons ».
Entre 2010 et 2023, l’Algérie a transféré plus de 116 millions d’euros aux hôpitaux français.
Algérie – France : Tebboune prêt à reprendre le dialogue, mais…
Sur la reprise du dialogue entre l’Algérie et la France, le président Tebboune a exprimé sa disponibilité à le faire, mais à condition qu’il ait des déclarations fortes de son homologue français.
« Tout à fait. Ce n’est pas à moi de les faire », a dit Tebboune en parlant des déclarations fortes pour reprendre langue, en soulignant que les médias de Vincent Bolloré ont pour « mission quotidienne » de « détruire l’image de l’Algérie. »
Le président Tebboune a estimé que des personnalités politiques françaises comme Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Chevènement, Dominique de Villepin et Ségolène Royal, que « nous respectons », puissent s’exprimer dans les médias français pour apaiser les relations entre les deux pays.
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