Économie

Crise Algérie – France : une guerre commerciale est-elle possible ?

Brahim Guendouzi est professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien à TSA, il apporte un éclairage sur les risques d’une guerre économique entre l’Algérie et la France dans un contexte de grave crise diplomatique entre les deux pays.

Brahim Guendouzi évoque aussi l’avenir des entreprises françaises sur le marché algérien, les négociations entre l’Algérie et l’UE sur l’accord d’association…

Les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France ont baissé en 2024 après trois années consécutives de hausse. Ils se sont établis à 11,1 milliards d’euros, contre 11,6 milliards en 2023. Cette baisse est-elle due à la crise diplomatique entre les deux pays ? 

En 2024, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France ont diminué, atteignant 11,1 milliards d’euros, soit une chute de 4,3 % par rapport à 2023.

Cette réduction est principalement due à la baisse des prix des hydrocarbures sur le marché international. Les tensions politiques et diplomatiques entre les deux pays ont également joué un rôle significatif.

D’autant que l’Algérie a mis en place des mesures pour réguler ses importations et encourager la production locale, afin de réduire sa dépendance économique vis-à-vis de certains partenaires étrangers, dont la France.

On ressent déjà sa perte d’influence sur le marché algérien, même si elle continue à garder pour l’instant un statut de partenaire commercial important, notamment dans les secteurs des produits industriels, des matériels de transport et des équipements mécaniques, électriques et électroniques.

Néanmoins, il serait réducteur de dire que cette perte de position de la France dans l’économie algérienne, est due à la seule cause de la crise actuelle.

Dans le contexte de crise diplomatique actuel, une rupture des relations commerciales est-elle envisageable ?

Les tensions politiques et diplomatiques entre l’Algérie et la France ont effectivement mis les relations commerciales entre les deux pays sous pression.

L’exacerbation de la crise actuelle a créé une fracture profonde dont les séquelles seront incommensurables pour les deux pays et ce, pour de très longues années.

D’ailleurs l’on s’étonne pourquoi le gouvernement français et une partie de la classe politique qui lui est proche, en font de l’Algérie un point de fixation allant jusqu’à fixer un ultimatum, dénoncer un accord bilatéral vieux de de 57 ans (accord de 1968), dresser une liste de dirigeants indésirables sur le sol français, refuser l’accès à des Algériens porteurs de passeport diplomatique, vouloir renvoyés en Algérie comme des colis des citoyens résidents en France sans aucun procès en justice, s’en prendre à une compagnie aérienne nationale, etc.

On a l’impression que la France officielle fait fi de ses intérêts économiques et commerciaux avec l’Algérie, laquelle représente pourtant le second débouché pour ses produits en Afrique, un stock d’investissements directs de 2,8 milliards d’euros et plusieurs dizaines d’entreprises y sont installées.

La France feint d’ignorer que l’Algérie est le quatrième pays francophone de la planète et que c’est un pays méditerranéen engagé avec d’autres du voisinage pour faire de l’espace euro-méditerranéen une zone de paix et de coopération.

L’Algérie applique les engagements de la COP 21 et l’accord de Paris sur le climat et la transition énergétique.

Au plus fort moment de la crise russo-ukrainienne en 2021, l’Algérie a honoré ses engagements en tant que fournisseur principal en gaz naturel du marché européen, dont celui de la France.

 Avec tout cela, il est logique que les relations commerciales bilatérales soient complètement fragilisées et donc pourraient être affectées plus encore au fur et à mesure des nouvelles mesures économiques ou diplomatiques hostiles.

Dans le domaine économique, est-ce que c’est la France qui a besoin de l’Algérie ou le contraire ?

Bien que la crise diplomatique ait un impact sur les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France, il est peu probable que l’un des deux pays puisse se passer complètement de l’autre à court terme.

Les deux nations sont économiquement interdépendantes, et leurs échanges commerciaux sont significatifs.

Elles devront probablement trouver des moyens de surmonter leurs différends pour maintenir intactes leurs relations économiques.

En effet, malgré que les exportations françaises de marchandises à destination de l’Algérie ne représentent que 0,8 % du commerce extérieur total français, il existe par ailleurs une dépendance énergétique non négligeable puisque le GNL algérien représente 18 % des approvisionnements de la France, en plus des fournitures du pétrole brut dont la qualité (le sahara blend) est très appréciée par les raffineurs.

Les tensions diplomatiques entre les deux pays pourraient perturber l’approvisionnement énergétique, ce qui obligerait la France à chercher d’autres fournisseurs, potentiellement à des coûts plus élevés et des défis logistiques.

L’Algérie de son côté, intensifie ses efforts pour diversifier ses partenaires commerciaux, réduisant ainsi les parts de marché des entreprises françaises.

En cas de rupture des relations commerciales, qui sera le perdant en premier lieu ? Les entreprises françaises ou les groupes algériens ?

Bien que confrontées à un climat d’incertitude, les entreprises françaises continuent de fonctionner normalement pour le moment en Algérie.

Cependant, les tensions diplomatiques et les restrictions algériennes sur les importations de produits finis pourraient compliquer la situation à long terme.

En effet, les firmes françaises implantées sur le sol algérien expriment des préoccupations quant à la pérennité de leurs activités.

En définitif, leur résilience mise à rude épreuve, dépendra de la capacité des deux gouvernements à trouver des solutions diplomatiques et à maintenir un climat favorable aux affaires.

Aussi, comment pourrait-on renforcer les relations commerciales entre les deux pays et consolider les entreprises qui s’échangent des biens et services et investissent, sans la libre circulation des personnes, quand on sait par ailleurs que la France fait de la délivrance des visas un instrument de pression sur l’Algérie ?

L’Algérie veut renégocier l’accord d’association avec l’UE. Qu’est-ce qui doit être revu et qui a intérêt aujourd’hui à la conclusion d’un nouvel accord ?

Devenue un vaste marché ouvert aux entreprises européennes, l’Algérie n’arrive pas à placer ses produits dans un quelconque circuit de distribution des pays membres de l’UE, du fait de la forte protection non-tarifaire appliquée par la Commission de Bruxelles.

À cet égard, la conjoncture actuelle se caractérisant par des évolutions économiques majeures touche aussi bien les pays de l’UE que l’Algérie et ce, depuis les retombées de la pandémie du Covid, passant par la crise énergétique enclenchée par le conflit militaire russo-ukrainien, jusqu’au récentes menaces de protectionnisme du nouveau locataire de la Maison Blanche, Donald Trump.

 Aussi, l’Accord d’association n’étant pas figé dans le temps, sa renégociation s’avère opportune pour explorer de nouveaux domaines de coopération et de partenariat, et en même temps apporter tous les correctifs nécessaires aux insuffisances et déséquilibres constatés après près de vingt années de mise en œuvre.

Il est primordial de valoriser ce qui a le mieux fonctionné entre les partenaires algériens et européens, tout en ayant un regard novateur sur ce qu’il y a lieu d’entreprendre en commun dans plusieurs secteurs et ce, sur le moyen et long terme.

À cet effet, la dimension énergétique sera fortement présente dans la renégociation du fait que l’Algérie soit un fournisseur de premier plan en gaz naturel du marché européen.

Les perspectives d’approfondissement de la coopération énergétique, notamment avec le projet SoutH2, liant l’Algérie à trois pays de l’UE (Italie, Allemagne et Autriche), concernant l’hydrogène vert, ainsi que d’autres aspects liés au processus de décarbonation des activités industrielles et de mobilité, seront mis en avant par les négociateurs européens.

L’Algérie est-elle vraiment prête, vue la faiblesse de ses exportations hors hydrocarbures et de son industrie, à concurrencer les produits européens ?

Les attentes de l’Algérie s’orientent principalement sur l’accès des produits nationaux aux marchés européens, dont il faudra trouver les outils et mécanismes commerciaux susceptibles d’en faciliter la pénétration dans l’espace européen, sans cela il ne saurait y avoir d’échanges équilibrés.

Évidemment, il s’agit là d’une vision de moyen terme qui permettra aux entreprises algériennes de pouvoir placer leurs produits sur des marchés aussi concurrentiels que ceux européens.

L’évolution de l’économie algérienne grâce au processus de diversification en cours, lui permet de réaliser des gains de productivité et de réussir à produire des biens compétitifs dans la pétrochimie, la sidérurgie, l’agro-alimentaire, etc.

Il faut donc leur préparer dès maintenant le marché de demain. D’autant plus qu’avec l’entrée en vigueur du mécanisme CBAM (Carbon Border Adjusment Mechanism) en janvier 2026, les exportateurs algériens risquent d’être pénalisés avec la taxe carbone qui sera appliquée.

L’Algérie doit-elle conditionner l’ouverture de son marché aux produits européens par des engagements pour des investissements ?

Les attentes en termes d’investissements directs étrangers (IDE) sont également présentes dans le processus de renégociation de l’Accord d’association.

Les firmes européennes sont invitées à venir investir en Algérie en mettant en avant les avancées réalisées dans la législation, l’amélioration du climat des affaires et les opportunités d’affaires présentes dans plusieurs secteurs comme les mines, la pétrochimie, l’agroalimentaire, la métallurgie, etc.

D’ailleurs, l’un des principaux reproches à l’UE est justement la faiblesse des flux d’IDE européens vers l’Algérie.

Il est clair que les priorités de l’économie algérienne vont à la sécurité alimentaire et hydrique, la diversification et la densification de son tissu industriel, la formation du capital humain et le transfert du savoir-faire et l’innovation.

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