Le Mali se dirige tout droit vers la guerre civile, après la décision de la junte militaire au pouvoir à Bamako de dénoncer l’Accord d’Alger. Pour l’Algérie qui maintient le cap, la situation dans ce pays est extrêmement préoccupante.
La décision d’enterrer l’Accord de paix issu du processus d’Alger qui a été annoncée vendredi 26 janvier a été accompagnée d’une violente attaque contre l’Algérie, garant de cet accord et soutien historique de l’intégrité territoriale du Mali.
Méthodiquement, depuis le coup d’État de 2021, la junte militaire a suivi, sans surprise, le même chemin que les précédents putschistes. Elle a adopté la stratégie dite de l’artichaut en s’attelant à se débarrasser, petit à petit, de l’Accord d’Alger, avec comme principal objectif de rester au pouvoir aussi longtemps que possible.
Le scénario est huilé et il est connu de tous : à chaque coup d’État au Mali, les nouveaux dirigeants s’attaquent à l’Accord d’Alger en miroitant au reste du peuple la possibilité de régler la crise avec le nord, par la force.
Et chaque fois, c’est l’échec, et le retour aux négociations et à la médiation algérienne.
Pour preuve, l’accord d’Alger, signé en 2015, est le quatrième du genre depuis 1990. La signature de quatre accords en 33 ans est la conséquence de l’instabilité politique du Mali. Elle montre que le problème de l’unité territoriale du Mali est loin d’être réglé.
Si cet accord a évité au Mali la partition de son territoire, il n’a pas encore permis de résoudre définitivement la crise qui frappe ce pays depuis son indépendance.
La décision des nouveaux maîtres de Bamako d’enterrer unilatéralement cet accord renvoie le Mali à la situation d’avant 1990 quand il était au bord de la partition. À l’époque, les rebelles de l’Azawad réclamaient l’indépendance.
La médiation algérienne a pu les convaincre de baisser le plafond de leurs revendications, en échange d’une forme d’autonomie pour le nord du Mali, de l’intégration de leurs combattants dans les forces armées maliennes et de réserver 30 % du budget du pays au développement des régions du nord.
Cet accord ne fait pas l’unanimité au Mali et c’est ce que les putschistes utilisent à chaque fois pour le dénoncer, sans offrir d’alternatives sérieuses, à part la solution militaire qui a montré son inefficacité.
À Alger, la dénonciation de l’accord signé en 2015 n’a pas constitué une surprise. La junte militaire qui s’y préparait depuis deux ans a multiplié les signaux trahissant ses véritables intentions.
Elle a commencé par refuser d’assister aux rencontres, puis elle a exigé que les discussions autour de cet accord se tiennent exclusivement à Bamako, avant de remettre en cause la crédibilité de la médiation internationale, de chasser la Minusma en 24 heures et d’attaquer Kidal avec des drones turcs achetés au prix d’or, avec le soutien financier d’un pays étranger, puisque le Mali n’a pas les moyens financiers d’acquérir des armements sophistiqués.
Sur sa lancée, la junte militaire a provoqué en décembre dernier une crise diplomatique avec l’Algérie à qui elle a reproché d’avoir accueilli des représentants des rebelles signataires de l’Accord d’Alger.
Ces représentants ont été reçus par le président Abdelmadjid Tebboune qui leur a demandé de calmer la situation, après l’attaque de Kidal par la junte militaire en novembre dernier.
L’Algérie a pu obtenir des engagements de leur part pour éviter au Mali la reprise des affrontements armés, ce que la junte militaire n’a pas apprécié.
Les nouveaux maîtres de Bamako se servent de cette dénonciation pour se maintenir au pouvoir et plaire à une partie de la population malienne hostile à cet accord.
Les clés pour comprendre la crise au Mali
« La première victime de la dénonciation de l’Accord d’Alger est le Mali. Cette décision va rallumer le feu de la discorde. La guerre civile va reprendre, c’est certain », regrette une source algérienne proche du dossier.
Sans retenir des leçons du passé, et malgré l’inefficacité prouvée de la solution militaire, la junte malienne s’entête à traiter la crise qui frappe le pays avec le même vieux logiciel rouillé, alors que la donne a complètement changé.
Le Mali fait face aujourd’hui à deux menaces majeures pour son intégrité territoriale et sa stabilité : les rebelles du nord et les groupes terroristes qui contrôlent une bonne partie du territoire malien.
Comme l’a dit récemment le ministre des Affaires étrangères algérien, Ahmed Attaf, il y a désormais des armées terroristes au Sahel qui ont acquis des équipements militaires développés de Libye et conquis d’importants terroristes dans la région.
Selon un rapport de l’ONU, les superficies occupées par les terroristes au Sahel ont doublé en 2022.
En 1990, le Mali était confronté seulement au problème du mouvement Azawad au nord du pays.
En plus des fronts liés aux rebelles et aux terroristes, le Mali est confronté aussi à l’ingérence étrangère.
Sept pays aux intérêts contradictoires, dont la Russie, la Turquie, les États-Unis, le Maroc, les Émirats arabes unis, Israël via le Maroc, interfèrent dans les affaires maliennes, avec chacun son agenda et ses intérêts.
La présence russe via Wagner (devenu Africa Corps) pourrait transformer la région du Sahel en terrain de confrontation entre Moscou d’un côté et les Occidentaux, à leur tête les États-Unis, de l’autre.
Une perspective qui éloignerait toute solution pacifique au Mali. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la Libye voisine, où les mêmes forces étrangères empêchent ce pays de retrouver la stabilité depuis 13 ans.
Au Mali, le principal responsable de cette situation et des interférences étrangères est l’armée, avec ses coups d’État et ses dénonciations successifs de l’Accord d’Alger.
Si l’Algérie s’attendait à la décision de la junte militaire, elle ne compte pas rester les bras croisés. Garante de l’Accord d’Alger, elle maintient le cap et garde les canaux ouverts avec la junte militaire malienne.
Crise au Mali : l’Algérie maintient le cap
Pour cela, elle dispose de puissants leviers pour obliger les nouveaux maîtres de Bamako à revenir à la raison, et éviter au Mali les affres d’une nouvelle guerre civile, avec les risques d’un embrasement général du Sahel.
Ainsi, l’Algérie compte maintenir la pression sur la junte militaire pour la convaincre de tenter à nouveau la solution militaire, d’utiliser les moyens diplomatiques au niveau de l’Union africaine, du Conseil de sécurité de l’ONU où elle est membre non-permanent depuis janvier 2024 et de l’Union européenne qui a aussi des intérêts stratégiques au Sahel.
L’Algérie compte aussi utiliser ses bonnes relations avec la Russie avec qui elle est liée par un partenariat stratégique, et la Turquie. Avec les Russes, le dialogue est plus facile, note notre source. Pour les Turcs, ils ne connaissent pas les subtilités de la crise malienne.
Dans ce contexte extrêmement complexe, à Alger, on raille les déclarations des autorités maliennes sur l’existence d’un agenda caché de l’Algérie qui fait de la médiation pour résoudre la crise malienne depuis 33 ans.
« L’Algérie n’a aucun agenda caché au Mali. Si c’était le cas, il aurait déjà été appliqué. L’Algérie travaille pour la réconciliation et le développement du Mali. Son intérêt stratégique est la stabilité du Sahel. C’est une question de sécurité nationale », explique notre source.
Au-delà des ambitions des putschistes de rester au pouvoir le plus longtemps possible puisqu’ils ne parlent plus de transition, ni d’élections présidentielles, le Mali est aujourd’hui au bord du gouffre. La dénonciation de l’accord d’Alger par la junte militaire va plonger le Mali dans les affres de la guerre civile, avec des conséquences graves sur l’ensemble de la région.