Politique

Crise France – Algérie : Bruno Retailleau fait du “sous-trumpisme”

Analyse pertinente de la crise Algérie-France faite ce jeudi 24 avril par Yazid Sabeg dans un entretien au journal L’Opinion.

L’industriel franco-algérien, ancien commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, dit les choses crûment concernant l’action néfaste de l’extrême-droite et de la droite dure, et notamment du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Plus qu’une “simple brouille diplomatique”, la crise actuelle est “un dérèglement profond”, elle est “humaine, historique, existentielle”, estime Sabeg. “Et ce qui est particulièrement grave, c’est qu’elle se répercute sur les Français d’origine algérienne”, ajoute-t-il.

Pour lui, Bruno Retailleau “amalgame tout : frérisme, charia, menace islamiste, sport, dîners religieux, soutien à Israël”  “Il construit un climat saturé où l’Algérien devient une catégorie du soupçon ou l’Algérie est rétablie comme l’ennemie héréditaire”, dit Yazid Sabeg à propos de l’agitation du ministre français de l’Intérieur, que l’Algérie a désigné nommément comme le responsable de la nouvelle dégradation de la relation bilatérale, à la mi-avril.

Enfonçant le clou, il estime que Retailleau fait du “sous-trumpisme”, citant son “ressentiment, brutalité verbale, confrontation, absurdité, confusionnisme pseudo-transactionnel”. “Mais ça ne marche pas comme ça avec l’Algérie, ni avec aucun pays souverain d’ailleurs”, rappelle-t-il.

Yazid Sabeg constate aussi avec regret qu’une “partie de la droite dite républicaine” suit le ministre de l’Intérieur “pour marauder sur les franges de l’extrême droite”.

Accords franco-algériens

À propos accords bilatéraux, notamment celui de 1968, que Retailleau réclame de révoquer, l’industriel franco-algérien rappelle d’abord qu’ils ont été “conçus par des gouvernements de droite”, pour faciliter “la venue d’une main-d’œuvre nécessaire”.

Ils doivent être “revus et adaptés car la question migratoire a changé de nature et de format”. Sabeg témoigne qu’en 2011, lorsqu’il a été envoyé à Alger par Nicolas Sarkozy, “l’Algérie n’était pas fermée à une telle révision, mais refusait les initiatives unilatérales et restait très attachée à la liberté de circulation entre les deux pays”.

Il estime que la France persiste à commettre la même erreur, celle de ”sortir des cadres communs” et de vouloir “imposer unilatéralement en niant la réciprocité”.

Bruno Retailleau et “beaucoup de ses amis politiques”, ignorent les fondements juridiques et politique de la relation Algérie-France : le traité d’Evian qui “encadre une relation censée être fondée sur la reconnaissance mutuelle, la loyauté, un équilibre subtil et le respect, rappelle Yazid Sabeg.

Crise Algérie – France : ce que propose Yazid Sabeg

Pour sortir de cette situation, il estime qu’il faut “rompre avec le continuisme et sortir de la cyclicité conflictuelle”, que les deux pays reconnaissent leurs liens pour ce qu’ils sont et que le président Macron, seul, reprenne la main.

Le Maghreb, souligne Yazid Sabeg, est “le seul endroit du monde où la France est une grande puissance” et elle ne peut pas, de ce fait, “traiter l’Algérie comme un partenaire comme les autres”. Sa responsabilité est de fonder une stratégie nouvelle articulée autour de trois piliers : la mémoire assumée, une coopération de codéveloppement réelle, une stratégie méditerranéenne équilibrée et pacifique.

Pour y parvenir, la France doit surtout “cesser d’être partie dans les conflits” comme celui du Sahara occidental, au Sahel, et “redevenir une puissance d’apaisement”.

Or, déplore Yazid Sabeg, “Emmanuel Macron a perdu la main sur sa politique arabe et ses propres ministres”, soulignant que la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental a été “vécue à Alger comme une trahison” et les déplacements de Rachida Dati et Gérard Larcher dans ce territoire disputé “ont provoqué une humiliation froide”.

La France doit donc “renoncer à ses vieux réflexes” et retrouver une posture “de l’amiable compositeur, pas de l’arbitre partial”, d’autant plus qu’il est “encore temps de choisir la lucidité plutôt que l’aveuglement”, estime l’homme politique franco-algérien.

Évoquant la question migratoire, Sabeg a indiqué qu’il s’agit d’une “illusion dangereuse” de penser qu’on peut arrêter les flux sans un réel développement dans les pays de provenance. “Aucun mur, aucune injonction administrative ne peut retenir des millions de jeunes privés d’horizon”, dit-il.

C’est pourquoi, rappelle-t-il, il a proposé un pacte eurafricain de l’énergie, de l’eau et du numérique.

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