En croisade contre l’Algérie qu’il accuse de ne pas coopérer suffisamment sur la question des reconduites aux frontières et de détenir l’écrivain Boualem Sansal, le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau a fini par reconnaître implicitement qu’il ne s’agit là que de prétextes pour justifier les attaques contre un pays auquel sont reprochées en fait plusieurs décisions qui relèvent de sa pleine souveraineté.
“Ce que je veux dire aux Français, c’est que cette crise ne date pas d’hier”, a lâché lundi Bruno Retailleau sur BFMTV.
Acculé par le désaveu que lui a signifié le président Emmanuel Macron par rapport à sa gestion à la hussarde de la crise avec l’Algérie, Retailleau est contraint de dévoiler d’autres raisons cachées de son bras de fer.
Vendredi, le président Emmanuel Macron avait lancé un message d’apaisement à partir de Lisbonne, assurant que l’accord de 1968 ne sera pas révoqué unilatéralement, en réponse à l’insistance du ministre de l’Intérieur et à la menace dans ce sens proférée par le Premier ministre François Bayrou.
Lundi 3 mars, Emmanuel Macron s’est montré encore plus catégorique concernant les immixtions de Retailleau dans ce dossier de politique étrangère.
“Chacun est dans ses compétences. L’accord de 1968, c’est le président de la République”, a-t-il dit au Figaro.
Comme la relation entre l’Algérie et la France ne pouvait être réduite à la seule question des OQTF, Bruno Retailleau a élargi les griefs contre l’Algérie. Au micro de BFMTV, il a rappelé que “la crise ne date pas d’hier”.
“Depuis des mois et des mois, les entreprises françaises sont souvent blacklistées sur les commandes algériennes”, a-t-il accusé, ajoutant que “le français est éradiqué de l’enseignement primaire au profit de l’anglais” et qu’ “un refrain de l’hymne national algérien, très anti-français, a été réhabilité”.
Poursuivant ses accusations, le ministre de l’Intérieur a déploré que “la coopération sécuritaire entre nos services a été au minimum et quasiment arrêtée, y compris au moment des Jeux olympiques” de Paris 2024.
“Vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup ? Vous pensez qu’il faut que la France continue à raser les murs, à baisser la tête ?”, concluant qu’ “aucune douleur de l’histoire, fut-elle aiguë, ne donne un permis d’offenser la France”.
Retailleau reconnaît donc que la crise avec l’Algérie est antérieure à l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal et au refus de l’Algérie d’accepter les influenceurs expulsés de France pour “appels à la violence”.
Crise France – Algérie : les raisons cachées et apparentes
Les nouveaux éléments qu’il apporte à sa rhétorique ne sont toutefois pas plus convaincants que ce qu’il avançait jusque-là. Le recul de la France dans la sphère économique algérienne remonte à plus de dix ans. La France a perdu sa place de premier fournisseur de l’Algérie en 2013, au profit de la Chine, dans le sillage d’une tendance mondiale sur laquelle ni Alger ni Paris n’avaient d’emprise.
La décision de se mettre à l’anglais remonte également à plusieurs années, à 2019 précisément. Il s’agit du reste d’une question qui relève de la souveraineté de l’Algérie tout comme celle de l’hymne national. En plus, l’Algérie n’avait rien réhabilité puisque le couplet en question n’a jamais été supprimé depuis la composition de l’hymne, pendant la guerre de Libération nationale. En juin 2023, le président de la République avait pris un décret précisant les évènements pendant lesquels les versions réduite et complète de l’hymne national sont exécutées.
Il reste aussi un fait indéniable. Ces éléments pris par Bruno Retailleau comme des “offenses” n’avaient pas donné lieu à la moindre brouille entre les deux pays. Au contraire, la relation bilatérale a traversé une période faste marquée notamment par le travail mémoriel engagé et la signature de la déclaration d’Alger en 2022, alors que les entreprises françaises perdaient effectivement des parts en Algérie et que l’anglais remplaçait progressivement le français à l’école.
Par sa nouvelle sortie, Bruno Retailleau, qui compte beaucoup sur le dossier Algérie pour son agenda politique (présidence des Républicains et probablement présidentielle de 2027), a signifié qu’il ne compte pas obtempérer aux recadrements d’Emmanuel Macron.
Le même jour, il a annoncé sur RMC que ses services étaient en train d’établir une liste de plusieurs centaines de ressortissants algériens au “profil dangereux” à remettre à l’Algérie.
Faute d’obtenir le rapport de force qu’il réclamait contre l’Algérie, Bruno Retailleau l’a visiblement engagé contre son propre président.