Il y a presque un mois, le 26 février dernier, le ministre de l’Intérieur français Bruno Retailleau se félicitait d’avoir imposé sa ligne à son gouvernement sur la crise avec l’Algérie.
Ce jour-là, à l’issue d’un Conseil interministériel consacré à l’immigration et à l’Algérie, le Premier ministre François Bayrou, à la surprise générale, posait un surprenant ultimatum au gouvernement algérien concernant les OQTF.
Si l’Algérie refuse d’accueillir des centaines de personnes expulsées de France, le gouvernement français va dénoncer les accords migratoires entre les deux pays. « Nous allons donner un mois, six semaines, pour les réexaminer », a-t-il dit. Dans le collimateur du gouvernement français : l’accord franco-algérien de 1968.
Bruno Retailleau en première ligne dans le bras de fer avec l’Algérie
Dès le lendemain, l’Algérie rejette l’ultimatum du gouvernement français. Le 14 mars, le gouvernement français adresse aux autorités algériennes une liste d’une soixantaine de personnes, jugées dangereuses, à expulser en urgence. Là encore, la demande est rejetée par Alger. Un cinglant désaveu pour Bruno Retailleau qui a accusé l’Algérie “d’agresser” la France.
Autre dossier sur lequel Bruno Retailleau espérait obtenir un résultat en menaçant les Algériens de représailles : la libération de son “ami” Boualem Sansal qui est incarcéré depuis novembre dernier en Algérie. Là encore, c’est le contraire qui s’est produit.
Non seulement l’écrivain n’a pas été remis en liberté comme exigé par le ministre français de l’intérieur mais il risque une lourde peine de prison. Hier, jeudi 20 mars, le procureur de la République du tribunal de Dar el Beida (Alger) a requis 10 de prison ferme à son encontre.
Comme l’a rappelé un député LFI, en s’impliquant dans le dossier, Bruno Retailleau a pris le risque de nuire à l’écrivain. «L’escalade des tensions nuit gravement» à Boualem Sansal. «La vérité, c’est que Retailleau est en train de le sacrifier pour gagner son congrès», a expliqué David Guiraud à l’Assemblée nationale. Il n’a peut-être pas tout à fait tort.
Pour maintenir la pression sur Emmanuel Macron, Bruno Retailleau met sa démission dans la balance : si la France recule dans le rapport de force avec l’Algérie, il quittera le gouvernement.
Crise France – Algérie : des doutes s’expriment sur la méthode Retailleau
Après l’annonce du réquisitoire du parquet de Dar el Beida, l’heure est aux interrogations en France. Au plus haut sommet de l’Etat, on fait savoir, via des fuites dans les médias, que la méthode Retailleau agace.
“Tensions avec l’Algérie : la stratégie de Bruno Retailleau sème le doute”, écrit Le Parisien. “La méthode sans concession du ministre de l’Intérieur envers Alger n’est pas sans risques politiques”, ajoute-t-il le journal français.
“Algérie : pourquoi Bruno Retailleau fait grincer des dents à l’Élysée”, écrit la radio RTL sur son site internet.
“Dans l’entourage du chef de l’État, on rappelle que c’est Emmanuel Macron qui a fixé l’agenda des relations avec l’Algérie, que la riposte gradée a été élaborée à l’Élysée, que c’est le président, pas le ministre de l’Intérieur, qui gère la diplomatie”, ajoute la même source.
“Sans une concession de l’Algérie donc, obtenue par la négociation ou la menace, rester au gouvernement pourrait rapidement devenir une impasse pour Bruno Retailleau”, écrit Paul Cébille est rédacteur en chef d’Hexagone – la France en chiffres dans les colonnes du Figaro.
Le principal intéressé semble chercher une issue. Il ne parle plus de démission. Son argument ? L’Algérie réclamerait sa démission.
«Ma démission arrangerait mes adversaires politiques. Ils me la réclament matin, midi et soir pour des petites considérations politiciennes en alimentant au passage le narratif du régime algérien. Mais vous imaginez bien que je ne leur ferai pas ce plaisir : ni à eux, ni à ce régime qui a fait de moi son adversaire principal », explique-t-il, ce vendredi soir, au Figaro. «Tebboune demande la tête de Retailleau », ajoute une source gouvernementale, issue du camp présidentiel, au même média.
On l’aura compris : Même sans résultat sur le dossier algérien, Bruno Retailleau ne démissionnera pas. Un aveu d’échec.
François Bayrou appelle au respect des accords avec l’Algérie
Du côté du gouvernement français, la ligne Retailleau ne semble plus avoir la côte. Ce vendredi, le premier ministre François Bayrou s’est clairement démarqué de la position de son ministre de l’intérieur concernant l’Algérie.
“Le dossier est très simple. Lorsqu’on a des accords privilégiés avec un pays, il faut les respecter », a-t-il affirmé, selon la chaîne TF1, appelant au « respect mutuel » des deux parties.
Plus tôt dans la journée, son ministre des affaires étrangères a appelé à une reprise du dialogue avec Alger. « Je pense que nous devons retrouver les voix de coopération avec l’Algérie dans l’intérêt des Français », a déclaré Jean-Noël Barrot sur BFM TV.