Économie

Des moutons à 17 millions : choqué, Tebboune prend des mesures strictes

Lors de sa rencontre avec les médias, diffusée samedi 22 mars sur la Télévision algérienne, le président Abdelmadjid Tebboune s’est dit choqué par le prix atteint par les moutons en Algérie.

« On ne peut pas vendre un mouton à 17 millions de centimes (170.000 DA) » alors que l’Algérie recèle une grande richesse animale, notamment les moutons, a-t-il dit, en plus d’avoir annoncé que des « lois strictes » seront promulguées pour « réprimer toutes les pratiques visant à porter atteinte à la richesse animale et à la sécurité alimentaire, notamment le phénomène de l’abattage d’agnelles ».

Algérie : Tebboune choqué par les prix du mouton à 17 millions

Cette mesure intervient dans un contexte où l’Algérie voit son cheptel diminuer d’année en année. Résultat : les prix des moutons ont flambé, ce qui a obligé le gouvernement à recourir à l’importation des viandes. Le président Tebboune a même décidé d’importer jusqu’à un million de moutons pour l’Aïd-el-Adha 2025.

Le durcissement annoncé de la législation sur l’abattage des agnelles survient aussi dans un contexte de pénurie de fourrages et d’émergence de nouveaux modes d’élevage en Algérie.

L’Algérie interdit l’abattage d’animaux femelles depuis plusieurs années, c’est le cas de la loi du 27 janvier 1988.

Dans la pratique, elle n’est pas appliquée. Aussi, en mai 2023, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, a annoncé qu’un projet de loi criminalisant l’abattage des vaches, brebis et chèvres était en cours de préparation.

Manque de fourrage et décapitalisation

Ce type d’abattage est répertorié par le terme de « décapitalisation » par les économistes. Il prend plus d’ampleur lors des périodes de pénurie de fourrage et de leur hausse de prix.

Récemment, des éleveurs de la wilaya de Tiaret se sont plaints sur Ennahar TV que le quintal d’orge ait atteint 4.000 DA, voire plus et celui de son 3.400 DA.

« Une brebis a besoin annuellement de 4 quintaux d’orge », confiait un éleveur. Dans ces conditions, les éleveurs vendent une partie de leur troupeau pour acheter des fourrages nécessaires à alimenter le reste des animaux et utilisent l’expression : « La brebis mange sa sœur ».

En Algérie, le mode d’élevage dominant reste le pastoralisme. Des camions spécialement aménagés permettent de déplacer rapidement les troupeaux vers les zones steppiques, là où les pluies favorisent la pousse de la végétation. Il s’agit donc d’un élevage de type cueillette sur 32 de millions d’hectares.

Pour Ali Daoudi, de l’École nationale d’agronomie (ENSA), qui s’exprimait le 24 mars sur la Chaîne 3 de la Radio algérienne, ce modèle est en crise.

En cause, une surexploitation des parcours aujourd’hui en partie dégradés et la raréfaction de la main d’œuvre. Selon l’expert, ces dernières années, l’absence de pluies a fragilisé cet élevage en obligeant les éleveurs à acheter des aliments.

La surface de ces parcours se rétrécit suite au développement de l’arboriculture et des cultures maraîchères.

Algérie : consommation de viandes en hausse

En 1999, le déficit national en fourrage a été estimé à 4 milliards d’unités fourragères. En parallèle, la consommation de viandes en Algérie n’a cessé de croître, notamment à l’occasion de fêtes religieuses ou de la saison des mariages.

Pour améliorer la production fourragère, le Haut-commissariat au développement de la steppe et la Direction générale des forêts ont multiplié les plantations d’arbustes fourragers, dont l’atriplex.

En 2019, les surfaces plantées ont été estimées à près d’un million d’hectares par l’université de Tiaret. Une fois restaurés et devenus productifs, ces parcours sont loués aux éleveurs.

Le défi est donc de planter plus d’arbustes fourragers, voire de recourir à la mécanisation. De façon étrange, premiers intéressés, les éleveurs ne sont pas associés à ces opérations.

Ali Daoudi plaide pour une action des pouvoirs publics pour préserver ces parcours. Une stratégie qui devrait viser une diminution des effectifs ovins et s’orienter vers la valorisation d’une viande de qualité.

Une catégorie d’éleveurs n’abat pas les agnelles. C’est le cas des investisseurs du Sud produisant des fourrages irrigués sous pivot. À Ménea, Djelloul Ayache est reconnu pour son élevage de 470 dromadaires et 3.000 brebis.

Il se dit prêt à en élever 10.000 si les autorités l’autorisent à réaliser les forages nécessaires à l’installation de 20 nouveaux pivots. D’un air bravache, il confiait en 2023 à Ennahar TV : « Je suis prêt à approvisionner les marchés d’Alger et Oran ».

Il ajoutait : « On pourrait même engraisser les moutons et dromadaires importés du Sahel. J’ai des contacts au Mali et au Niger. Il suffit qu’on me délivre les autorisations. » Un de ses voisins confirme : « Sous pivot, les brebis donnent deux agneaux par an ».

Plus au Nord, des éleveurs recourent également à la production de fourrages irrigués. Co-auteur d’une étude dans la région de Msila, Ilyes Hadbaoui de l’université d’Ouargla note que le développement des cultures fourragères a débuté durant « l’année 2000 avec la mise en place du Plan national de développement agricole » et y voit le passage du pastoralisme « vers l’agropastoralisme. »

On assiste à l’émergence d’un nouveau modèle d’élevage ovin. Au traditionnel système pastoral, Ali Daoudi, mais également des experts comme Djamel Soukehal, suggèrent de développer l’élevage en bergerie pour alimenter les abattoirs industriels sous-utilisés de Bougtoub (El Bayadh), Hassi Bahbah (Djelfa) et d’Aïn Milia.

Une stratégie qui passe par des races de moutons qui « convertissent » au mieux les fourrages. Si ce dernier propose des croisements entre les races locales pour exploiter leurs conformations et prolificité, Lotfi Ghernaout de l’université de Toulouse propose le recours aux races étrangères par le biais de l’importation d’agnelles.

Lors de sa rencontre avec la presse, le président Abdelmadjid Tebboune a également affirmé vouloir s’appuyer sur les jeunes compétences locales en matière d’agronomie à l’image des cadres algériens qui ont permis la réalisation de 5 stations de dessalement d’eau de mer.

Depuis des années, universitaires et cadres des instituts techniques relevant du ministère de l’Agriculture ont proposé des innovations : introduction de nouveaux, regroupement des naissances ou la sélection génétique.

D’autres proposent d’améliorer la valeur de la paille et de l’orge utilisée dans les rations en les traitant respectivement à l’ammoniac ou à l’urée. Des produits largement disponibles localement, mais dont le surplus est exporté.

La liste des innovations est longue à l’image de la culture en sec de mélanges d’espèces fourragères et leur implantation par semis direct afin de réduire les coûts.

Des innovations qui méritent d’être intégrées dans des programmes publics afin d’être adoptées par le plus grand nombre d’éleveurs. Le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, a indiqué compter sur l’UNPA et la filière ovine.

Pourquoi l’Algérie manque de moutons ?

Pour sa part, le secrétaire général de l’UNPA a récemment affirmé la possibilité d’arriver à « 40 millions de têtes de moutons. »

Si ce projet reste étonnant, le rôle d’associations professionnelles représentatives est déterminant afin d’accompagner l’action des services agricoles. Dans le cas de l’élevage steppique, dès 2014, Abdelkader Khaldi, auteur d’une étude sur le sujet, estimait indispensable « la participation des communautés concernées ».

À propos des agnelles abattues, le chef de l’État s’est étonné du fait de la faiblesse de la production ovine dans un pays aux larges espaces.

Des espaces qui se sont réduits du fait de leur dégradation suite au surpâturage, mais aussi de la loi de 1983 sur l’Accession à la propriété foncière agricole (APFA). En permettant le développement de l’arboriculture et du maraîchage, elle a exacerbé la concurrence pour la terre et l’eau.

Aujourd’hui, de Rechaïga (Tiaret) à Rmila (Kaïs), les investisseurs se plaignent des restrictions de prélèvements d’eau souterraine imposés par les services de l’hydraulique.

Ali Daoudi recommande de considérer la filière ovine dans une stratégie globale de production de viande et donc de considérer l’apport des filières bovines et avicoles. Une stratégie qui mérite également de prendre en compte l’apport des protéines végétales. Leur production est particulièrement économe en eau.

SUR LE MÊME SUJET :

Aïd 2025 en Algérie : quel coût pour importer un million de moutons ?

Les plus lus