Grande fébrilité du marché noir des devises en Algérie. Après une hausse subite début septembre qui s’est prolongée jusqu’au 9 décembre dernier, les cours des principales monnaies étrangères ont entamé une baisse vertigineuse en cette fin d’année.
Effet des annonces des autorités relatives à l’allocation touristique et au plafonnement de l’exportation des devises ?
Nul n’est en mesure d’expliquer avec certitude les ressorts qui font monter ou baisser les cours de l’euro et du dollar sur le marché noir des devises en Algérie, donc de faire quelque pronostic quant à la tendance pour les prochaines semaines.
Sans raison apparente, l’euro et le dollar ont flambé en septembre dernier sur le marché noir. La monnaie unique européenne a franchi pour la première fois le seuil des 260 dinars pour un euro, avant de redescendre vers la fin du mois.
Depuis, les devises étrangères ont connu plusieurs hausses et baisses diversement expliquées. La flambée la plus nette a eu lieu pendant ce mois de décembre, la plus forte baisse aussi.
Lundi 9 décembre, l’euro s’est échangé au taux historique de 262 dinars l’unité et le dollar a établi lui aussi un nouveau record, à 248 dinars.
Mais les deux monnaies ont aussitôt entamé une baisse vertigineuse. Entre le 9 et le 22 décembre, soit en moins de deux semaines, l’euro a perdu 17 dinars par rapport à son record absolu, s’échangeant à Alger pour 245 dinars algériens l’unité.
Pris de panique, le marché noir des devises en Algérie a dévissé jusqu’à donner des sueurs froides aux cambistes qui ont acheté d’importantes sommes au prix fort.
La panique s’empare du marché noir des devises en Algérie
« C’est la panique », lâche un cambiste d’Alger qui avoue son désarçonnement et reconnaît que nul ne peut prévoir ce qui va se passer dans les jours et semaines à venir.
Pour lui, l’effondrement du marché n’est pas dû à l’activité des clients traditionnels (voyageurs, trabendistes, importateurs), mais à une offre provenant de personnes qui ne sont pas des clients habituels, allusion à ceux qui ont converti leurs dinars en euros pour les thésauriser au moment où des rumeurs circulaient sur un changement de monnaie en Algérie.
« Et comme il n’y a pas eu de changement de monnaie, ils se sont mis à revendre leurs euros », explique-t-il.
Aujourd’hui, ceux qui ont des euros ne veulent pas vendre et ceux qui veulent acheter attendent de nouvelles baisses. Les premiers craignent de perdre de l’argent, les seconds veulent acheter moins chers.
Il se dit encore dans l’incapacité d’expliquer avec certitude la hausse subite de septembre dernier, qui est survenue dans une période qui n’est pas propice d’habitude aux fortes demandes sur les devises.
“Peut-être qu’il y a eu des opérateurs ou des groupes de personnes qui ont eu un besoin urgent de devises et ont boosté la demande”, tente-t-il d’expliquer.
Concernant la baisse en cours, il l’impute, toujours sans être certain, aux épargnants, nombreux ces dernières années à thésauriser en devises. Il se pourrait que certains se mettent à vendre par crainte de l’effondrement des cours.
Il n’y a aucune certitude sur le marché actuellement et tous les intervenants, vendeurs, acheteurs et intermédiaires, sont dans l’expectative, assure le cambiste.
Devises en Algérie : un marché opaque difficile à analyser
Ce que personne ne perd de vue, c’est que le gouvernement algérien a multiplié ces dernières semaines les mesures susceptibles d’impacter sensiblement et durablement le marché.
Certaines annonces sont même perçues comme des actions qui sonneront le glas au double taux de change, donc au marché noir de la devise en Algérie.
La décision la plus notable est celle de l’augmentation substantielle de l’allocation touristique pour les Algériens voyageant à l’étranger.
La décision a été annoncée le 8 décembre à l’issue d’un Conseil des ministres présidé par le président de la République. L’allocation a été multipliée d’un coup par sept et demi, passant à 750 euros par adulte et 300 euros par enfant mineur, une fois par année civile.
Jusque-là, les Algériens avaient le droit d’échanger en banque pour l’équivalent de 15 000 dinars, soit un peu plus de 100 euros. Ce montant a été fixé en 1997 et n’a jamais été révisé depuis.
Le montant de l’allocation étant insuffisant, les étudiants, touristes, malades et tous ceux qui se déplacent à l’étranger pour une raison ou une autre n’avaient que le change parallèle pour disposer des sommes de devises nécessaires pour leur séjour à l’étranger.
Chaque année, un peu plus de 5 millions d’Algériens se rendent à l’étranger pour tourisme ou autres raisons.
Devises en Algérie : le marché noir à l’épreuve de la nouvelle allocation touristique
Pour beaucoup d’économistes, comme Chabane Assad, fondateur du cabinet de conseil Finabi, l’augmentation de l’allocation touristique va à coup sûr tordre le coup au marché noir des devises.
Sauf que ces « petits » acheteurs de monnaies étrangères ne sont pas les seuls qui déterminent la demande. Il y a aussi les gros acheteurs, à savoir les importateurs, notamment au noir, dits les commerçants “du cabas”, les importateurs de véhicules d’occasion ou encore les filières de blanchiment d’argent.
Pour ces catégories, une autre mesure est venue décourager l’offre. Un nouveau règlement de la Banque d’Algérie entré en vigueur le 21 novembre limite la somme de devises que les voyageurs peuvent faire sortir légalement du territoire national à l’équivalent de 7500 euros par année civile. Jusque-là le plafond autorisé était de 7500 euros à chaque voyage.
Si cette mesure est entrée en vigueur, la nouvelle allocation touristique ne l’est pas encore. Elle sera applicable à partir de janvier 2025. La date exacte n’est pas encore arrêtée.
La récente dégringolade de l’euro et du dollar a plongé le marché noir des devises en Algérie dans l’incertitude parce qu’on ne connaît pas la véritable structure de la demande sur le marché parallèle, opaque par définition.
Les acteurs attendent ce qu’il se passera une fois la nouvelle allocation devenue effective. Les deux premières semaines de janvier seront « cruciales », selon le cambiste.
Tout le monde attend l’entrée en vigueur de la nouvelle allocation touristique pour mesurer son impact sur le marché des devises.
Si le gros de la demande émane réellement des petits acheteurs (touristes, étudiants, malades…), les observateurs n’écartent pas un effondrement spectaculaire des cours.
Si, au contraire, leur part est marginale par rapport à celle des barons de l’informel et du blanchiment, on assistera juste au déplacement du marché parallèle de l’Algérie vers l’étranger, comme l’a prévu le président de Jil Jadid, Djilali Soufiane, dans une analyse publiée fin novembre dernier.
Aujourd’hui, si un euro coûte 245 dinars à Alger, il vaut 255 dinars à Istanbul où la monnaie unique européenne est très demandée.
Ensuite, tout dépendra des mesures que prendront les autorités pour lutter contre le marché noir des devises.