Le département d’État américain a publié ce vendredi 20 avril son rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme dans le monde pour l’année 2017. Pour ce qui est de l’Algérie, le département d’État américain met en avant aussi bien ce qu’il considère comme des points positifs que des carences dans la situation des droits de l’Homme en Algérie.
Mais ce rapport sur les droits de l’Homme du département d’État américain mérite-t-il vraiment son titre ? Et les États-Unis sont-ils légitimes à évaluer les droits de l’Homme dans d’autres pays ?
Les droits de l’Homme, un corpus juridique universel et indivisible
Les droits de l’Homme sont avant tout des garanties juridiques fondées sur des normes et des standards internationaux dont le but est la protection des valeurs humaines de liberté, d’égalité et d’équité.
Les sources juridiques des droits de l’Homme sont la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948 dont découlent 9 traités internationaux relatifs aux droits humains, dont les principaux sont : le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), tous deux adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966.
Le premier (PIDCP) comprend ce qu’on appelle les droits civiques protégeant les individus contre les ingérences et les abus, commis par l’État ou autre, consacrant par exemple les droits à la protection de la vie privée, à la liberté de pensée, de conscience et de religion, à la liberté d’expression, à l’égalité de traitement devant les tribunaux, le droit de réunion pacifique, le droit de voter, et l’interdiction de la torture, entre autres droits civiques.
Le second (PIDESC) est consacré surtout aux droits économiques, sociaux et culturels qui englobent entre autres les droits à la santé, à l’éducation, au travail, au logement, à la sécurité alimentaire, à de bonnes conditions de travail, à la syndicalisation et à un niveau de vie suffisant.
Ce riche corpus des droits de l’Homme englobe ainsi les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, qui sont tous fondés sur deux principes fondamentaux à savoir : l’universalité qui les rend inhérents à tous les individus – et, dans une certaine mesure, aux groupes – sans distinction ni discrimination aucune; et l’indivisibilité qui exige non seulement la reconnaissance mais aussi la protection de tous ces droits en même temps, et sans que certains ne soient privilégiés au détriment des autres.
Une acception incomplète des droits de l’Homme
Si les États-Unis ont signé les deux Pactes cités ci-dessus, ils n’en ont ratifié qu’un seul, à savoir le Pacte sur les droits civils et politiques, en 1992 soit 16 ans après son entrée en vigueur en 1976.
Les États-Unis n’ont donc jamais ratifié le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels entré en vigueur en 1976, alors que celui-ci fait partie du corpus juridique international des droits de l’Homme. Ceci est problématique du point de vue de la cohérence de la démarche du département d’État américain sur les droits de l’Homme eu égard aussi bien au contenu de son rapport sur les droits de l’Homme que de son intitulé.
Pour ce qui est du contenu, et c’est là la plus grande incohérence, ce rapport se concentre, presque exclusivement, sur les droits civils.
En effet, les différentes sections de ce rapport sont intitulées comme suit : Respect de l’intégrité de la personne comprenant la torture, les disparitions, les conditions de détentions, etc. (section 1) ; Respect des libertés civiles englobant (dans ce rapport) les libertés d’expression, de religion, d’assemblée et d’association (section 2); Liberté de participer au processus politique (section 3) ; Corruption et manque de transparence du gouvernement (section 4) ; Attitude du gouvernement à l’égard d’investigations non-gouvernementales ou internationales sur les cas d’abus présumés des droits de l’Homme (section 5) ; Discrimination, abus sociétal et trafic des personnes (section 6) et Droits des travailleurs (section 7).
Il est évident à la lecture de ce rapport qu’il est question surtout de libertés civiles contenues dans le PIDCP, signé et ratifié par les États-Unis en 1992. Par contre la section 7 du rapport sur les droits des travailleurs ainsi que la partie consacrée aux droits de l’enfant dans la section 6 ne font pas partie des droits civils tels que reconnu internationalement mais respectivement du PIDESC et de la Convention relative aux droits de l’enfant. Or ces deux traités, également constitutifs du corpus juridique international des droits de l’Homme, n’ont pas non plus été ratifiés par les États-Unis.
Selon une règle générale de droit international, la non-ratification d’un traité international signifie sa non-reconnaissance par un État et ses dispositions ne font de ce fait pas partie de l’ordonnancement juridique interne à cet État.
En conséquence, l’État américain ne reconnaissant pas la totalité des composantes du corpus juridique international des droits de l’Homme, le département d’État n’est normalement pas fondé à utiliser le terme « droits de l’Homme » dans son document, et devrait seulement se contenter de l’intituler « Rapport sur les droits civils et politiques ».
Des mécanismes internationaux d’évaluation des droits de l’Homme déjà existants
Les droits de l’Homme étant juridiquement contraignants pour les États, ces derniers doivent en rendre compte aussi bien aux niveaux national qu’international.
Au niveau national les États sont tenus de les introduire dans leurs législations nationales et de rendre compte du respect des droits humains à travers des mécanismes de recours indépendants, des médias libres ainsi que des groupes de défense des droits de l’Homme qui soient représentatifs des individus sans distinction aucune y compris des groupes exclus ou marginalisés.
Au niveau international, les États doivent coopérer avec les mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme notamment le Conseil des droits de l’Homme.
Les 193 États membres des Nations unies sont évalués sur le respect de leurs obligations sur tous les instruments des droits de l’Homme, qu’ils les aient ratifié ou non, dans le cadre de l’examen périodique universel effectué par un groupe de 3 États membres tirés au sort. Les organisations de la société civile accréditées et le Conseil des droits de l’Homme sont aussi représentés.
Les États-Unis avaient pour leur part refusé de faire partie du Conseil des droits de l’homme à sa création en 2006 l’accusant d’être trop politisé et impartial, notamment à l’égard d’Israël.
Les États-Unis ont fini par rejoindre le Conseil en 2009 sous Barack Obama. En mars 2017, le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, avait indiqué que les États-Unis quitteraient le Conseil des droits de l’Homme si celui-ci n’était pas réformé.
Concernant le rapport sur les droits de l’Homme du département d’État, des sources diplomatiques américaines en Algérie ont récemment indiqué qu’il « n’a pas pour but d’effectuer un constat en disant que la situation des droits de l’Homme dans un pays est bonne ou mauvaise. Le rapport se veut factuel et objectif, en ratissant de manière large dans la collecte des informations ».
Ces sources diplomatiques américaines ont aussi assuré « échanger de manière très étroite sur les questions des droits de l’Homme avec les autorités algériennes ». Le gouvernement algérien n’a pas encore réagi au rapport du département d’État américain sur les droits de l’Homme en Algérie.
De la légitimité des États-Unis
Réagissant aux critiques s’élevant concernant la légitimité des États-Unis à établir un rapport sur les droits de l’Homme, des sources diplomatiques américaines ont indiqué ne pas y voir de paradoxe tout en assurant être ouvertes à la critique.
La question de la légitimité des États-Unis à évoquer la situation des droits de l’Homme dans les autres pays du monde est pourtant primordiale, encore plus sous l’ère de l’actuel président américain Donald Trump.
Le dernier rapport du département d’État a retiré la mention de « territoires occupés » pour qualifier la présence israélienne en Palestine. La notion de « territoires palestiniens occupés » est pourtant reconnue par l’Onu depuis les années 1970. Le rapport de ce qui est désormais nommé « Israël, le Plateau du Golan, la Cisjordanie et Gaza » par le département d’État présente une image particulièrement édulcorée de l’occupation israélienne de la Palestine, allant à l’encontre de la réalité de la situation.
L’ONG Amnesty International, a dénoncé quant à elle « la déférence de l’administration américaine à des États coupables de violations des droits de l’Homme comme l’Arabie saoudite et la Turquie », rendant l’ONG « sceptique que ces rapports puissent présenter une image complète des droits de l’Homme à travers le monde ».
Enfin, est-il possible pour les États-Unis de revendiquer la moindre légitimité à évoquer la situation des droits de l’Homme dans le monde tout en maintenant ouvert le camp de Guantanamo, où des dizaines de prisonniers capturés par l’armée américaine sont détenus sans condamnation, sans procès et sans être soumis à la moindre procédure légale ?