Les questions de développement de l’élevage font l’objet de multiples rencontres régionales entre professionnels ces derniers jours en Algérie.
A Sétif, le directeur de la coopérative de services agricoles de Constantine a abordé les dysfonctionnements de la filière et le manque de fourrages avec beaucoup de franchise. Une intervention qui n’est pas passée inaperçue.
Ce dimanche 26 janvier, ces professionnels étaient réunis dans une grande salle avec à la tribune des représentants de la Chambre nationale de l’agriculture, de l’UNPA et des services agricoles. Une rencontre, en partie, retransmise sur les réseaux sociaux.
A l’occasion de ces rencontres, Abdelatif Dilmi le secrétaire général de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA) a indiqué apprécier ces échanges et a assuré que les doléances des professionnels seront transmises au ministre de l’Agriculture et du Développement rural.
Algérie : spéculation sur le son de blé, le coup de gueule d’un éleveur
L’intervenant a rappelé que le transport d’orge d’une wilaya à une autre restait interdit et que si un agriculteur était surpris lors d’un contrôle routier, il risquait 5 ans de prison.
Il a expliqué que « si cela était interdit à proximité des zones frontalières pour éviter la contrebande, aujourd’hui c’est devenu le cas à l’intérieur du pays. Comment voulez-vous qu’un agriculteur puisse élever ses bêtes et les engraisser correctement ? » s’est-il écrié.
L’intervenant s’est étonné que 60% du volume de son de blé produit par les minoteries privées soient autorisés à la vente à un prix libre qui peut atteindre 4 000 DA le quintal au moment où les éleveurs ont du mal à nourrir leur cheptel.
Les minoteries ont obligation de commercialiser les 40% restant du son au prix de 1 800 DA le quintal. De nombreux témoignages d’éleveurs indiquent être souvent obligés d’accepter de fausses factures mentionnant un prix de 1 800 DA alors qu’ils payent en fait 4 000 DA. Une pratique facilitée par les transactions en cash.
A plusieurs reprises ces dernières années, la presse a fait état de minoteries aux pratiques frauduleuses, comme la revente à des éleveurs de blé subventionné destiné initialement à la fabrication de pain.
Se tournant vers les officiels présents à la tribune, le directeur de la coopérative Cassap de Constantine s’est demandé si cette répartition 60-40 prise par l’administration ne concourt pas à ce type de spéculation. Il a suggéré que 100% du son soit vendu à prix administré.
« Je dis la vérité car je vis cette situation sur le terrain en tant que directeur de la Cassap de Constantine et secrétaire général de la section locale de l’UNPA », a lancé l’intervenant en précisant que pour sa part, le son livré aux éleveurs par la Cassap l’est à prix administré.
Ce langage de vérité entendu à Sétif l’a été également à Djelfa lors d’une précédente rencontre avec les professionnels locaux. Un éleveur a fait état d’un manque de vaccins alors que des vétérinaires locaux possédant des troupeaux vaccinent leurs bêtes à tour de bras.
Ce directeur a alerté sur les risques d’effet d’aubaine en prenant l’exemple de la circulaire qui octroie une réduction de 15% aux coopératives d’éleveurs sur le prix du son.
Il s’est demandé si des éleveurs mal intentionnés ne risquent-ils pas de se regrouper à 4 ou 5 uniquement pour bénéficier d’un tel avantage alors que les acheteurs bénéficient déjà d’une exonération de 20% sur la TVA ?
Il s’est offusqué que certains puissent profiter de ces avantages aux dépens des coopératives de service travaillant au bénéfice de tous les agriculteurs.
A propos du son, il a rappelé qu’auparavant on ne le donnait qu’aux ânes et qu’aujourd’hui on se bat pour pouvoir en donner aux moutons et aux vaches alors que ce n’est que des issues de meunerie constituées par l’écorce des grains et que cela a pas peu de valeur nutritive.
L’intervenant a cité l’exemple de certains artisans qui commercialisent du lait fermenté qui serait produit, selon leur dire, de façon artisanale alors qu’il s’agit en fait de lait subventionné conditionné en sachets et transvasé dans d’autres contenants.
Algérie : baisse du nombre de vaches entre 2015 et 2021
Ce qui l’a amené à demander : « Où est l’intérêt de l’économie nationale avec ces pratiques ? Certains ne pensent qu’à leur poche », ce qui lui a valu les applaudissements de la salle tandis qu’une représentante des services agricoles prenait des notes.
Ce témoignage illustre le cas des cadres d’organismes publics aux prises avec les pratiques peu scrupuleuses de certaines entreprises privées. A Djelfa, des éleveurs ont signalé les prix exorbitants atteint par les médicaments vétérinaires au niveau d’établissements privés.
Ce cadre s’est étonné également du recours exclusif à l’importation de vaches laitières et de l’absence dans un pays comme l’Algérie de pépinières de génisses.
« C’est grave, où sont les races algériennes comme la Guelmoise ou la Sétifienne ? » s’est-il écrié. Des vaches, certes produisant moins de lait que les races importées mais adaptées à l’élevage extensif local.
Non seulement, l’Algérie importe les vaches, elle importe aussi la viande et l’aliment de bétail.
Ce que le président de la République Abdelmadjid Tebboune a jugé « inconcevable » lors de la célébration du 50ème anniversaire de la création de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA) mardi 26 novembre.
« Nous importons l’aliment de bétail et les viandes en même temps. Il faut faire un choix. Soit on importe les viandes ou l’aliment de bétail. Les importer au même est inconcevable », a-t-il dit.
Selon les chiffres de l’Office national des statistiques, le nombre de vaches en Algérie a baissé entre 2015 et 2021. Il est passé de 1.319.861 têtes en 2015 à 1.107.680 vaches en 2021.
Manque récurrent de fourrages
La question du manque de fourrage n’est pas nouvelle, dès 1999, l’expert Mohamed Houmani avait chiffré son ampleur.
A raison de 33 millions d’hectares, l’offre annuelle en fourrage est estimée à moins de 8 milliards d’Unités fourragères (UF) dont 82 % proviennent de la jachère, des chaumes de céréales et des pacages et parcours. A l’époque, les cultures fourragères ne fournissaient que 8 % aussi estimait-il le déficit fourrager annuel à 4 milliards d’UF.
Depuis, le développement de l’irrigation, l’instauration de primes et le matériel nouveau vu lors de salons agricoles a permis une augmentation de l’offre en fourrages.
Cependant il s’agit de tenir compte du surpâturage et la sécheresse qui ont réduit l’offre, notamment en zone steppique. Déjà en 2008 des universitaires notaient que du fait du surpâturage et de la désertification qui s’ensuit, « Des villes comme Méchéria ou Naama sont victimes de vents de sable de plus en plus fréquents ».
Les débats actuels autour du son de blé illustrent la crise des fourrages et la nécessité de définir une stratégie qui englobe tant l’offre que la demande en viande rouge.
Les réserves de productivité restent nombreuses en matière de production de fourrage. Par exemple, l’usage des engrais reste pratiquement inconnu sur les jachères pâturées où les agriculteurs se contentent d’une flore spontanée alors que l’utilisation d’espèces fourragères permettrait de tripler la production. Le soutien actuel aux semences fourragères peut y contribuer.
Dans un pays à dominante semi-aride et aride, la production fourragère présente cependant des limites et doit aussi tenir compte des priorités que constituent la production de céréales, de légumes secs ou d’oléagineux.
Ces rencontres sont des moments forts de démocratie et le signe d’un regain de vitalité des organisations professionnelles agricoles en Algérie.
Elles illustrent la volonté du ministère de l’Agriculture d’être à l’écoute des professionnels, une attitude qui rompt avec les anciennes pratiques du « top down » et de professionnels qui avaient rarement droit au chapitre.