TRIBUNE. « Un problème bien posé est à moitié résolu. H. Bergson »
Depuis l’antiquité, plusieurs Empires se sont constitués, imprégnant mentalement leurs peuples fondateurs. Parfois, même longtemps après qu’ils se soient effondrés, les États qui en ont été les héritiers gardent la même pulsion : conquérir de nouvelles terres, absorber de nouveaux peuples.
Ainsi, ces Empires renaissent souvent de leurs cendres, même si c’est sous le couvert de nouveaux oripeaux et au nom de nouvelles idéologies.
Dans tous ces cas, il y a comme une inclination à intégrer dans leur univers, des terres, même éloignées ainsi que des peuples variés.
La domination des peuples exogènes s’accompagne de la tentative de leur intégration en aliénant leur habitus et leur ethos car ils sont considérés comme fondamentalement inférieurs.
Ils ont donc une propension à rechercher leur conversion, phénomène psychologique qui leur permet d’exercer leur puissance, de consolider leur sentiment de supériorité, voire de suprémacisme, tout en se déculpabilisant de l’anéantissement de « l’autre ».
Pour l’exemple, la Turquie actuelle avait participé, plusieurs siècles avant notre ère, à la civilisation Hélène, puis est devenue au Moyen-âge l’épicentre de la chrétienté avec Byzance (actuellement Istanbul) et enfin s’était revêtue du burnous islamique pour en assumer l’autorité spirituelle et politique jusqu’en 1924.
La Perse, la Russie, la Chine, l’Espagne, le Royaume Uni, la France et l’Allemagne ont également façonné une vision politique d’Empire. Leurs États actuels gardent cette tendance à se projeter au-delà de leurs frontières, hantés quelque part par l’esprit de leur passé.
L’étranger, pour l’Empire, représente un élément potentiel de gain territorial, matériel et/ou démographique, donc d’enrichissement de soi !
Face aux Empires, il y a les peuples qui sont, eux, menacés d’être engloutis. Ils n’ont que le choix entre abdiquer ou résister. Dans le premier cas, ils peuvent être dissolus, voire anéantis ou au moins vassalisés.
Dans le second cas, ils essayent d’exister en défendant leur territoire et protégeant leur culture autochtone. Cette résistance les mène à se méfier de l’étranger perçu comme le vecteur de la menace de leur asservissement.
Bien entendu, ils peuvent être généreux, ouverts et accueillants pour l’étranger de passage. Mais ils doivent être vigilants et même méfiants face à des communautés étrangères qui souhaitent s’intégrer ou plus encore, s’ingérer, dans le corps de la nation.
Le Maghreb a vécu une succession d’envahissements
Pour l’exemple, le Maghreb a vécu une succession d’envahissements par divers Empires depuis la haute antiquité. Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, Espagnols, Portugais, Turcs et Français se sont succédés pour contrôler la totalité ou en partie cette vaste région stratégique mais trop peu peuplée pour se défendre contre des Empires en pleine expansion.
Cependant, à chaque fois, les autochtones arrivent à reprendre leur souveraineté, systématiquement par la résistance armée.
Cette longue histoire a marqué au fer rouge la mentalité du peuple maghrébin qui, bien qu’hospitalier et généreux, se veut souverain chez lui. De là, à voir pour eux, les États puissants comme un danger et à prendre des précautions pour s’en protéger devient légitime.
Les peuples résistants qui ont subi l’envahissement des Empires deviennent réfractaires à l’étranger et se referment souvent sur eux-mêmes, confondant parfois défense de soi et autarcie.
Même si le Maghrébin a adopté, à l’image des perses et des turcs, l’islam comme religion et contribué à sa diffusion (Espagne andalouse, Sahel et Afrique subsaharienne), à sa spiritualité (les tariqua soufies), à son effort intellectuel (Ibn Rochd, Ibn Khaldoun…) et à son rayonnement politique, il n’empêche qu’il avait refusé de se soumettre aux Empires arabes Omeyyade et Abbasside en organisant des États autonomes.
Puis, plus tard, il reprendra sa liberté face à l’Empire Ottoman après un siècle d’allégeance qui était une conséquence de leur agression par les Espagnols et le Saint Empire de Charles Quint et enfin après une révolution armée face à l’Empire français.
La faiblesse démographique, l’étendue exceptionnelle de territoires arides voire hostiles au développement humain et une sociologie spécifique (nomadisme et tribalisme) avaient malheureusement empêché une stabilisation de ses États et une montée en puissance d’une économie prospère durant des siècles.
Esprit d’indépendance
Toutefois, l’esprit d’indépendance régna depuis toujours dans ces populations, même s’il a dû parfois succomber devant l’adversité pour se reprendre de la vigueur un peu plus tard.
Aujourd’hui, le Maghreb, tel qu’il s’est depuis toujours constitué à travers l’histoire en trois principaux pays, est interpellé par les remaniements géopolitiques en cours.
Il n’a jamais été un Empire, il n’a eu ni la volonté ni la puissance, ni l’idéologie pour ce projet. Mais à l’heure où les appétits des anciens Empires dominateurs de la région se réveillent, il est interpellé pour se préparer, encore une fois, à défendre son intégrité et ses chances de survie dans ce monde en pleine mutation.
Mentalement et politiquement, les États du Maghreb actuel oscillent entre la négociation d’un statut d’allié-vassalisé pour certains et la volonté d’acquérir une souveraineté complète mais si difficile à atteindre, pour d’autres.
La question vitale pour le Maghreb central (Algérie), le plus doté en moyens humains et naturels, est de trouver un équilibre entre la nécessité de rester maître de son destin, sans tomber dans une autarcie et un isolement qui lui seraient fatidiques.
Le développement économique, industriel, technologique, scientifique, culturel, et social ne pourra se faire sans une ouverture au monde. Il s’agira pour lui, de concilier la nécessaire prudence et même une forme de résistance face aux Empires potentiellement prédateurs d’une part et la non moins nécessaire coopération avec eux d’autre part.
À suivre… Guerres et Paix au Maghreb
*Président de Jil Jadid
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