Politique

« En Algérie, on a le sentiment que la décision en France n’est pas autonome »

Le constat est unanime : jamais les relations entre l’Algérie et la France n’ont atteint un tel degré de pourrissement que depuis le mois de juillet dernier, dans la foulée de la reconnaissance par Paris de la marocanité du Sahara occidental.

Depuis, tous les canaux diplomatiques sont rompus et la question algérienne est devenue, notamment depuis l’arrestation de Boualem Sansal en novembre dernier, centrale dans la politique intérieure française.

Il ne se passe presque plus un jour sans que certains médias français ou les politiques, particulièrement de la droite et de l’extrême droite, ne se focalisent sur l’Algérie décrite presque comme le « souffre-douleur » de la France.

Un battage qui suscite des interrogations sur les intentions des promoteurs de cette escalade, comme l’illustre l’insistance sur la question des OQTF qui pourtant concerne de nombreux pays.

« En France, on donne le sentiment que la délinquance, ce sont les Algériens, les OQTF, ce sont les Algériens »

« Mais pourquoi le débat porte-t-il uniquement sur l’Algérie, sur cette question des OQTF ? », s’interroge l’ex-ambassadeur d’Algérie à Madrid et diplomate Abdelaziz Rahabi.

Invité mercredi de la chaîne France 24, Abdelaziz Rahabi qui admet que les deux pays connaissent la crise la plus « grave » depuis l’indépendance de l’Algérie trouve « exagéré » les affirmations françaises selon lesquelles l’Algérie, ne délivre pas suffisamment de laissez-passer consulaires.

« Il y a une véritable exagération. En 2024, l’Algérie a délivré près de 3.000 laissez-passer consulaires, ce qui représente un taux de satisfaction à la demande française entre 42 et 43 %, c’est exactement dans les mêmes termes pour les autres pays de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne », observe-t-il.

De quoi se questionner sur les arrière-pensées de ceux qui s’appuient sur ce levier pour stigmatiser l’Algérie.

« Nous avons le sentiment en Algérie que c’est un débat qui est dirigé contre l’Algérie, que c’est un débat destiné à promouvoir une affaire, une rente électorale, en France. Nous n’avons jamais cherché à faire de la question de l’immigration un débat de politique intérieur en France, c’est très mauvais pour notre communauté parce que ça la met sous pression, sous tension, ça la met sous suspicion. Et c’est extrêmement mauvais pour l’image du pays parce qu’en France, on donne le sentiment que la délinquance, ce sont les Algériens, les OQTF, ce sont les Algériens…. Il y’a 160.000 OQTF ! Il y’a véritablement une sorte de focalisation sur l’Algérie qui n’est pas très honnête qui laisse à Alger les gens poser des questions », dit-il.

Même « l’ultimatum d’un mois à six semaines », fixé par le Premier ministre François Bayrou pour l’Algérie afin d’accueillir les Algériens que le gouvernement français entend expulser, est aux yeux du diplomate algérien « inapproprié ».

« Nous avons le sentiment que nous sommes revenus au temps des colonies »

« Les États qui ont des relations diplomatiques, -même s’il n’y a pas d’ambassadeur algérien à Paris-, les États qui ne sont pas en guerre, qui ne sont pas belligérants, n’utilisent pas les ultimatums. Il y’a une sorte de privatisation de la question algérienne en France. C’est le ministre de l’Intérieur (Bruno Retailleau) qui parle de l’Algérie, c’est le Premier ministre qui parle de l’Algérie. Nous avons le sentiment que nous sommes revenus au temps des colonies. L’Algérie n’est pas une question intérieure française, c’est avant tout une question diplomatique », martèle-t-il.

« Nous avons des relations diplomatiques, un accord de 1968 qui nous réunit, qui peut être revu, révisé, discuté et amendé, mais qui n’apporte pas grand-chose à l’Algérie », ajoute-t-il encore.

Considéré par les observateurs comme l’élément déclencheur de la crise entre Paris et Alger, la reconnaissance par la France en juillet dernier de la marocanité du Sahara occidental a plutôt fait perdre à la France, au-delà de la violation du droit international, son rôle de « modérateur » dans le Maghreb, selon Abdelaziz Rahabi.

« En prenant position en faveur du Maroc, la France a choisi son camp »

« Je pense que cette position porte plus préjudice à la France qu’à l’Algérie parce que la France, en reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, a perdu son rôle de modérateur, d’arbitre au Maghreb. Elle pouvait faire les bons offices entre l’Algérie et le Maroc, elle a toujours eu ce statut depuis 1978. La France a essayé de jouer un rôle de modérateur, de facilitateur, entre l’Algérie et le Maroc, c’est ce qui aurait pu la qualifier à avoir un rôle au Maghreb. En prenant position en faveur du Maroc, la France a choisi son camp. Pour les Algériens, les choses sont claires. Dans le processus de conception maghrébine, dans les questions intermaghrébines, la France aura peu de poids après avoir pris cette position », développe-t-il.

Et contrairement aux affirmations de certains responsables français selon lesquelles, l’Algérie, depuis la reconnaissance par Paris de la marocanité du Sahara occidental, cherche à se « venger » de la France et à la « punir », Abdelaziz Rahabi observe que les officiels algériens parlent « très peu » de ces questions à l’inverse du gouvernement français d’où proviennent des signaux « contradictoires », signe d’une cacophonie au sommet de l’État, comme l’illustrent l’attitude de Macron et celles de son Premier ministre et de son ministre de l’Intérieur, particulièrement à propos de l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968.

« Vous avez remarqué peut-être que les officiels algériens parlent très peu sur ces questions-là, relève Rahabi, ce qui n’est pas le cas du gouvernement français. On a le sentiment que le ministre de l’Intérieur exerce des prérogatives régaliennes de politique étrangère. Nous avons le sentiment à Alger que la décision en France n’est pas autonome, qu’il y a beaucoup de lobbies, beaucoup de proches de l’Algérie française, de la droite, de l’extrême droite, tous ceux qui ont intérêt à ce que la France n’ait pas de bonnes relations avec l’Algérie. Ils interférent dans la prise de décision française ».

« Ce qui est regrettable, il y’a très peu de bonne volonté, on ne voit pas l’expression d’une bonne volonté en mesure de faciliter un apaisement entre les deux pays parce que les signaux qui nous viennent de Paris sont contradictoires. Il y’a parfois un discours qui va dans le sens de l’apaisement et souvent des discours qui vont dans le sens de l’escalade », déplore le diplomate algérien.

« Je ne pense pas que l’Algérie cherche la rupture avec la France »

S’il trouve « insupportable », la pression exercée par la France sur l’Algérie, Abdelaziz Rahabi exclut toutefois une éventuelle rupture des relations entre les deux pays.

« Nous n’allons pas vers la rupture, car la question de notre communauté en France est centrale et déterminante, nous privilégions la sérénité, la sécurité de notre communauté. Je ne pense pas que l’Algérie cherche l’escalade, la rupture. Par contre, il est très difficile de supporter une telle pression, nous avons le sentiment que notre pays est devenu une question de politique intérieure en France, c’est ce qui est insupportable aux yeux des Algériens ».

Concernant la révision des accords passés entre les deux pays que le Gouvernement français menace de remettre en cause, en plus de la prise de certaines mesures comme celle visant les responsables algériens détenteurs de passeports diplomatiques, Abdelaziz Rahabi rappelle que les conventions internationales sont « strictes » et les « formes de révision sont contenues dans les accords ».

Mais, il s’agit d’une approche qui ne doit pas se faire sur la place publique, selon lui. « Les conventions internationales que nous avons avec la France, si elles sont respectées ou très peu respectées, peuvent faire l’objet de discussion, de révision. Elles peuvent même être dénoncées, mais elles ne peuvent pas être portées sur la place publique. Ce qui est du domaine de la diplomatie n’est pas du domaine de la place publique parce que la vocation, la mission de la diplomatie, c’est de tendre des passerelles, de ne pas arriver à la rupture, de maintenir un minimum de contacts. Or, nous sommes dans deux dynamiques contradictoires. Il y a des diplomates et des esprits de bonne volonté en France aussi qui cherchent l’apaisement, qui cherchent à sauver ce qui reste à sauver, mais il y’a des forces extrêmement influentes, très présentes notamment dans les médias dont le seul objectif est de taper sur l’Algérie », déplore encore Abdelaziz Rahabi.

Interrogé pour savoir si l’Algérie est appelée à initier certains gestes, comme par exemple la libération de l’écrivain Boualem Sansal, pour contribuer à l’apaisement des tensions, Abdelaziz Rahabi, refusant de se focaliser sur des questions spécifiques, soutient que la relation algéro-française doit être appréhendée dans sa globalité.

« Il ne faut pas que cette question des OQTF devienne centrale, il faut aborder les relations algéro-françaises dans leur contexte global qui est dense, humain, économique et stratégique. Il y a des relations de voisinage, à mon sens si nous abordons les relations uniquement sous l’angle des OQTF, nous donnerons du grain à moudre à tous les nostalgiques de l’Algérie française, à l’extrême droite et à tout ce discours anti-algérien que nous entendons çà et là », explique-t-il.

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