Dans cet entretien à TSA, Soufiane Djilali, président de Jil Jadid analyse la crise entre l’Algérie et la France, la détermination du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à engager un bras de fer avec l’Algérie, les amalgames et les accusations contre l’ensemble des Algériens par des politiques français…
Il évoque le rôle des différents lobbys anti-algériens en France dans cette crise, et ce que l’Algérie doit faire.
Vous avez reproché à Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur français, de s’en prendre à tous les Algériens après l’attaque de Mulhouse samedi 22 février. Pourquoi ?
Le ministre de l’Intérieur français semble décider à engager un rapport de force avec Alger. Cependant, au-delà des reproches qu’il peut formuler contre le gouvernement algérien, c’est le rythme de ses attaques et la forme qu’elles prennent qui interrogent.
Tous les médias français reviennent sans cesse sur cette crise en chargeant sans retenue l’Algérie. Pour le commun des Français, tous les problèmes sécuritaires et de migration se confondent maintenant avec les Algériens. Il n’y a plus de nuances.
Les raccourcis entre dictature, islamisme, terrorisme, délinquance avec l’Algérie… sont devenus légions bien que ridicules.
Bien entendu, si j’ai interpellé le ministre de l’Intérieur français dans un réseau social, cela ne signifie pas qu’une pléthore d’autres acteurs politiques ne sont pas sur la même ligne.
Dans ce cadre, les invectives vont trop loin. Cette attitude n’annonce pas une volonté de résoudre des problèmes objectifs entre deux partenaires mais plutôt un bras de force pour faire plier un adversaire.
Les conséquences peuvent être lourdes. Les Algériens de France, dont l’écrasante majorité est en situation régulière et se comportent dignement, se voient d’un seul coup mis sur le banc des accusés.
N’importe quel incident prend une ampleur inconsidérée et devient infamant pour toute une communauté. Ceci dit, il y a par ailleurs beaucoup de Français ainsi que des personnalités politiques qui ont gardé raison et ont été objectifs.
Pourquoi Retailleau fait-il une fixation sur l’Algérie ?
M. Retailleau fait de la politique ! En l’occurrence, il y a comme un faisceau de raisons qui ont fait que l’Algérie soit ciblée par divers lobbies et groupes de pression. Politiquement, la France vit un grand malaise.
L’extrême-droite prend de l’ampleur comme partout en Europe. L’élite politique au pouvoir ne veut pas perdre la main et se droitise en conséquence.
Par ailleurs, les positions souverainistes de l’Algérie dérangent d’autant plus qu’elle est un soutien actif à la cause palestinienne.
Par ailleurs, au plan géopolitique, la France s’est trouvée en porte à faux entre les exigences du Maroc sur la reconnaissance de son occupation du Sahara occidental et d’un autre côté ses pertes de marchés en Algérie.
Il y a clairement une frustration. En sacrifiant la relation avec l’Algérie et en la désignant comme la source des problèmes de son pays, M. Retailleau et ses amis veulent récupérer les voix de l’extrême-droite et consolider la position de la France au Maroc au détriment de l’Algérie.
L’Algérie est-elle devenue un puissant ascenseur électoral en France ?
Il est banal de dire qu’une certaine France n’a point digéré l’indépendance algérienne. D’ailleurs il y a un discours récurrent qui colporte l’idée que l’Algérie a été une création de la France, que la nation algérienne n’a jamais existé et que le colonialisme a été un bienfait.
Ce courant de pensée est latent bien que significatif. C’est un gisement électoral incontestable. Rajouter à cela, tout le courant pro sioniste devenu allergique à l’Algérie et maintenant une large partie de l’électorat franco-marocain qui fait alliance avec les deux précédents.
D’autres pays, notamment le Maroc, ont des problèmes similaires avec la France concernant la lutte contre l’immigration clandestine mais ils ne subissent pas les mêmes attaques que l’Algérie. Pourquoi ?
Il y a pratiquement autant de Marocains que d’Algériens en France. Leurs difficultés socio-économiques et d’insertion se recoupent. D’ailleurs, en France, on parle de Maghrébins les considérant comme de la même origine.
Cependant, le traitement médiatique n’est pas le même. Pour l’exemple, lorsqu’il y a eu les attentats terroristes du Bataclan avec au moins 129 morts et près de 400 blessés, il n’y a eu aucune accusation contre l’État marocain.
L’origine marocaine des terroristes est à peine mentionnée. De la même manière, les médias ne reprennent pas les scandales liés à la drogue provenant de ce pays ni ne parlent du nombre de ses ressortissants en prison.
Je pense que c’est cela qui est normal. On ne confond pas les individus avec les politiques de leur État.
Mettez maintenant en parallèle la réaction hystérique contre un youtubeur algérien. Celui-ci s’était probablement adressé trop brutalement à un concitoyen algérien, mais n’a mis personne en danger et n’a commis aucun acte délictueux envers la France.
Les médias l’ont carrément lynché et se sont attaqués au gouvernement algérien l’accusant de complot ! Ces réactions épidermiques sont trop passionnelles et subjectives. Elles ne peuvent relever d’une stratégie d’État mais seulement de bricolage politicien.
Que doit faire l’Algérie ?
L’Algérie doit agir avec beaucoup de sang-froid. Ses relations avec la France sont importantes mais sa dignité, sa diaspora et ses intérêts nationaux doivent être protégés.
Il y a un grand potentiel de coopération au bénéfice des deux pays. Il faut reconnaître aussi qu’une partie significative du peuple français a un lien direct ou indirect avec l’Algérie.
Des hommes et des femmes politiques courageux et lucides des deux côtés peuvent, le moment venu, reconstruire une relation qui a été mise à mal ces derniers temps à cause de calculs politiciens malsains. Maintenant, si les vicissitudes de l’histoire causent un déchirement plus grave alors l’Algérie regardera vers d’autres horizons.