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Exportations de pastèques d’Algérie : l’enjeu de l’eau

Exportations de pastèques d’Algérie : l’enjeu de l’eau

Par flucas / Adobe Stock
Des pastèques.

L’arrivée sur le marché de gros à Rungis en France d’une cargaison de pastèques en provenance d’Algérie a ravi de nombreux consommateurs.

La pastèque est également appelée melon d’eau. Un nom qui, à lui seul, symbolise combien ce produit est associé à l’eau, celle contenue dans sa chair rouge, mais également celle nécessaire à sa culture. Faut-il encourager l’exportation de pastèques dans un contexte de raréfaction des ressources en eau en Algérie ?

Ces exportations ne sont pas nouvelles. En 2021, l’agence APS indiquait que 25 tonnes de pastèques et de melons avaient été chargés dans un container à El Oued et expédiés en France via le port de Skikda. En 2023, à nouveau, 25 tonnes de pastèques produites à El Oued ont été exportées, selon le quotidien L’Expression.

Des quantités rapprochées de celles exportées en 2023 vers l’Union européenne par l’Espagne, 560.000 tonnes et par le Maroc, 223.000 tonnes, selon Eurostat, alors que l’Algérie a été classée plus grand producteur de pastèques en Afrique en 2023 avec une quantité de 2,2 millions de tonnes, selon les chiffres de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Exportation de pastèques, le triste bilan du Maroc

Selon les experts de Technisem, une société française spécialisée dans la production et la distribution de semences potagères, les besoins en eau des pastèques sont élevés : « De la plantation à la floraison, les besoins en eau sont estimés de 4 à 5 mm par jour. De la floraison à la récolte, les besoins en eau sont estimés de 7 à 7,5 mm par jour. »

Des besoins en eau qui semblent peu importants, mais qui sur les 3 mois de culture sont considérables, d’autant plus que ces experts recommandent « d’arroser 1 à 2 fois par jour selon la saison, le matin et le soir ». La pastèque est composée de 90 % d’eau.

Grand pays exportateur de pastèques, l’expérience du Maroc mérite l’attention. Comme en témoigne la presse locale, le bilan de la culture et l’exportation de pastèques est mitigé au Maroc.

Si début juin, le média Bladi.net se félicitait qu’alors que « les exportations de pastèques du Maroc vers l’UE ont doublé au cours des cinq dernières années, celles de l’Espagne ont chuté de près de 20 % » fin juin, le discours était plus nuancé.

Ce média titrait : « Le Maroc assoiffé par la pastèque de Zagora » et indiquait que « le ministère de l’Intérieur a recommandé de réduire la superficie cultivée de pastèques rouges de 5.000 hectares à seulement 2.000 hectares pour la saison prochaine ».

En cause, les quantités d’eau prélevées à Zagora par les agriculteurs au profit de la pastèque au détriment de la population locale mécontente.

Récemment, un paysan marocain confiait à un journaliste français : « Au Maroc, il n’y a plus d’eau, ni dans le ciel ni dans le sol ».

Cette réticence des autorités marocaines face à la culture de la pastèque se fait également sentir en Algérie. En mai dernier, lors du lancement de la campagne de moisson à Adrar, comme pour s’excuser, le wali avait indiqué qu’à part 11 hectares de pastèques, le reste des superficies mises en valeur concernait essentiellement « les cultures stratégiques » : céréales, fourrages et oléagineux.

Pour les services agricoles algériens, le défi actuel est de développer les cultures stratégiques afin de réduire les importations de blé, oléagineux, sucre et poudre de lait.

En janvier 2023, dans les colonnes d’Agro-lignes, l’agro-économiste Omar Bessaoud s’inquiétait du fait que malgré les efforts des services agricoles, « les entreprises agro-alimentaires du pays fonctionnent toujours comme on le sait, au moyen des importations étrangères. Semoule, farines, pâtes alimentaires et couscous, sucre, huiles et produits laitiers produits par les entreprises nationales dépendent en grande partie des importations de matières premières agricoles ».

L’expert appelait de ses vœux à se défaire du mythe de « l’Algérie grenier de Rome » en rappelant que les quantités de blé exportées à l’époque romaine équivalaient à peine à celles récoltées au niveau d’une seule commune céréalière comme de Rahouia dans la wilaya de Tiaret.

Soulignant les défis à relever, un autre agro-économiste, Sahli Zoubir, rappelait en janvier 2023 dans le quotidien Liberté, les potentialités limitées du pays : « Le ratio de la SAU totale rapporté à la population, qui était de 0,70 ha/habitant dans les années 60-70, a diminué à 0,30 ha/habitant dans les années 70-80 et il sera probablement de 0,19 ha/habitant en 2025. Les experts prévoient que l’Algérie va connaître à un horizon proche une réduction des précipitations de l’ordre de 5 à 13 % et une augmentation des températures de 0,6 à 1,1 °C ».

Il ajoutait qu’il existe des moyens de réduire la dépendance alimentaire : « Mais il existe des marges de manœuvre et il est grand temps de se recentrer sur les véritables facteurs-clés de succès et sur les grands enjeux ». Avec sa propension à consommer beaucoup d’eau, on peut se demander si la pastèque fait partie de ces « marges de manœuvre ».

Algérie : blé ou pastèque, que faut-il choisir ?

Et si exporter de la pastèque permettait d’importer du blé ? En cette fin juin, le cours des céréales en France est de 223 euros la tonne contre jusqu’à 1.500 euros la tonne de pastèques en provenance d’Algérie. L’exportation d’une tonne de pastèques pourrait permettre de financer l’importation de 6 tonnes de blé.

Cependant, il s’agit de composer avec l’eau disponible en Algérie. Signe de la pression du secteur agricole sur les ressources en eau du pays, dans plusieurs wilayas du Nord, des agriculteurs se détournent de la technique syrienne de forage de puits par « battage » au profit de celle du « rotary » semblable à l’exploration pétrolière.

La cause ? La première technique ne permet de forer que jusqu’à 100 mètres de profondeur contrairement à la seconde qui offre la possibilité d’aller au-delà.

Face au manque de pluies, de nombreux agriculteurs font des demandes auprès des services de l’hydraulique pour approfondir leurs forages, dont le débit s’est réduit quand il n’est pas nul.

À Tiaret, pas d’aide aux producteurs de pastèques

Encourager ou non l’exportation de pastèques revient aux ministères de l’Agriculture et du Commerce. C’est à eux que revient le rôle de fixer les priorités en matière d’exportations agricoles de l’Algérie.

À Tiaret, dès 2023, les autorités locales ont tranché. Lors d’une sortie sur le terrain, le wali a indiqué qu’il n’accorderait aucune aide aux projets d’investissement visant la culture de la pastèque. Une mesure prémonitoire lorsqu’on a en mémoire la crise actuelle de l’eau que connaît cette wilaya du fait que le barrage de Bekhedda soit à sec.

Les pouvoirs publics disposent des outils de contrôle nécessaire. S’il leur est difficile de contrôler à quelle culture est destiné l’eau des forages réalisés à partir de subventions publiques, il leur reste la possibilité de suspendre les aides à l’exportation concernant les pastèques.

Dans un tel cas, la question serait d’envisager comment faire profiter les cultures dites stratégiques du savoir-faire des producteurs de pastèques.

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