La France vit depuis quelques jours un bras de fer entre la plus haute hiérarchie de la police et les autorités judiciaires. Le pouvoir politique laisse faire et c’est un fondement de la démocratie française, la séparation des pouvoirs, qui s’en trouve ébranlé.
La gestion de l’après-émeutes s’avère très compliquée pour le président et le gouvernement français. Pendant les violences qui ont suivi la mort du jeune Nahel, tué par un policier mardi 27 juin au cours d’un contrôle routier à Nanterre, c’est d’abord sur la police que le gouvernement a compté pour rétablir l’ordre.
Le traitement sécuritaire des crises et des contestations, un marqueur de la présidence d’Emmanuel Macron, a fait que ce corps de sécurité soit très sollicité depuis la longue révolte des gilets jaunes.
Avec les missions ordinaires de maintien de l’ordre qui leurs sont assignées, notamment dans les quartiers dits « difficiles« , les policiers français sont à bout.
Néanmoins, leur colère a dépassé d’un cran le seuil qui pouvait être toléré dans un État de droit. L’incarcération d’un policier à Marseille pour violences avérées sur des émeutiers a ulcéré la corporation, mais la réaction de cette dernière ne s’est pas limitée, comme il est de coutume, à une montée au créneau de ses syndicats.
Le premier responsable de la police, Frédéric Veaux, a contesté publiquement la décision de la justice, ce qui est qualifié par certaines parties en France de précédent grave.
Frédéric Veaux a avoué que le fait de savoir que le policier est derrière les barreaux l’empêchait de dormir. « Avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail« , a jugé le directeur général de la police française.
La grogne est en train de faire tache d’huile tant chez les policiers qu’au niveau de la hiérarchie. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, a dit partager les propos de Frédéric Veaux.
Logiquement, le syndicat des magistrats a réagi pour rappeler fermement qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, « l’autorité judiciaire est la seule légitime pour décider du placement ou non en détention provisoire » et que les règles de droit « s’appliquent à tous, sans exception« .
Grogne de la police française : silence du président Macron
Et alors que toute la France attendait que l’arbitre suprême siffle la fin de la partie, Emmanuel Macron ne s’est pas montré indigné outre mesure par ces atteintes aux principes fondateurs de la République et de l’État de droit.
Dans une interview diffusée sur TF1 et France 2, le président français n’a pas lâché sa police sur laquelle il a tant compté ces dernières années, disant « comprendre » l’émotion des policiers « confrontés à la violence la plus extrême« .
Même s’il a tempéré ses propos en indiquant qu’il faut faire « respecter l’État de droit pour tous« , Emmanuel Macron est accusé, notamment à gauche et par certains politologues, d’avoir cédé à la pression de la police.
Pour Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, cité par Mediapart, Macron a montré « sa faiblesse et sa fragilité politique« . « C’est comme s’il disait : je ne suis pas le chef« , estime le chercheur.
Des révélations de la presse française ont compliqué davantage la situation. L’interview du chef de la police aurait été validée par le ministère de l’Intérieur avant sa publication.
Quoi qu’il en soit, cet épisode est révélateur des divisions et des antagonismes qui traversent la France, classe politique et société. Certains analystes n’hésitent même plus à parler de « coup d’État » de la police. On en est sans doute loin d’une telle situation, mais il reste un fait inquiétant.
Le triomphe des idées de l’extrême-droite au sein d’une partie de la police française est encore plus important que la montée de cette idéologie dans la société.
Selon différents sondages, une grande majorité des policiers et militaires français votent pour la droite et l’extrême-droite. Quelque chose est en train de changer profondément dans la société française.