En 2023, un signalement a été fait en France devant le Parquet national financier (PNF) à l’encontre de l’ancien ministre algérien Mohamed Bedjaoui, soupçonné d’avoir été corrompu par le Qatar alors qu’il était juge à la Cour internationale de justice (CIJ).
Près de deux ans après, le journal en ligne français Mediapart fait de nouvelles révélations sur cette affaire qui est finalement le prolongement d’un conflit entre deux États du Golfe : le Bahreïn et le Qatar.
Le signalement visant Mohamed Bedjaoui et deux autres personnes, Ali Bin Fetais Al Marri, ancien procureur du Qatar, et l’homme d’affaires français Jean-Paul Soulié, a été fait par le député Philippe Latombe.
L’homme politique soupçonnait l’émirat du Golfe d’avoir versé des pots de vin afin d’être favorisé dans ses affaires pendantes au niveau de la CIJ.
Les soupçons avaient acquis un certain crédit car l’affaire a éclaté quelques semaines après le scandale de corruption de députés européens dans lesquels étaient impliqués le Qatar et le Maroc.
Dans son signalement, le député français avait présenté le procureur du Qatar Al Marri comme un « acteur important de la stratégie d’influence mise en œuvre par le Qatar auprès de personnalités publiques étrangères » et comme un personnage qui avait la haute main, en sa qualité de vice-ministre de la justice entre 1998 et 2002, sur les gros dossiers du Qatar devant la justice, notamment la CIJ.
C’est à cette époque justement, en 2001, que la Cour a rendu un arrêt favorable au Qatar dans un litige sur les eaux territoriales qui l’opposait au Bahreïn, révèle Mediapart dans son enquête. Mohamed Bedjaoui était, entre 1982 et 2001, juge à la CIJ qu’il a aussi présidée entre 1994 et 1997.
Le juriste international a été ministre de la Justice en Algérie dans les années 1960, puis président du Conseil constitutionnel et ministre des Affaires étrangères dans les années 2000. En janvier 2023, il a été condamné par contumace par la justice algérienne à 5 ans de prison ferme pour corruption dans le cadre de l’affaire Sonatrach 3.
Le Bahreïn à l’origine d’une plainte contre Mohamed Bedjaoui en France
Près de deux décennies après le jugement de la CIJ, lors de la crise ayant opposé le Qatar aux autres pays du Golfe, Bahreïn a déterré l’affaire et a entrepris de contester la décision de la CIJ en attaquant le dossier "sous l’angle de la corruption présumée de certains des juges qui ont rendu la décision". L’idée a été soufflée aux Bahreïnis par l’avocat français Philippe Feitussi.
Un cabinet d’intelligence français dirigé par un ancien militaire a été engagé pour réunir des éléments de preuve. Un rapport de 800 pages a été rédigé "sous la coupe du prince Nasser (qui commande notamment la garde royale du Bahreïn)« , après un an d’investigations réalisées »en open source (sources ouvertes) et en sources humaines, mais aussi par le biais d’essais techniques, type hacking", selon un document interne que Mediapart dit avoir consulté.
Les services de renseignement du Bahreïn avaient acquis la conviction que quatre magistrats dont Mohammed Bedjaoui auraient pu être achetés pour prononcer le verdict favorable au Qatar.
C’est le même avocat Philippe Feitussi qui a incité le député Philippe Latombe à saisir le PNF alors que le gouvernement de Bahreïn a voulu laisser tomber l’affaire, du moins officiellement, après sa réconciliation avec le Qatar, rapporte le journal français d’investigation.
Bien que l’avocat nie que cette société soit le faux nez du Bahreïn, le journal assure que sa trace apparaît de nouveau à l’occasion du déplacement dans ce pays de lobbyistes français. Le déplacement, financé par Queen Capital International Limited, fait grand bruit.
Selon Mediapart, une délégation de consultants engagés dans la défense des intérêts du Bahreïn s’est rendue à Manama en juillet dernier. Parmi ceux qui ont fait le voyage, l’ancien Premier ministre Manuel Valls, "rémunéré 30.000 euros pour ce déplacement de trois jours".