Politique

Guerre d’Algérie : nouvelle preuve accablante sur l’usage de la torture

Après les témoignages des victimes et les aveux des bourreaux, la preuve que l’armée française a torturé à grande échelle durant la guerre d’Algérie est apportée par les archives.

L’historien Fabrice Riceputi a partagé, dans un article publié sur Mediapart ce dimanche 16 mars, un document à la teneur presque explicite. Il s’agit d’un ordre écrit du général Raoul Salan à ses subalternes, les exhortant à généraliser la torture. La note est datée du 11 mars 1957.

Pourtant vaincu en Indochine, Salan a été nommé fin 1956 commandant interarmées en Algérie. Tous les militaires français présents en Algérie étaient sous ses ordres.

Défenseur extrémiste de l’Algérie française, il a pris part au putsch des généraux en 1961 et pris la tête de l’OAS (Organisation de l’armée secrète). Condamné à mort, il a été amnistié en 1968 et réhabilité en 1982, deux ans avant son décès en 1984.

Guerre d’Algérie : l’historien Fabrice Riceputi dévoile un document inédit sur la torture

Les historiens s’accordent sur le fait qu’il est l’ordonnateur direct de la généralisation de la torture en Algérie en sa qualité de commandant en chef des troupes françaises présentes sur le territoire.

Le document révélé par Fabrice Riceputi en est une preuve tangible supplémentaire.

C’est à peine si le général d’armée prend une précaution en évitant de citer le mot “torture” dans sa note.

“Les mots sont soigneusement choisis pour ne pas s’exposer à une accusation infamante, voire, si le vent politique venait à tourner, à des poursuites judiciaires”, explique l’historien.

C’est que, à l’époque déjà, la torture était considérée comme un crime aux yeux de la loi. Elle rappelait aussi aux Français “les méthodes de la Gestapo et des SS durant l’Occupation”.

“Certains ne se privent pas de le dire”, fait remarquer Riceputi, en allusion à la polémique déclenchée par le journaliste Jean-Michel Aphatie qui a fait le parallèle entre les crimes des nazis pendant la Seconde guerre mondiale et ceux de l’armée française durant la conquête de l’Algérie au 19e siècle.

Dans sa note, Salan a souligné “le parti qui pouvait être tiré, surtout dans les villes, d’interrogatoires poussés à fond et immédiatement exploités”, indiquant qu’ “il importe que tout prisonnier soit interrogé avec le plus grand soin et que tout détail même apparaissant de prime abord sans importance soit enregistré et utilisé sur-le-champ le cas échéant”.

Quand le futur chef de l’OAS ordonnait à l’armée française de généraliser la torture en Algérie

“Dans plusieurs localités importantes, des filières ont pu ainsi être remontées et leurs membres neutralisés”, assure-t-il, pour convaincre ses subordonnés de l’efficacité de la torture, qu’il prend le soin toutefois de ne pas nommer.

La note du général d’armée Salan n’était pas seulement une autorisation de pratiquer la torture mais un ordre de la généraliser, comme le montre le dernier paragraphe dans lequel “les généraux, commandant des divisions militaires et les troupes et services des Territoires du Sud” sont exhortés d’instruire les hommes sous leurs ordres “pour que tout individu appréhendé soit soumis à un interrogatoire aussi serré que possible, et que les renseignements ainsi obtenus soient exploités dans les délais les plus rapides”.

Malgré ce “camouflage linguistique”, comme le qualifie Fabrice Riceputi, le général Salan a pris d’autres précautions pour qu’il ne soit pas identifié comme étant l’ordonnateur de cette pratique criminelle.

Les officiers sous ses ordres sont sommés de donner les instructions “oralement”. “Cette directive est strictement personnelle et ne doit en aucun cas être diffusée par écrit”, est-il précisé dans la note.

“C’est le cas pour beaucoup de directives du général Salan, mais cette note-là peut moins qu’aucune autre être divulguée”, commente Riceputi pour qui, malgré ses précautions, Salan ne trompe personne.

Guerre d’Algérie : un document inédit sur l’usage de la torture dévoilé

Il n’ordonne pas d’interroger les suspects, car ces derniers sont systématiquement interrogés. Le général explique plutôt la manière dont les suspects doivent être interrogés.

Selon l’historien, il n’avait pas à spécifier les méthodes que les soldats connaissaient déjà pour avoir été utilisées en Indochine et plus récemment pendant la Bataille d’Alger.

Les décharges électriques et les simulations de noyade sont les plus préconisées car elles permettent “une graduation de la douleur » et sont « censées laisser peu de traces sur les corps suppliciés”. “Mais bien d’autres formes de supplices, plus sanglantes, sont attestées”, ajoute l’historien.

La veille de la note de Salan, le 10 mars 1957, le général avait produit une autre à l’adresse de la 10e division blindée qu’il commandait au moment de la Bataille d’Alger.

“Dans un but d’efficacité, la persuasion doit être utilisée au maximum, lorsqu’elle ne suffit pas, il y a lieu d’appliquer les méthodes de coercition dont une directive particulière a précisé le sens et les limites”, avait-il écrit.

Massu a reconnu en 1971 l’usage de la torture en Algérie, souvent suivie de disparitions forcées. 

Dans sa reconnaissance en septembre 2018 de l’assassinat par l’armée française de Maurice Audin, le président Emmanuel Macron avait indiqué que la mort du résistant algérien avait été rendue possible par un “système” qui a été “le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture”.

Des dizaines de milliers d’Algériens ont fait les frais de ce système. Mais, “dès le lendemain des accords d’Évian, l’État français dirigé par de Gaulle s’auto-amnistia de ces crimes par décret”, écrit Fabrice Riceputi.

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