Le journaliste français Jean-Michel Aphatie est suspendu par la radio RTL, coupable de ne pas diluer sa dénonciation des crimes de la colonisation en Algérie.
Un deux poids, deux mesures quand on sait l’indulgence dont bénéficient en France ceux qui tiennent un discours contraire, ceux qui dénigrent l’Algérie et les Algériens et ceux qui louent les crimes coloniaux d’hier en Algérie et d’aujourd’hui en Palestine.
Apathie n’a fait que rappeler des crimes coloniaux reconnus en leur temps par leurs auteurs et dénoncés en tant que tels par les médias et les politiques de l’époque, en France et à l’étranger.
Mercredi 5 mars, Jean-Michel Aphatie n’était pas présent à l’émission RTL Matin. La direction de la radio a toutefois expliqué à l’AFP qu’il ne s’agit pas d’un arrêt définitif mais d’un “retrait” momentané. Le journaliste sera de retour la semaine prochaine, a-t-on expliqué.
La France a « fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie »
Jean-Michel Aphatie est connu pour ses positions tranchées sur le colonialisme. Il est l’une des voix qui, en France, apporte la contradiction au courant anti-Algérie et à ceux qui continuent à glorifier la colonisation, avec chiffres et faits irréfutables à l’appui.
Le 25 février, il a tapé fort. Non pas qu’il a déterré un crime méconnu du colonialisme, mais a “osé”, selon le terme qui l’accable désormais, comparer les crimes commis en Algérie à ceux de l’Allemagne nazie en France.
En juin 1944, les Allemands ont mis à mort la population du village français d’Oradour-sur-Glane. Bilan, 642 habitants brûlés vifs dans une église.
“Nous avons fait des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie”, a lâché Jean-Michel Aphatie. Enfonçant le clou, l’éditorialiste a ajouté que ce sont les nazis qui ont copié les méthodes de l’armée coloniale française puisque, au moment de la conquête de l’Algérie, les nazis ”n’existaient pas encore”. Logique.
Affaire Aphatie : en France, “on peut être radical, si c’est contre les Arabes”
Jean-Michel Aphatie avait zéro chance d’échapper au lynchage dans le double contexte de la crise avec l’Algérie et des fortes tensions au Moyen-Orient.
L’extrême-droite, nostalgique de l’Algérie française et opposée à toute idée d’excuses de la France sur son passé colonial en Algérie, ne pouvait pas laisser passer une telle dénonciation, venant de surcroît d’un Français.
Jean-Michel Aphatie est attaqué pour avoir rappelé qu’il y a eu quelque part dans le monde une souffrance au moins égale à celle endurée par les Juifs pendant la Seconde guerre mondiale.
Dans le même temps, les attaques contre l’Algérie, les Algériens et même les Français ayant un lien avec l’Algérie se poursuivent, en toute impunité. Les éloges du génocide israélien en Palestine aussi.
L’état d’esprit qui anime aujourd’hui une grande partie de la classe politique et médiatique française est résumé dans ce qu’a dit le politologue Thomas Guénolé, sur le plateau de TPMP, une émission qui n’a pas pourtant la réputation d’avoir de la sympathie pour l’Algérie ou la Palestine.
“Vous avez le droit d’être radical, si c’est contre les Arabes », a-t-il dit. Ce chroniqueur a dénoncé l’indignation sélective devant les propos de Jean-Michel Aphatie et ceux de Barbara Lefèbvre, la chroniqueuse de RMC qui a appelé à effectuer un nettoyage ethnique à Gaza.
Le deux poids, deux mesures est souligné par Jean-Michel Aphatie lui-même dans un tweet ce jeudi 6 mars.
“Malgré des condamnations judiciaires qui ont fait de lui un délinquant, Éric Zemmour n’a jamais été suspendu par une entreprise de presse. Il a au contraire été promu”, s’indigne le journaliste qui dénonce ce qu’il appelle le “Bolloréland”, ou l’empire médiatique de Vincent Bolloré et la “vaste rigolade” de la liberté de la presse en France.
Sur les chaînes françaises, Zemmour passe son temps à glorifier le colonialisme. Sur BFMTV, il est allé jusqu’à dire que l’Algérie était un « cloaque » avec la conquête française, sans susciter la moindre réaction.
Du reste, Jean-Michel Aphatie n’a rien dit de nouveau sur la brutalité coloniale de l’Algérie. Si les nazis ont brûlé vifs plus de 600 personnes dans l’église d’un village français, l’armée française a enfumé des milliers d’Algériens dans des grottes pendant la conquête coloniale.
Aphatie : “Tous les historiens m’ont donné raison”
Les faits ont été rapportés par leurs auteurs, les officiers du corps expéditionnaire, et consignés dans les archives.
“Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, enfumez-les à outrance comme des renards”, disait le sinistre général Bugeaud à ses hommes. C’est ce que l’histoire a retenu sous le nom de “doctrine Bugeaud”.
La première enfumade, celle des Sbehas, dans la région de Chlef, a eu lieu le 11 juin 1844. Elle a été racontée par le général Canrobert.
“On pétarda l’entrée de la grotte et on y accumula des fagots, des broussailles. Le soir, le feu fut allumé. Le lendemain, quelques Sbéahs se présentaient à l’entrée de la grotte demandant l’aman à nos postes avancés. Leurs compagnons, les femmes et les enfants étaient morts.”
Une année plus tard, dans le Dahra, près de Mostaganem, le lieutenant-colonel Pélissier fait périr dans les mêmes conditions entre 600 et 1200 membres de la tribu des Ouled Riah.
“Voir, au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de troupes françaises occupé à entretenir un feu infernal ! Entendre les sourds gémissements des hommes, des femmes, des enfants et des animaux”, a raconté un soldat, témoin de la tuerie.
“Beaucoup d’historiens de la période de la conquête algérienne ont été sollicités. Tous m’ont donné raison sur la réalité des faits”, a écrit Apathie dans son tweet de ce jeudi.
Jean-Michel Aphatie a en effet absolument raison. La France a commis en Algérie des crimes comparables au massacre d’Oradour-sur-Glane, comme le montrent indéniablement les témoignages et les aveux cités plus haut. Les faits sont très identiques. Sauf que là, les victimes étaient algériennes.