Karim Amellal, ambassadeur de France, est délégué interministériel à la Méditerranée.
Proche du président Emmanuel Macron, Karim Amellal, s’exprime sur la crise entre la France et l’Algérie et l’impact des tensions actuelles sur les Franco-Algériens et la crainte de ces derniers de s’exprimer.
M. Amellal, premier Franco-Algérien à ce niveau de responsabilité en France à s’exprimer sur la crise entre les deux pays, apporte une vision différente de celle du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, évoque les chances de sauver la relation franco-algérienne de la rupture.
Il assure que le président de Macron garde le contrôle total sur la gestion de la crise et sa main est toujours tendue vers l’Algérie.
Vous vous êtes exprimé à deux reprises dans des tribunes pour appeler au dialogue pour résoudre la crise entre Alger et Paris. Avez-vous été entendu ?
Les présidents Macron et Tebboune se sont exprimés dans le sens de la nécessité du dialogue. Il faut maintenant que cela avance pour ne pas donner prise à ceux qui veulent la rupture.
Ce qui est notable c’est que nos prises de position ont suscité – comme d’habitude – des attaques de chaque côté.
J’ai par exemple vu quelqu’un d’assez connu (Kamel Daoud, NDR) nous accuser de nous « indigner » de la situation, comme si notre démarche était une sorte de victimisation, ou bien regretter qu’on ne prenne pas position en Algérie.
C’est absurde. Nous ne nous indignons de rien, nous ne demandons pardon pour rien, nous ne sommes victimes de rien : nous appelons simplement à l’apaisement et au dialogue pour sortir dignement de cette crise !
Les franco-algériens ne sont pas nombreux à s’exprimer sur cette crise. Pourquoi ?
Ils ne sont pas nombreux, et pour cause ! Beaucoup d’entre nous, mais plus largement tous ceux qui aiment l’Algérie, ne se sentent pas à l’aise avec cette situation, ou ont peur d’être attaqués, des deux côtés. Je comprends très bien cela.
Moi-même je suis systématiquement attaqué par l’extrême droite en France qui me reproche ma binationalité et par d’autres extrémistes en Algérie qui m’accusent, au choix, d’être pro-MAK, sioniste ou pro-Makhzen !
Peu importe, je continuerai malgré les attaques à servir et à œuvrer pour le rapprochement.
Dans ce moment de crise, ce qui est important c’est que nous retrouvions la raison et le sens du dialogue, et que des voix modérées s’expriment dans ce sens. Nos intérêts – ceux de la France et ceux de l’Algérie – nous commandent de discuter et d’avoir une relation de confiance et de respect mutuel.
Le président Macron a tardé à prendre la parole sur la crise au moment où le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau multipliait les interventions. Pourquoi ?
Le président de la République est seul maître du moment auquel il juge bon d’intervenir dans ce qui relève de son domaine réservé. Il n’échappe à personne que le contexte politique en France aujourd’hui est singulier.
La relation France Algérie est au bord de la rupture. Y a-t-il encore des chances de la sauver ?
Evidemment, même si la situation est critique et que les tenants de la rupture sont particulièrement vocaux. Ce qui est sûr c’est que la dialogue doit prévaloir.
On doit se remettre, de part et d’autre, en position de discuter. Se retrancher derrière son mur de certitudes et d’opinions toutes faites n’est jamais sain.
La diplomatie doit retrouver sa raison d’être, par-delà les intérêts de politique intérieure. J’observe que, en France comme en Algérie, même si les crispations sont importantes, les deux chefs d’Etat ont évoqué la nécessité de renouer le dialogue.
Bruno Retailleau menace de démissionner si le gouvernement renonce au bras de fer de l’Algérie. Pourquoi est-ce le ministre de l’Intérieur qui gère cette crise ?
J’observe simplement que la politique étrangère, en France et en vertu de notre Constitution, est décidée par le président de la République et mise en œuvre par le ministre des Affaires étrangères. Le Président l’a rappelé.
Quel est l’impact de l’affaire Sansal sur la crise ? Pourquoi l’extrême droite tient tant à lui ?
L’emprisonnement de l’écrivain Boualem Sansal est un élément important de cette crise. Son arrestation et son placement en détention en Algérie ont suscité, légitimement, une énorme émotion en France, de part et d’autre du spectre politique et pas seulement l’extrême droite.
La gauche et la droite, des personnalités de tous horizons, des écrivains de toutes nationalités s’en sont émues et indignées, d’autant que c’est un vieil homme malade, qui souffre d’un cancer.
Des personnalités aussi peu coupables de complaisance avec l’extrême droite comme Dominique de de Villepin, François Hollande ou encore Mathilde Panot, parmi de nombreux autres, ont condamné la détention de l’écrivain et demandé sa libération.
Vous vous souvenez de la formule du général de Gaulle en 1960 concernant Jean-Paul Sartre : « on n’emprisonne pas Voltaire », quels que soient les reproches qu’on lui adresse.
C’est notre sentiment profond, en France, lorsqu’il est question d’un écrivain ou d’un artiste, dont la liberté de ton, de création et d’expression est sacrée.
Je sais que c’est un point de désaccord avec les Algériens, qui ont leurs lois, que nous respectons, mais je pense aussi qu’il y a des circonstances où un principe d’humanité doit prévaloir.
La question des OQTF empoisonne la relation France Algérie. Le gouvernement français a fixé un ultimatum qui a été aussitôt rejeté par l’Algérie. Comment la régler ?
Pour la France c’est un sujet essentiel, a fortiori dans le contexte actuel et après des actes tragiques qui ont montré à nouveau qu’il y avait bien un problème et que ce problème pouvait devenir une menace pour la sécurité des Français.
Nul responsable français ne peut y être indifférent. Il doit y avoir, comme avec tous les pays, un dialogue exigeant, franc et constructif avec l’Algérie, comme cela a été le cas dans le passé.
Il est évident qu’une relation de confiance passe par la prise en compte de la sécurité du partenaire.
Simplement, comme avec les autres pays, la relation bilatérale entre la France et l’Algérie ne peut pas se résumer aux seuls aspects migratoires, même s’il faut trouver des solutions efficaces sur ces sujets, mais par le dialogue et dans le respect. Sinon, ce sera contre productif.
Le président Macron, qui a déclenché cette crise après sa reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental, tient-il toujours à une relation stratégique avec l’Algérie ?
Le président Macron a toujours été constant sur ce sujet. Son objectif est d’avoir avec les trois pays du Maghreb des relations aussi étroites et apaisées que possible, en séparant bien chacune de nos relations bilatérales.
Avec l’Algérie, le président Macron s’est engagé avant même le début de son premier mandat à améliorer et normaliser la relation – ce qui lui a été beaucoup reproché d’ailleurs.
Rappelez-vous, entre autres gestes, qu’il qualifia les crimes coloniaux de crimes contre l’humanité, puis qu’il lança un grand chantier mémoriel avec l’historien Benjamin Stora.
Cela se traduisit notamment par la reconnaissance de la responsabilité de la France dans les assassinats de Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’Hidi, sans oublier la reconnaissance des crimes commis lors du 17 octobre 1961 en France, l’ouverture sans précédent des archives, la restitution des crânes de combattants algériens qui étaient au musée de l’homme ou encore le travail ouvert de façon bilatérale avec la commission mixte d’historiens, souhaitée par les deux présidents.
Parallèlement, un vaste travail a été engagé dans l’éducation nationale, avec des bourses de recherche, et dans la culture avec des résidences d’artistes algériens.
Le président Macron, dans plusieurs de ses discours et expressions, a reconnu les apports de l’Algérie et de la diaspora algérienne à la France, mais aussi que l’Algérie était un grand pays méditerranéen et africain, un partenaire stratégique clé dans cette région.
Franchement, quel autre président a été plus loin dans tous ces domaines ? Je me souviens personnellement qu’à l’été 2022, lorsqu’il a voulu se rendre en Algérie à l’invitation du président Tebboune, beaucoup de voix se sont émues de ce voyage en disant que ce n’était pas le moment, qu’il ne fallait pas, mais il a voulu y aller, et ce fut un succès je crois.
Idem lors du CIHN qui a suivi, où la moitié du gouvernement français a été envoyé en Algérie. Comme le président Macron l’a dit à plusieurs reprises, il n’a cessé de tendre la main à l’Algérie tout au long de ses deux mandats. Cette main, je crois, continue d’être tendue.
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