Karim Zéribi, consultant dans les médias et ancien député européen, revient dans cet entretien sur la position de la France sur la guerre en Palestine, explique que le conflit israélo-palestinien n’est pas religieux, répond à ceux qui veulent une confrontation entre les juifs et les musulmans…
TSA. Est-ce que ce qui se passe en Palestine est une guerre des religions comme le soutiennent Israël et ses partisans notamment en France ?
Karim Zéribi. Non, ce conflit n’est pas un conflit religieux mais bel et bien un conflit politique et plus précisément un conflit territorial.
La question israélo-palestinienne doit être analysée avec un spectre géopolitique plus large car le Proche-Orient est un sujet d’instrumentalisation politique incluant des puissances extérieures au conflit.
Ainsi, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Russie utilisent ce conflit depuis des décennies pour positionner leurs intérêts et mettre en place des rapports de force qui dépassent le seul destin des peuples palestinien et israélien.
Pour répondre précisément à votre question, je dirai que l’extrême-droite israélienne et française ont intérêt à transformer ce conflit en guerre de civilisations, reprenant ainsi la théorie de l’auteur américain Samuel P. Huntington qui a développé cette thèse dans son ouvrage intitulé “Le choc des civilisations” (The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order) publié en 1996.
La volonté des extrémistes consiste à faire croire qu’il s’agit d’une guerre entre la civilisation occidentale judéo-chrétienne représentant le camp du bien contre la civilisation islamique représentée par les pays arabo-musulmans, qu’ils veulent réduire au terrorisme, et qui incarnerait ainsi le camp du mal.
Cette approche est grotesque, caricaturale et dangereuse car elle est synonyme de guerre à l’échelle mondiale.
TSA. Pourquoi ?
Karim Zéribi : Il est aisé de démontrer que cette théorie est fallacieuse et infondée car de très nombreux pays dans le monde, qui n’ont rien à voir avec l’Islam, se mobilisent et sont scandalisés par l’offensive militaire disproportionnée de l’armée israélienne qui massacre des civils palestiniens par milliers à Gaza où la moitié des victimes sont des femmes et des enfants selon MSF (Médecins sans frontières) et d’autres ONG qui ne sont pas dans la propagande.
L’attaque odieuse du 7 octobre sur des civils israéliens ne permet pas tout. On ne combat pas la barbarie par le massacre, c’est le message de millions de voix dans le monde aujourd’hui avec des manifestations géantes à Londres, en Belgique, en Espagne mais également en Bolivie, Colombie, aux États-Unis, au Canada, en Turquie, en Afrique ou en Asie.
« Non ce n’est pas un conflit religieux, c’est un conflit politique, territorial »
Les opinions publiques s’insurgent et s’indignent à l’échelle planétaire car ils constatent un bafouement total du droit international corrélé d’une politique meurtrière envers des civils, femmes et enfants pour la plupart, à laquelle il faut ajouter le projet de déplacement de centaines de milliers de Palestiniens vers des camps en Égypte où en Jordanie.
Cette stratégie est qualifiée par des responsables onusiens d’épuration ethnique de gaza. Non, ce n’est pas un conflit religieux, c’est un conflit politique, territorial, qui mobilise de par le monde des millions de femmes et d’hommes de toutes nationalités, de toutes origines et de toutes les croyances. Ce conflit est à visée universelle car il porte d’abord et avant tout sur l’idée que l’on se fait de l’humanité envers un peuple opprimé.
TSA. Il n’y a pas que les pays musulmans qui dénoncent les bombardements israéliens contre Gaza. De nombreuses voix dans le monde, en Europe, en Amérique et en Asie ont condamné l’agression israélienne. Comment l’expliquez-vous ?
Karim Zéribi. Le monde entier est horrifié par ce massacre à l’encontre des populations civiles perpétré par un État qui tue des innocents par milliers au prétexte de mener une guerre au terrorisme.
Tous les êtres humains qui aspirent à la justice, au respect du droit international, aux droits humains les plus élémentaires sont bouleversés par le sort réservé aux Palestiniens, et ce, sans distinction d’origine, de nationalité, de couleur de peau ou de religion.
Partout dans le monde des voix s’élèvent pour dire stop ! Combattre un mouvement terroriste n’autorise pas à éradiquer un peuple qui subit l’oppression, la colonisation de ses terres, l’expropriation de ses foyers, un blocus depuis 15 ans faisant de gaza une prison à ciel ouvert…
Où va le monde si l’on accepte de faire payer les actes ignobles du Hamas sur des civils israéliens à tout un peuple Palestinien victime et innocent ?
Les parlementaires irlandais disent non, les ministres espagnols disent non, les syndicats belges disent non, les dirigeants politiques d’Amérique du Sud disent non!
Aucune de ces voix n’est musulmane donc cessons d’instrumentaliser ce conflit en guerre de religions ! Plus de 120 pays de toutes obédiences religieuses ont appelé à un cessez-le-feu immédiat au sein de l’assemblée de l’ONU. Ce conflit dépasse largement la communauté musulmane à l’échelle de la planète.
« Cessons d’instrumentaliser ce conflit en guerre de religions ! »
J’ajoute qu’une tribune vient d’être co-signée par 85 personnalités de confessions juives en France pour dire leur indignation à la riposte totalement disproportionnée de l’armée israélienne.
Non il faut le dire et le répéter : ce conflit n’est pas un conflit religieux entre le judaïsme et l’islam, il n’incarne aucunement la guerre de civilisations que certains appellent de leurs vœux.
Il s’agit surtout et avant tout de notre conception de l’humanité basée sur la justice, sur la protection des populations civiles innocentes et sur le droit à l’autodétermination des peuples contre l’occupation.
Il faut revenir à l’application immédiate de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la base des frontières de 1967 avec deux États vivant en sécurité.
C’est le meilleur moyen d’éradiquer le terrorisme qui prend racine dans la souffrance, la désespérance, l’humiliation de générations qui n’ont connu que l’oppression et l’occupation.
TSA. Pourquoi les pro-Israéliens et l’extrême droite veulent opposer les juifs aux musulmans ? Est-ce qu’il n’y a pas un risque sur la cohésion nationale en France, un pays qui compte de fortes communautés juive et musulmane ?
Karim Zéribi : Ce risque de fracturation de la société française existe et certains attisent la haine. C’est un piège à éviter si l’on veut garantir la cohésion nationale en France.
Ce conflit est déjà importé sur le sol français du point de vue des sensibilités des uns et des autres par-delà les communautés juives et musulmanes mais il doit rester sur le terrain de la confrontation politique, sur le terrain des idées, des arguments et ne jamais dériver vers la violence physique ou verbale.
Les premiers pyromanes sont ceux qui essentialisent leurs analyses en laissant entendre que l’antisémitisme proviendrait d’une présence trop importante en France de Français de confession musulmane.
C’est gravissime de porter une telle accusation car l’immense majorité des Français de confession musulmane vit paisiblement, sans poser aucun problème et en respect total des valeurs républicaines et des principes de laïcité en France.
D’ailleurs beaucoup de Français de confessions juive et musulmane vivent ensemble, commercent ensemble, se fréquentent, sont amis d’enfance.
Il y a certainement des minorités négatives porteuses de paroles ou de comportements condamnables mais ceux-là ne représentent aucunement les Français de confession musulmane qui en ont assez d’être montrés du doigt en permanence dans une société française qui cherche sans cesse des boucs émissaires à son incapacité à traiter des problématiques politiques de fond qui n’ont rien à voir avec les musulmans de France en réalité.
« Les tirailleurs musulmans ont aidé à libérer la France de l’occupation nazie »
Je rappelle au passage que durant la terrible période de la Seconde guerre mondiale 1939-1945, ce ne sont pas les musulmans qui ont collaboré avec les nazis.
Les tirailleurs musulmans ont aidé à libérer la France de l’occupation nazie, il est bon de rafraîchir la mémoire de certains. J’ajoute que durant cette période sombre de l’histoire, la Grande Mosquée de Paris, qui est de sensibilité algérienne, a caché des juifs durant les rafles honteuses autorisées et encadrées par les Pétainistes que monsieur Eric Zemour veut honorer aujourd’hui donc cessons d’instrumentaliser les consciences.
Manifester pour la cause palestinienne, critiquer le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou ne font pas de vous un antisémite.
En revanche, s’il y a des actes contre les juifs de France, je le dis sans détour, il faut être ferme et faire tomber des sanctions lourdes car cela est inacceptable tout comme l’islamophobie envers les musulmans et le racisme anti-français qui peut découler de comportements indignes sur notre sol.
Je ne le répéterai jamais assez, toutes violences physiques ou verbales envers quiconque nuisent à la cause palestinienne et à la paix car il va bien falloir revenir au plus vite à un processus de discussion pour obtenir un État palestinien qui est la seule garantie d’une sécurité durable pour Israël.
TSA. Comment trouvez-vous l’évolution de la position française après près de 10 000 morts à Gaza ?
Karim Zéribi. Je suis déçu de la position française depuis le 7 octobre dernier jusqu’à ce jour car elle n’est pas à la hauteur des enjeux.
Nous avons tous été pris d’émotion et de stupeur suite à l’attaque d’une violence inouïe de la part du Hamas sur des populations civiles israéliennes.
J’ai dit moi-même qu’une attaque de ce type relevait du terrorisme et non d’une stratégie de résistance du peuple palestinien à laquelle je crois si elle épargne les populations civiles israéliennes et si elle vise les cibles militaires de l’occupant.
J’assume mon propos car la résistance palestinienne est une cause trop noble à mes yeux pour verser dans la barbarie à l’encontre de populations civiles désarmées, femmes et enfants de surcroît.
« Je suis déçu par la position de la France »
La France a partagé l’émotion générale le 7 octobre et c’est bien normal. En revanche, un grand pays se distingue par sa capacité à voir au-delà de l’instant présent et à anticiper sur les événements à venir.
La France a apporté un soutien inconditionnel au gouvernement israélien, or ce fut une erreur car le soutien à la population israélienne oui, le soutien à la riposte disproportionnée du gouvernement de Netanyahou non !
Le Général de Gaulle portait une voix forte, indépendante et juste de la France dans le monde. Il avait impulsé une politique arabe de la France qui consistait à se démarquer des États-Unis et à faire preuve de justice et de justesse dans la vision française.
J’aurais apprécié que des voix politiques françaises s’élèvent pour condamner fermement le 7 octobre mais pour affirmer immédiatement derrière qu’il ne peut être toléré que le peuple palestinien soit victime d’une riposte synonyme d’un massacre soutenu par la France et la communauté internationale.
J’aurais aimé que la voix de la France soit une voix d’équilibre, de nuance, de discernement, de justice, capable de proposer une lutte ciblée contre le terrorisme tout en relançant un processus de discussion vers la paix et la création d’un État palestinien.
Malheureusement, la France recule dans le monde arabe, elle recule en Afrique et sa voix n’est pas aussi puissante que nous le voudrions à l’échelle européenne également.
J’en suis triste mais je veux garder une once d’optimisme malgré tout car lorsque j’entends un homme comme Dominique De Villepin (ancien Premier ministre de Jacques Chirac), je veux croire que la posture gaullienne de la France n’a pas complètement disparu.
Il faut que la France retrouve le chemin de l’audace, du courage et défende avec conviction ses valeurs universalistes.
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