Karima Khatim est la présidente de la Fédération franco-algérienne de consolidation et du renouveau.
Dans cet entretien à TSA, elle parle de l’impact de la crise entre Paris et Alger sur la diaspora algérienne en France, les raisons de l’acharnement d’une partie de la classe politique et de certains médias français contre les Algériens, etc.
Karima Khatim, qui se dit 100% algérienne et 100% française, met en avant l’apport de la diaspora algérienne en France qui est présente dans tous les secteur.
Quel est l’impact de la crise entre Paris et Alger sur la diaspora algérienne en France ?
La crise entre Paris et Alger pèse lourd sur la diaspora algérienne en France. On ressent les effets de certaines campagnes de dénigrement et de stigmatisation, souvent portées par des discours populistes ou d’extrême droite. Ces attaques s’appuient sur des clichés et des contre-vérités, qui visent autant l’Algérie que les Algériens.
Pourtant, il faut rappeler une réalité simple : la diaspora algérienne est une part intégrante du paysage français. Présente depuis plusieurs générations – parfois jusqu’à la sixième –, elle est profondément enracinée dans le tissu social et culturel français.
Sa présence, loin d’être un sujet de débat, est une évidence, un lien vivant entre les deux rives de la Méditerranée.
Cette diaspora, c’est une richesse. On la retrouve partout : dans les entreprises, dans les universités, dans les métiers de la culture, de la santé ou de la sécurité.
Elle contribue au quotidien par son savoir-faire, son énergie et sa diversité. C’est un pont, une passerelle naturelle entre la France et l’Algérie, et un acteur clé pour bâtir des relations plus apaisées et constructives.
Quand les relations se tendent entre les deux pays, la diaspora le ressent de plein fouet. Elle le ressent d’autant plus que le sujet algérien est le carburant de l’extrême droite française, baignée dans la nostalgie des heures sombres de la colonisation, qui attise ces questions pour avoir une visibilité médiatique.
Cette instrumentalisation populiste nous fait mal, elle a pour but de créer de la division, du ressentiment et de l’exclusion, mais nous sommes pleinement mobilisés pour rendre vaines ces manœuvres écœurantes.
Cela démontre d’ailleurs bien une chose, l’extrême droite n’est pas seulement l’ennemi auto-proclamé de l’Algérie et des Algériens, mais c’est aussi l’ennemi de la France qui travaille à la diviser de l’intérieur, à jeter de l’huile sur le feu et à favoriser les clivages, plutôt que d’œuvrer au vivre ensemble, au partage culturel, et à ce qu’on puisse tous tirer le meilleur de la diversité exceptionnelle qui caractérise le peuple français.
La diaspora algérienne en France a aussi un rôle à jouer : elle peut et doit alerter, s’exprimer et rappeler que des millions de personnes sont concernées des deux côtés.
Cette voix, qui porte les valeurs de dialogue et de partage, est essentielle pour construire un avenir commun dans lequel chacun trouve sa place. Je dis souvent que nous sommes le cordon ombilical qui lie les deux rives.
Nous ne demandons qu’à être utiles, et comptons bien l’être dans l’intérêt de nos deux pays et des valeurs universelles de fraternité, d’égalité et de liberté qu’arborent toutes les mairies en France.
Nous portons en nous une nouvelle dynamique, dans le respect mutuel, pour consolider les liens. Il y a des turbulences, mais je suis de nature optimiste : après l’orage, suit toujours le beau temps.
La diaspora algérienne en France est-elle ciblée ?
Oui, la diaspora algérienne est clairement ciblée, et cela se traduit par un climat de défiance et parfois d’hostilité, vécue aussi bien de manière directe qu’indirecte.
De manière indirecte, c’est ce qu’on voit avec les attaques ignobles contre la Grande Mosquée de Paris, bâtie sur l’honneur des résistants, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale, qui est attaquée par les ennemis historiques des causes justes, qui tentent vainement de falsifier l’histoire.
Les Algériens en France deviennent souvent des boucs émissaires, victimes de discours populistes et d’une instrumentalisation politique qui cherche à détourner l’attention des véritables enjeux. C’est exactement le cas en ce moment.
On nous sert l’Algérie matin, midi et soir. Mais nous ne sommes pas dupes. D’une part, l’extrême droite instrumentalise les questions d’immigration et utilise le sujet algérien (qui est loin de se limiter à de l’immigration) comme du carburant.
D’autre part la « macronie » au pouvoir a besoin de dissimuler l’échec patent de son bilan, tant sur le plan économique, que social, ou diplomatique, et instrumentalise la question algérienne de manière aussi populiste que révoltante.
Nous assistons à un véritable anarchisme, thématisé autour de l’Algérie. Quiconque prétend avoir une idée, croit bon de l’exprimer, quelle que soit sa fonction ou la cohérence du discours global.
En réalité, ça ne fait que démontrer la profondeur de la crise politique en France. Finalement, contrairement à ce que certains discours haineux veulent laisser croire, ce n’est pas en Algérie mais en France que le discours sur l’Algérie est instrumentalisé par le pouvoir pour tenter de se donner du crédit.
Cette stigmatisation est particulièrement alimentée par des courants d’extrême droite qui, faute de projets constructifs, s’appuient sur une campagne de haine contre l’identité algérienne, profondément ancrée dans l’histoire.
Cela va jusqu’à présenter les Algériens comme des ennemis dès qu’ils osent exprimer une vision différente ou défendre une mémoire collective. Le discours politico-médiatique, souvent teinté de condescendance et de paternalisme, ne fait qu’aggraver les tensions.
Il minimise les sacrifices des générations passées et insulte leur contribution à la société française. En attisant les divisions et en entretenant une vision caricaturale, ce climat contribue à creuser des fossés au sein même de notre société, au lieu de favoriser l’unité et la compréhension.
Nous nous dressons donc comme les remparts contre ces idées nauséabondes qui ne prospéreront pas chez nous !
Vous avez plaidé pour le règlement de la crise par le dialogue en déclarant que vous êtes 100% algérienne et 100% française. Cette position est-elle tenable en France avec la montée de l’extrême droite ?
En effet, nous le disons et le répétons : nous sommes 100% Français et 100% Algérien. Cette position est d’autant plus tenable avec la montée de l’extrême droite.
Je dirais même cette position doit justement être exprimée à cause de la montée de l’extrême droite. Si tout allait normalement, nous n’aurions en principe pas à asséner cette évidence.
Mais en période de défiance, en cette période où l’extrême droite veut remettre en cause notre double identité et double culture, nous lui faisons comprendre dans les termes les plus limpides qui soient que son projet de division est voué à l’échec.
Être 100 % algérienne et 100 % française n’est pas une contradiction, mais une richesse. C’est une question de loyauté, et j’ai grandi avec cette valeur que j’ai héritée de mes origines, de mes racines.
C’est une position que j’assume pleinement, car elle reflète une réalité vécue par des millions de personnes issues de la double culture. Cette identité plurielle est un pont entre deux nations, un témoignage de ce que la diversité peut apporter de meilleur. Mon père, paix à son âme, m’a toujours enseigné qu’il a combattu le colonialisme pas la France.
En fidèle descendante de moudjahid, je continue de combattre le colonialisme dans toutes ses formes, avec le soutien de plein de compatriotes français et/ou algériens, tout en continuant de plaider mon amour pour la France et pour l’Algérie.
Certes, la montée de l’extrême droite en France complique les choses. Ces courants cherchent à enfermer les gens dans des cases, à imposer des choix simplistes : être l’un ou l’autre, jamais les deux.
Mais refuser cette injonction, c’est déjà un acte de résistance. Cette double identité c’est aussi notre double nationalité ; la double nationalité franco-algérienne par exemple de l’archevêque Jean-Paul Vesco, récemment élevé au rang de Cardinal par le Pape François, et reçu par le Président Abdelmadjid Tebboune.
Cette élévation est une fierté pour tout le peuple algérien, et un signe supplémentaire, s’il en fallait, de la grande liberté de culte et diversité encouragée en Algérie.
Ma double appartenance me permet de plaider pour le dialogue, car je comprends les deux cultures, leurs sensibilités, leurs défis. Ce n’est pas une faiblesse, mais une force pour construire des passerelles là où certains veulent ériger des murs. Nous agissons donc comme un vecteur de dialogue, un vecteur de diplomatie, pour rappeler avec fermeté les principes sur lesquels il n’est pas possible de déroger, et en même temps agir en bonne intelligence, et avec notre cœur, pour ne pas laisser le poison de la division se propager.
Peu de voix de la diaspora se sont exprimées sur cette crise, pourquoi ?
Il faut beaucoup de courage pour s’opposer fermement à un discours relayé avec tant de violence et d’acharnement. Face à cette pression, il n’est pas facile de prendre la parole et d’être ensuite stigmatisé ou caricaturé.
Pourtant, notre diaspora est courageuse et forte. Elle sait se mobiliser, surtout lorsqu’il s’agit d’affirmer la fierté de nos racines et de défendre des valeurs de justice et de respect. Le tout est de briser le silence et nous l’avons fait.
Il faut aussi rappeler que nous constituons une puissante force silencieuse. Au moment opportun, nous sommes toujours à la hauteur des défis, et nous continuerons de l’être.
Plus le danger est grand, plus nous sommes à la hauteur, c’est dans notre sang. Nous nous sommes mobilisés pour une pâte à tartiner, nous le ferons d’autant plus pour toute notre nation.
En tant que Présidente de la Fédération Franco-Algérienne de Consolidation et du Renouveau (FFA), j’ai l’honneur et la responsabilité de porter cette voix, de briser le silence et de proposer un discours fédérateur.
Cet engagement collectif commence à porter ses fruits : de plus en plus de voix s’élèvent, aussi bien au sein de la diaspora qu’au-delà, pour s’opposer au discours de haine latent et proposer des voix de réconciliation.
Je tiens également à remercier toutes les personnalités françaises, amis de l’Algérie, de divers horizons politiques, qui représentent la France profonde et qui ont appelé à la raison, à la diplomatie et au respect mutuel. Je pense notamment à Dominique de Villepin, Ségolène Royal, Jean-Luc Mélenchon, Marine Tondelier, Éric Coquerel, Manuel Bompard et bien d’autres encore.
Leur soutien montre que le dialogue et la coopération peuvent encore triompher des tensions et des divisions.
Notre mobilisation commence déjà à produire des résultats. Le ministre français des Affaires étrangères a récemment proposé à son homologue algérien une rencontre pour renouer avec la voie diplomatique.
Ce n’est qu’un début, et nous savons qu’il reste beaucoup à faire et que nous partons de très loin, surtout avec cette dernière campagne haineuse. Mais chaque pas compte, et nous continuerons à œuvrer pour un rapprochement entre les deux rives, dans l’intérêt des deux peuples.