Politique

La France peut-elle dénoncer l’accord de 1968 ? Décryptage avec un juriste

Hocine Zeghbib est maître de conférences honoraire en droit public à Montpellier. Dans cet entretien à TSA, il détaille les avantages et les inconvénients de l’accord franco-algérien sur l’immigration de 1968.

Il revient sur les raisons ayant conduit la France et l’Algérie de signer cet accord en 1968, les conditions dans lesquelles il fut conclu.

Hocine Zeghbib explique aussi ce qu’il peut se passer en cas de dénonciation unilatérale par la France de l’accord de 1968. Une telle décision va-t-elle réinstaurer la libre circulation des personnes entre les deux pays, prévues dans les accords d’Évian ?

Hocine Zeghbib parle aussi de l’immigration algérienne en France, de l’impact de l’accord de 1968 sur cette immigration, des OQTF, de l’accord non-publiable de 1994 sur les réadmissions…

En France, les détracteurs de l’accord franco-algérien de 1968 disent qu’il accorde des avantages injustifiés aux Algériens. D’autres affirment que l’accord a été vidé de sa substance. Que reste-t-il de l’accord de 1968 ? Quels sont les avantages que les Algériens ont perdus entre 1968 et 2025 ?

L’accord de 1968, contrairement aux accords de même type qui n’accordent qu’une couverture partielle (il en existe avec les pays du Maghreb, Mauritanie incluse, et avec 10 États subsahariens), régit la totalité de la situation des Algériens et de leurs familles à l’exclusion des règles de procédure qui restent soumises au droit commun des étrangers (par exemple les procédures liées aux fameuses OQTF).

Cet accord constitue en quelque sorte un « parapluie conventionnel » contre les changements fréquents qu’opère le législateur français en matière de droit des étrangers : le statut des Algériens ne peut être modifié que si l’accord de 1968 est lui-même modifié et cela ne peut pas être fait par le Parlement.

Pour le modifier, il faut le consentement des deux parties, Algérie et France. C’est un garde-fou dû à l’histoire spécifique entre les deux pays.

C’est ce consentement obligatoire qui rend l’accord de 1968 si détestable aux yeux de ses détracteurs en France. Cet avantage n’a pas été perdu et, j’ajouterais, n’a pas à l’être.

Ceux qui disent que l’accord de 1968 a été vidé de sa substance pensent très certainement, et je leur donne raison sur ce point, à la remise en cause de la liberté de circulation telle que négociée dans les accords d’Évian.

Commencée dès 1963 et 1964 par des arrangements intergouvernementaux sur la main-d’œuvre salariée, la remise en cause de la liberté de circulation pour travail salarié le sera encore davantage par l’accord de 1968 lui-même qui fixait un contingent d’entrées en France pour travail salarié (35.000 par an pendant 3 ans puis, en 1971, ramené à 25.000 par an durant 2 ans).

L’Algérie y mettra fin unilatéralement en 1973, en partie à la suite des « ratonnades » ciblant les immigrés algériens.

En revanche, l’accord maintenait intacte la liberté de circulation entre les deux pays avec une simple carte d’identité pour des séjours inférieurs à 90 jours.

Tout comme restait acquise la liberté d’établissement qui permettait, par exemple, aux commerçants algériens d’établir leur activité en France sans autre formalité que l’inscription au registre de commerce et sans avoir à démontrer au préalable la viabilité économique de leur projet.

Par la suite, ces avantages seront non pas perdus par les Algériens, mais assez fortement limités. D’abord en 1986 pour les séjours de moins de 90 jours avec l’instauration du visa de court séjour.

Puis, avec l’introduction en 1994 du visa de long séjour en vue de l’installation durable en France (étudiant, commerçant, profession libérale, regroupement familial, etc.).

Ces contraintes compliquent, on le comprend, le bénéfice de l’accord, mais ne le vident pas de sa substance : une fois admis à séjourner, à s’installer ou à établir son activité non salariée sur le territoire français, le ressortissant algérien bénéficie d’une relative meilleure protection par rapport aux autres étrangers.

Quelques exemples : droit de s’établir en France pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante ; regroupement familial possible après 12 mois de résidence (18 pour les autres étrangers) avec délivrance de plein droit d’un certificat de résidence de 1 an ou 10 ans (selon le certificat détenu par la personne rejointe) ; regroupement familial possible pour les enfants sous kafala judiciaire ; certificat de 10 ans plus facilement accessible ; régularisation de plein droit des sans-papiers après 10 ans de résidence ininterrompue en France ; régime spécial de séjour pour les personnes admises dans un établissement de soins ; titre spécifique de 2 ans au bénéfice des fonctionnaires ou agents des organismes officiels ; le conjoint(e) algérien de Français (e) ou d’un (e) titulaire de titre de séjour mention « scientifique » n’a pas besoin d’un visa long séjour pour obtenir un certificat de résidence d’Algérien ; dispense du visa de long séjour pour l’installation en France des personnes qui ont des liens personnels et familiaux importants en France ; renouvellement de plein droit de nombreux certificats de résident algérien ; le titulaire d’un certificat de résidence d’Algérien mention « vie familiale et privée » valable 1 an peut, à l’issue de 3 ans de résidence régulière, obtenir de plein droit un titre valable 10 ans, etc.

Ce florilège non-exhaustif montre combien l’accord de 1968 constitue, à des degrés divers, une relative protection des Algériens. Ce qui, bien-sûr, ne les met pas à l’abri des tracasseries administratives quand il s’agit de passer à l’application. Mais c’est un autre volet.

Ces dispositions datent de l’avenant de 2001 (le troisième et dernier). Depuis, le droit des étrangers, tout en régressant fortement sur un certain nombre de droits – ce qui par contraste accentue l’aspect « privilégiant » de l’accord de 1968 – a aussi généré toute une série de dispositions plutôt favorables liées à la politique dite de « l’immigration choisie » et auxquelles les Algériens, en l’état actuel de l’accord, ne peuvent accéder.

Ainsi en est-il du travail des étudiants qui reste soumis, et seulement dans la limite de 50 % d’un plein-temps, à autorisation provisoire de travail (APT) là où les autres nationalités peuvent travailler sans APT et pour 60 % du temps de travail.

Il en est de même des titres de séjour « passeport-talent », « talent-famille », « talent-chercheur », « talent-porteur de projet » ou « talent-salarié qualifié » auxquels ne peuvent accéder les Algériens et qui, tous, ouvrent sur un titre de séjour pluriannuel.

De la même manière, la « régularisation par le travail » de feue la circulaire Valls ne s’appliquait pas statutairement aux Algériens, mais les préfets avaient le pouvoir d’en décider autrement.

Aujourd’hui, la régularisation par l’exercice d’un « métier en tension » n’est également pas statutairement applicable aux Algériens.

Et les préfets, sur instructions du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, ne peuvent pas régulariser les sans-papiers algériens sur cette base. On le constate : l’accord de 1968 a de beaux restes, mais aussi du vide à combler.

Le Maroc, par exemple, ne dispose pas d’un tel accord avec la France, mais comme vous l’avez souligné dans votre tribune dans Le Monde, les Marocains sont presque aussi nombreux que les Algériens en France. L’accord de 1968 a-t-il joué un rôle crucial dans l’immigration en France ?

L’immigration algérienne en France remonte à la fin du XIXe siècle, mais prend de l’ampleur à la fin de la Première Guerre mondiale.

Son ancienneté explique en partie son enracinement et la construction de réseaux migratoires dynamiques avant, pendant et après la guerre de libération.

Après l’indépendance, contrairement à ce qu’on était en droit d’attendre, l’émigration de travail vers la France s’accentue. Différentes mesures sont alors prises pour en contrarier les flux. L’accord de 1968 en a constitué le point d’orgue.

Lorsqu’il est signé, le nombre d’Algériens immigrés en France se situait autour de 600.000 personnes. En 1962, ils étaient 350.000 et 550.000 en 1966.

Aujourd’hui, leur nombre, hors binationaux, atteint 890.000 environ. En 56 ans (1968-2024), on constate une augmentation totale de l’immigration de 290.000 personnes, soit une augmentation annuelle moyenne de 5.178 personnes, tandis qu’elle avait augmenté, en seulement 6 ans (1962-1968), de 250.000 personnes, soit une augmentation annuelle moyenne de 42.000 personnes.

Les arrangements intervenus en 1963 et 1964 entre les gouvernements français et algérien ont été les premières mesures visant à stabiliser, voire diminuer, leur nombre en imposant, pour pouvoir se fixer durablement sur le territoire français, la détention d’un certificat de résidence d’Algérien, lié à un contrat de travail pour les salariés et à des ressources stables et suffisantes pour les non-salariés.

L’accord de 1968 s’inscrivait dans la même logique : contingenter l’arrivée de travailleurs algériens sur le sol français.

Plus tard, l’instauration de l’obligation de visa allait freiner les entrées en France, d’autant que le gouvernement algérien avait instauré une autorisation de sortie du territoire, dont l’obtention n’était pas facile.

Au bout du compte, plutôt que de favoriser l’immigration des Algériens comme le prétendent ses détracteurs, l’accord de 1968 a contribué à en contenir le flux.

Dans quelles conditions cet accord a-t-il été signé et pourquoi il a été conclu ?

L’accord de 1968 n’est pas sans filiation. Celle-ci remonte aux accords d’Évian qui fondaient les relations algéro-françaises sur le maintien sur place des Français d’Algérie.

Un droit d’option pour la nationalité algérienne dans le statut civil français leur était reconnu leur ouvrant, comme à « tout Algérien muni d’une carte d’identité », la libre circulation entre la France et l’Algérie.

Leur départ massif consécutif à la politique de la terre brûlée de l’OAS mit en lumière deux réalités : d’un côté, des Français d’Algérie refusant de devenir Algériens et quittant en masse le pays ; de l’autre, des Algériens résidant et travaillant en France, refusant de devenir Français, tout en s’y maintenant en tant qu’immigrés.

Le maintien de la libre circulation pouvait dès lors être perçu par la partie française comme un tribut indu dont il fallait réduire la portée, notamment en matière de circulation pour travail salarié.

Pour la partie algérienne, la libre circulation apparaissait comme un facteur essentiel de la coopération dans l’esprit des Accords d’Évian qu’il fallait, par conséquent, préserver, notamment en matière de main-d’œuvre salariée.

À la suite de la prise du pouvoir par Houari Boumédiène en juin 1965, s’ouvre une période de turbulence politique qui se traduira par la dénonciation en 1966 par l’Algérie de l’accord Nekkache-Grandval de 1964 qui organisait déjà le contingentement des travailleurs algériens autorisés à rechercher un emploi salarié en France.

S’ensuit une période de grand froid diplomatique se traduisant, notamment, par la décision française de fixer le quota de travailleurs algériens à seulement 1.000 par mois à compter du 1ᵉʳ juillet 1968.

Puis, les intérêts croisés l’emportant, s’engagent des négociations qui débouchent sur la signature de l’Accord dit franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles.

L’accord restreignait la migration de travail, réaffirmait la liberté de circulation, de séjour et d’établissement des ressortissants algériens se rendant en France « sans intention d’y exercer une activité professionnelle salariée » et leur reconnaissait des droits spécifiques.

Comme je l’ai déjà indiqué, la main-d’œuvre salariée y était contingentée à 35.000 travailleurs par an sur 3 ans.

Revu à la baisse en 1971 en pleine campagne raciste anti-immigration algérienne, « l’accord dans l’accord » sera définitivement abandonné en 1973, l’Algérie mettant fin à l’immigration de travail vers la France.

Après une période marquée par la volonté française de renvoyer les immigrés algériens (il avait été envisagé d’en expulser 500.000 sur 5 ans), l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 permit, non sans difficulté également, d’envisager un rattrapage des droits des Algériens à l’instar de ce qui avait été fait en 1984 pour l’ensemble des étrangers (Par exemple, le titre de séjour de 10 ans a été créé par cette loi et sera plus tard étendu aux Algériens).

Un premier avenant à l’accord est adopté en 1985 pour en rapprocher le contenu du droit commun devenu plus favorable. Suivront deux autres avenants, en 1994 pour plutôt restreindre les droits (Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur) et en 2001 pour aligner le statut des Algériens sur la loi Chevènement, plus favorable. C’est cet avenant qui est aujourd’hui encore en application.

L’accord de 1968 visait donc d’abord à restreindre la présence de la main-d’œuvre algérienne en France et certainement pas, comme on l’entend répéter à tort, pour en favoriser l’afflux en raison des besoins de l’économie française alors en fort développement.

D’ailleurs, agissant sur la concurrence entre pays du Maghreb, la France cherchera dès 1963 à minorer l’immigration algérienne.

Que va-t-il se passer si la France décide de dénoncer unilatéralement l’accord de 1968 ? Va-t-on revenir aux accords d’Évian qui ont consacré la libre circulation entre les deux pays ?

Rien n’est encore joué. Bien que, qui pour des raisons politiciennes, qui pour des raisons revanchardes, qui pour des raisons inavouables, mais toutes entrant en résonance, il ne se passe pas un jour où la menace n’est agitée. Le récent rejet d’un tel scénario par le président Emmanuel Macron depuis le Portugal peine à calmer les ardeurs pour le moins inamicales du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Sur le fond, je vais vous faire une réponse juridique avec toutes les limites inhérentes au droit, particulièrement en ces temps difficiles pour le respect du droit international.

On se souvient que le 7 décembre 2024, une proposition de résolution initiée par le groupe Les Républicains (LR) du Sénat, présidé par Bruno Retailleau, alors sénateur, appelait à dénoncer l’accord de 1968. Relayée à l’Assemblée nationale par les députés LR, elle a été rejetée par 151 voix contre 114.

Mais la revendication est plus instrumentalisée que jamais et s’est installée, durablement semble-t-il, dans l’espace médiatique et politique.

La dénonciation est-elle faisable en droit ? L’accord de 1968 ne comporte pas de clause de dénonciation, ce qui établit une présomption selon laquelle les parties n’ont pas prévu cette possibilité.

Pour faire tomber cette présomption, il faut démontrer l’existence d’un droit implicite de dénonciation déduit de l’intention des parties ou de la nature du traité (art. 56 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités).

Rien de tel ne peut être tiré du silence de l’accord de 1968 sur la possibilité de sa dénonciation unilatérale. Pourrait alors être invoqué un changement fondamental de circonstances.

Pour cela, il faut considérer que l’accord de 1968 n’était motivé que par le contexte d’alors et que la disparition de ce contexte a pour effet de rendre désormais impossible son exécution (art. 62 de la Convention de Vienne).

Rien n’est moins sûr, l’accord de 1968 tirant sa source et son fondement des accords d’Évian dont l’objectif était d’inscrire dans le temps long les relations entre les deux pays et non pas du seul contexte de 1968.

Dénoncer unilatéralement l’accord sur de tels fondements reste très hasardeux et difficile à faire valoir devant une juridiction internationale.

Un autre motif de dénonciation tiré du droit coutumier international pourrait être tentant pour les détracteurs de l’accord de 1968 : la violation substantielle du traité (art. 60 de la Convention de Vienne).

En effet, le reproche le plus fréquent fait à l’Algérie, c’est son refus de délivrer les laissez-passer consulaires pour exécuter les OQTF. Or, aucune obligation en ce sens n’est prévue dans l’accord de 1968. Là aussi, l’argument ne tient pas.

Toujours est-il que si, malgré tout, dénonciation unilatérale, il y avait, et parce que l’accord de 1968 fait expressément référence aux accords d’Évian, dont il a pour fonction de réaménager la liberté de circulation qui en formait l’une des substances, on se retrouverait en droit dans le statu quo ante des accords d’Évian, donc avec la libre circulation ! Mais se confronterait alors la force du droit au droit de la force…

L’accord de 1968 est devenu un enjeu électoral en France. Son abrogation n’est-elle pas inévitable eu égard à la montée en puissance de l’extrême droite ?

Oui, vous avez raison. L’accord de 1968 était contesté depuis longtemps par l’extrême-droite, mais ses capacités de nuisance étaient suffisamment limitées pour provoquer des dommages irréparables. Mais ce n’est plus le cas.

L’environnement politique, médiatique et partisan a, en effet, beaucoup évolué dans le sens des idées portées par l’extrême-droite. Et, on le constate tous les jours, le cercle des contempteurs de l’accord de 1968 ne fait que s’élargir englobant même des personnalités comme l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, candidat déclaré à la présidentielle de 2027, qui s’est de nouveau prononcé tout récemment sur France-Inter pour la dénonciation de l’accord.

François Bayrou, le Premier ministre actuel qui, il y a un an, se disait opposé à la dénonciation, a lancé la semaine dernière un ultimatum à l’Algérie avec, à la clé, la menace de la dénonciation de l’accord.

Oui, sans aucun doute, ce texte, s’il reste en l’état, donnera matière à bon nombre d’aspirants à la présidence de la République en 2027 pour aller chercher des électeurs, pas seulement parmi ceux qui n’ont pas encore tout à fait tourné la page des guerres coloniales.

Oui, ce texte pourrait être la victime expiatoire de l’enlisement des relations entre l’Algérie et la France. Mais pas seulement l’accord de 1968, si l’on en juge par ce que révèle le journal français L’Opinion du 2 mars, des intentions de Bruno Retailleau dont on comprend qu’il prépare sa candidature à la présidence des LR et à celle de la République en 2027.

C’est dans deux ans. Mais deux ans en politique est une éternité où bien des imprévus peuvent surgir qui contrecarrent les plans les plus diaboliquement concoctés !

La révision de l’accord de 1968 est-elle encore possible ?

L’accord a été révisé plusieurs fois par avenant et par échange de lettres. Il peut très bien l’être de nouveau. D’ailleurs, un projet de 4ᵉ avenant avait été élaboré et discuté en 2009.

Il devait être signé en 2010 avant d’être bloqué puis abandonné par la partie française en décembre 2012 sous la toute nouvelle présidence de François Hollande.

Le moins qu’on puisse en dire est que les préoccupations des deux parties n’étaient pas convergentes : la partie française cherchait à rapprocher au maximum le contenu de l’accord du droit commun des étrangers construit autour de la doctrine de « l’immigration choisie » avec tous les aspects négatifs qu’elle charrie (On était sous la présidence Sarkozy). La partie algérienne cherchait à stabiliser et à renforcer le droit au séjour de ses ressortissants.

Aujourd’hui, si le Quai d’Orsay ne réussit pas à imposer la voie diplomatique pour privilégier la non-dénonciation de l’accord comme l’a encore redit le président Macron, la révision ne sera plus une option.

Si malgré tout le Quai d’Orsay l’emporte, cela ne voudra pas dire que les négociations seront aisées : les coups de boutoir politiciens ne vont pas s’arrêter, ce qui ne manquera pas de radicaliser les prétentions françaises.

Pour la partie algérienne, la révision semble s’éloigner au regard, d’une part de la situation géopolitique induite par la prise de position française sur la question du Sahara occidental et, d’autre part, en raison de la campagne médiatique et politique hostile menée contre elle.

D’un autre côté, la dernière loi sur l’immigration de 2024 a encore compliqué la situation des étrangers et négocier sur cette base, argument que ne manquera pas d’introduire la partie française, est très périlleux.

D’autant que la partie française ne manquera pas de soulever en priorité l’épineuse question des OQTF. Elle voudra certainement lier révision et inscription dans l’accord de 1968 de la procédure de réadmission des ressortissants en situation irrégulière.

Enfin, il n’est pas acquis que l’Algérie considère comme primordial, à l’heure actuelle, de réviser l’accord de 1968. Or, pour négocier, il faut être deux.

À moins que, comme le suggérait récemment Maître Jean-Pierre Mignard dans vos colonnes (TSA du 2 mars), la sagesse l’emporte et qu’un comité de suivi des traités composé de personnalités d’un haut niveau de compétence et d’estime soit mis en place pour faire sortir l’accord de 1968 du piège dans lequel il est en train d’être pris par les jeux politiciens.

Le président Macron a parlé vendredi 28 février d’un autre accord migratoire entre l’Algérie et la France qui est celui de 1994. Cet accord n’a pas été publié. Que prévoit-il ?

Il ne s’agit pas d’un accord migratoire au sens où on l’entend généralement, mais d’un « protocole d’accord de coopération en matière de délivrance des laissez-passer consulaires ».

Ceux-là même qui permettent d’exécuter les OQTF de la discorde. Ce protocole d’accord, signé à Alger le 28 septembre 1994, a été ratifié par décret présidentiel publié au Journal officiel de la République algérienne (JORA) du 8 mai 1996. Ce décret ne comporte que 2 articles.

Il ne contient aucune annexe. Ce qui signifie, comme vous le dites à juste titre, que le protocole d’accord lui-même n’a pas été publié.

Donc, on n’en connaît pas le contenu. On ne peut que spéculer à partir d’accords similaires conclus par l’Algérie. Elle en a conclu 5 autres au total qui portent des intitulés différents de celui signé avec la France, mais qui organisent tous la réadmission avec délivrance de laissez-passer consulaires : 1 en 2003 avec l’Espagne (circulation des personnes) ; 4 en 2006 avec l’Allemagne (identification et réadmission), la Grande Bretagne (circulation des personnes et réadmission), l’Italie (circulation des personnes) et la Suisse (circulation des personnes).

Tous ces protocoles d’accord ont été entièrement publiés au JORA. Ils sont très détaillés sur les modalités d’identification et de réadmission impliquant la délivrance des laissez-passer consulaires.

Plusieurs éléments y apparaissent comme essentiels : l’identification des personnes à réadmettre ; les modalités pratiques de l’opération de réadmission (par avion sur vol commercial, à l’exception de l’Espagne où elle peut se faire aussi par ferry) ; interdiction des renvois groupés (pas de charter).

L’identification peut se faire à l’aide de moyens variés et, en dernier recours, par le déplacement d’agents consulaires sur le lieu-même de rétention.

C’est sur les modalités de l’identification qu’il a pu y avoir des divergences de vue entre autorités françaises et algériennes et c’est sur ce point que les dernières affaires d’expulsion se sont focalisées, ce qui a contribué à dégrader encore davantage les relations. Il est difficile d’en dire plus dans l’ignorance du contenu du protocole de 1994.

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