En menaçant de démissionner si le gouvernement français « cède » face à l’Algérie, Bruno Retailleau a fermé la dernière porte encore ouverte à une sortie de crise. Si les deux pays devaient amorcer un rapprochement, ce serait en tout cas sans lui aux commandes du ministère de l’Intérieur.
La veille de cette déclaration fracassante faite au Parisien samedi 15 mars, il avait annoncé, tout aussi publiquement, l’envoi à l’Algérie d’une première liste de 80 personnes à expulser.
Bruno Retailleau menace de partir ?
Qu’il s’en aille, il ne manquera à personne.
Notre relation avec le peuple frère algérien n’a pas à servir les intérêts personnels d’un petit fauteur de trouble comme Monsieur Retailleau. pic.twitter.com/8eqm7gbHKI
— Mathilde Panot (@MathildePanot) March 16, 2025
Comment Retailleau utilise la relation France – Algérie comme tremplin politique
Maladresse d’un ministre trop pressé ou fin calcul d’un politicien ambitieux ?
De nombreux analystes en France optent pour la seconde hypothèse, estimant que Bruno Retailleau n’a fait que dévoiler un peu plus son jeu.
Un clash retentissant avec le gouvernement et le président Emmanuel Macron, précisément sur le dossier algérien, ne le desservira pas dans sa quête de prendre la présidence des Républicains.
Pour les observateurs, Retailleau n’ignore pas que l’Algérie n’acceptera pas la liste des expulsables qu’il a annoncée sous forme d’injonction, à fortiori maintenant qu’il a adjoint la menace de claquer la porte.
Il sait aussi que sa démarche n’est pas la meilleure manière d’obtenir la libération de son ami, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal.
L’Algérie a fait connaître ses préalables à plusieurs reprises dans cette crise avec la France qui dure depuis sept mois et demi. Pas d’ultimatum ni de menaces. Elle ne veut pas non plus du ministre de l’Intérieur comme vis-à-vis.
« Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays », a fait savoir début février dernier le président Abdelmadjid Tebboune.
Il n’a échappé à personne ces dernières semaines que Bruno Retailleau s’est mis dans une posture très confortable pour un ministre en monopolisant presque la parole publique dans un dossier sur lequel, répète-t-il, il n’a pas les prérogatives.
Pour son agenda politique, il a tout à gagner en passant aux menaces. Pour l’électorat qu’il cible, qu’il reste ou qu’il démissionne, il sera celui qui aura fait plier l’Algérie ou le seul ministre qui aura été ferme jusqu’au bout et qui aura sacrifié son poste sur l’autel de ses « convictions ».
Menace de démission de Retailleau à cause de l’Algérie : un diplomate français exprime sa honte
En France, des diplomates comme Gérard Araud et Dominique de Villepin critiquent la gestion de la crise avec l’Algérie par Bruno Retailleau.
« En tant que diplomate, j’ai honte. Qu’un sujet aussi important que nos relations avec l’Algérie deviennent un simple pion dans une carrière politique me consterne. Et les intérêts de la France ? », s’est interrogé sur X l’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud.
En tant que diplomate, j’ai honte. Qu’un sujet aussi important que nos relations avec l’Algérie devienne un simple pion dans une carrière politique me consterne. Et les intérêts de la France? https://t.co/8bhrT2tJWp
— Gérard Araud (@GerardAraud) March 15, 2025
La stratégie de Bruno Retailleau est cousue de fil blanc et elle est aisément déchiffrable.
« À titre personnel, il veut faire du dossier algérien sa marque de fabrique », affirme pour sa part Marie-Christine Tabet, directrice adjointe des rédactions du Parisien.
De plus en plus de monde en France comprend que le ministre de l’Intérieur utilise l’Algérie comme tremplin et que la focalisation sur l’immigration algérienne est injustifiée. D’autres voix du gouvernement français l’ont dit sans ambiguïté : le problème de l’exécution des OQTF ne se pose pas qu’avec l’Algérie.
Sur le plateau de France Info, les chiffres de la Cour des comptes ont été étalés comme une preuve supplémentaire que Bruno Retailleau ne dit pas toujours la vérité. Entre 2019 et 2022, le taux d’exécution des OQTF avec les trois pays du Maghreb était comme suit : 4,4 % pour l’Algérie et le Maroc, 5 % pour la Tunisie.
France : un Marocain sous OQTF attaque des policiers à Cannes
« Pourquoi alors cette focalisation sur l’Algérie ? ». Réponse de l’historien Benjamin Stora, présent sur le plateau : « Il faudra poser la question à Bruno Retailleau. Il y a une équivalence des chiffres entre les trois pays du Maghreb, or là, il y a un problème qui est de nature exclusivement politique. »
Bruno Retailleau un grand menteur sur les OQTF:
Pourquoi se focaliser uniquement sur l’Algérie ? pic.twitter.com/TLFmzezMO2— L’oeil Medias (@LoeilMedias1) March 15, 2025
Dans son argumentaire, le ministre de l’Intérieur utilise à outrance l’attentat au couteau de Toulouse dont l’auteur n’a pas pu être expulsé, car les services consulaires algériens auraient refusé de lui délivrer un laissez-passer consulaire à « 14 reprises ».
Le jour même où Retailleau menaçait de claquer la porte, un autre attentat au couteau est commis à Cannes.
Son auteur est un Marocain sous OQTF depuis novembre 2024. « Mais que fait-il encore sur notre sol ? On agit quand Monsieur le ministre de l’Intérieur ? », s’est interrogé sur X le député Éric Ciotti. Avec toutefois une « omission » de taille qui confirme l’obsession algérienne du courant extrémiste. Ciotti n’a pas précisé la nationalité de l’assaillant… Si c’était un Algérien, il l’aurait certainement précisé et l’attaque aurait suscité une vague plus importante de réactions.
Le Maroc sera-t-il attaqué par le ministre de l’Intérieur et des dirigeants de la droite et de l’extrême droite ?
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