Économie

L’Algérie a-t-elle fermé son marché aux produits français ?

L’Algérie a-t-elle vraiment fermé son marché aux produits agricoles français ? Le 12 février dernier, une chronique matinale de la radio Europe 1 avait pour titre : « La crise franco-algérienne jusque dans l’assiette » ou les marchés perdus par les agriculteurs français en Algérie : céréales, bovins, produits laitiers, sucre, biscuiterie et conserves.

Des exportations pour 1,3 milliard d’euros de produits agroalimentaires en 2022, et une « chute libre » en 2024, selon ce média qui fait partie de la galaxie Bolloré.

Du côté de certaines entreprises françaises, le constat est identique, une chute des échanges entre les deux pays qui ont pourtant atteint 11,8 milliards d’euros en 2023, dont 4,49 milliards d’euros d’exportations françaises vers l’Algérie, selon les chiffres des Douanes françaises.

C’est le cas au niveau de la coopérative laitière d’Isigny Ste Mère en Normandie, dont son président a récemment déclaré : « Avec l’Algérie, tout est fermé, alors qu’il y a pourtant un accord de libre-échange entre l’Algérie et l’UE, donc c’est illégal ».

Un discours qui fait abstraction de l’esprit de l’Accord d’association entre l’Union européenne et l’Algérie. Son premier article stipule que l’objectif est de « développer les échanges, assurer l’essor de relations économiques et sociales équilibrées entre les parties ».

Récemment, devant une commission du Sénat français, le sénateur du Val-d’Oise (Ile-de-France) Rachid Temal a déclaré que la question est liée au « choix du gouvernement algérien qu’il faut respecter. C’est-à-dire passer d’une économie d’importation à une économie de production locale et d’exportation ».

Le sénateur socialiste a expliqué que la protection d’un marché algérien de 48 millions de consommateurs profite aux marques françaises installées dans le pays.

« C’est le choix du gouvernement algérien qui veut sortir d’une économie d’importation à une économie de production locale et d’exportation », a-t-il dit après une visite de deux jours en Algérie (8-9 février) à l’invitation de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française. Il a expliqué que les groupes français qui s’implantent en Algérie peuvent bénéficier de cette « forme de protection » du marché.

Jeudi, devant le Sénat français, le sénateur Akli Mellouli a abondé dans le même sens : « Il y a les Américains, mais aussi les Italiens maintenant qui ont installé le plan Mattei avec des investissements très lourds en Afrique, notamment sur l’Algérie ». Il a notamment cité le projet italien dans la production de blé dans la région de Timimoun et a appelé la France à suivre l’exemple de l’Italie.

Filières agricoles françaises, peu d’investissement en Algérie

Beaucoup d’industriels à travers le monde le concèdent, gagner des marchés à l’export nécessite aujourd’hui d’accompagner les contrats d’un transfert de savoir-faire.

C’est le cas dans le domaine industriel, aussi pourquoi cela devrait-il être différent dans le cas des céréales, bovins, lait, biscuiterie ou conserves à destination de l’Algérie ?

Dans le secteur de la conserverie, les marques algériennes sont aujourd’hui nombreuses : Cevital, Grande Conserverie Dahmani, La Belle, Conserverie Alimentaire Racherache Abderrazek, Conserverie Amor Benamor, ou AGD Fruits.

Dans celui de la biscuiterie, le développement est rapide, à l’image des progrès du leader BIMO, de SOBCO, et du français Lu.

Quant au secteur de l’élevage, malgré des progrès, les besoins restent importants en Algérie. Si, comme le souligne Europe 1, la filière bovine française a perdu entre 2022 à 2024 pour 167 millions d’euros d’exportations vers l’Algérie, cela est principalement lié à des causes sanitaires, dont l’apparition de la Maladie hémorragique épizootique (MCE) en France.

Les investissements français dans la filière lait algérienne restent limités. Danone et Lactalis sont actuellement présents en Algérie où ils bénéficient de parts importantes du marché local. En 2014, Bretagne international a investi près d’un million d’euros dans l’appui technique aux éleveurs laitiers algériens dans 3 wilayas pilotes.

Le groupe Avril est également présent dans l’agro-alimentaire en Algérie où il produit de la mayonnaise et du ketchup sous la marque Lesieur.

Mais, aucun projet d’envergure n’est à signaler ces dernières années en Algérie, alors que la modernisation des installations de la Société d’Exploitation du Parc à Bestiaux (Sepab) au niveau du port de Sète ne visent qu’à exporter plus de génisses et de bovins viande vers l’Algérie.

Cependant, aucun projet, à l’image de celui de l’ambassade des États-Unis à Alger, que l’ambassadrice a personnellement suivi. Il vise à un partenariat avec le ministère de l’Agriculture et du Développement rural en matière d’amélioration de génétique bovine. Un partenariat qui a abouti à la naissance des premiers veaux américains en Algérie.

En matière de céréales, il faut remonter à 1975 pour retrouver un projet pluriannuel algéro-français comme celui visant à l’amélioration de la production de fourrages et de blé à Tissemsilt dans la wilaya de Tiaret.

À travers l’ONG Fert, la filière céréales française dispose d’un outil spécialisé dans les partenariats agricoles avec les pays étrangers.

Fert a été créée par des responsables d’organisations professionnelles agricoles pour aller à la rencontre d’agriculteurs étrangers dans « un esprit de solidarité active, génératrice d’un enrichissement mutuel », comme précisé sur son site Internet.

Elle bénéficie à ce titre « depuis près de 40 ans du soutien des organisations professionnelles céréalières ».

À ce titre, elle bénéficie d’une expertise en matière de gestion des apports d’engrais azoté et d’eau sur les cultures, un domaine capital pour le développement des cultures de blé en Algérie.

Idem en ce qui concerne l’expertise en matière de culture de la betterave ou des oléagineux avec l’expérience acquise par le projet français Maghreb Oléagineux, dont l’Algérie a été absente.

Alors que Europe 1 évoque pour 2022 la vente à l’Algérie de « 5,4 millions de tonnes de grains, soit 80 à 90 % de ses besoins », en Algérie, Fert est engagé dans un projet exclusivement consacré au soutien de l’apiculture en lien avec l’Association nationale des apiculteurs (Anap).

Algérie : des partenariats avec le Qatar et l’Italie dans le lait et le blé

Actuellement, l’Algérie se tourne vers l’Italie et le Qatar pour développer de grands projets agricoles dans le Sud.

Le projet avec le groupe qatari Baladna devrait s’étendre sur 117.000 hectares à Adrar et permettre de couvrir 50 % des besoins locaux en lait, avec un financement conjoint, à hauteur de 51 % pour la partie qatarie et 49 % pour le Fonds national d’investissement (FNI), le bras financier de l’État algérien.

Quant à l’accord avec un groupe italien Bonifiche Ferraresi à Timimoun, il concerne une superficie de 36.000 hectares et le forage de 160 puits. Ce partenariat algéro-italien devrait permettre la production de blé dur, dont une partie devrait être exportée vers l’Italie et l’autre permettre à l’Algérie d’arriver à une autosuffisance.

Il semble que, côté français, comme à la coopérative d’Isigny Ste Mère, la filière céréales française privilégie l’export au partenariat. Ceci transparaît notamment dans les seules préoccupations des organismes stockeurs de céréales du bassin parisien : tout faire pour réunir chaque semaine assez de blé afin de charger un train céréalier à destination du port de Rouen.

« Pourvu que cela dure », s’exclamait en 2022 un éleveur laitier d’Isigny à la vue des chiffres annuels d’exportations de sa coopérative.

À propos de la politique céréalière, l’Algérie a révisé son cahier des charges en 2022 pour diversifier ses fournisseurs. À raison d’un différentiel en moyenne de 30 dollars la tonne, le blé de la mer Noire est plus compétitif que le blé en provenance de France.

Les céréaliers et les techniciens français possèdent un avantage incomparable, leurs homologues algériens parlent le français et non pas le russe, un avantage lorsqu’on souhaite développer un partenariat de proximité.

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