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L’autosuffisance de l’Algérie en blé dur sous la loupe des États-Unis

L’autosuffisance de l’Algérie en blé dur sous la loupe des États-Unis

Par Pixabay
Épis de blé

L’annonce par l’Algérie de son projet d’arriver à l’autosuffisance en blé dur à partir de 2025 suscite l’intérêt des États-Unis. À son habitude, le département américain de l’agriculture (USDA) a publié mardi 1er octobre son dernier rapport sur la production de céréales en Algérie.

Une batterie d’indicateurs est utilisée : données pluviométriques, images de satellite, statistiques douanières et déclarations des opérateurs. Résultat, un scepticisme quant à une éventuelle autosuffisance de l’Algérie en blé dur.

Régulièrement, à l’intention des opérateurs américains, l’USDA examine le cas de différents pays dans le monde. Dans son rapport du 1er octobre, il examine à la loupe la situation du secteur céréalier en Algérie.

Autosuffisance de l’Algérie en blé dur : l’objectif est-il réalisable ?

Une première partie fait état de données du ministère de l’Agriculture et du Développement rural algérien concernant une superficie de 3,069 millions d’hectares consacrés aux semis de céréales en 2024 dont 1,6 million alloué au blé dur (52 %) et un million alloué à l’orge (32,5 %), le reste étant consacrés au blé tendre et à l’avoine.

Le département américain de l’agriculture indique que « le blé dur et l’orge resteront les principales céréales plantées, tandis que le blé tendre et l’avoine resteront des cultures secondaires ». Il explique cette situation par les « températures relativement chaudes de l’Algérie (qui) ne sont pas propices à la culture du blé panifiable ».

Il est pris en compte le fait que, dans les régions littorales et des hauts plateaux algériens, la plupart des cultures restent irriguées par la pluie et qu’en conséquence, les rendements « dépendent principalement des conditions météorologiques ».

Quant aux surfaces au sud du pays plus d’un million d’hectares de terres agricoles devraient être cultivées en 2028 dont 500.000 consacrés aux céréales.

Concernant la campagne céréalière 2023-2024, à partir d’images satellite, l’USDA fait remarquer que « la production dans l’Est et les superficies cultivées du centre étaient meilleures que la moyenne » du fait que « les régions de l’ouest ont reçu moins de pluie que les autres régions » d’Algérie.

Quant aux céréales cultivées dans le sud du pays, les rendements sont « supérieurs à la moyenne pour l’ensemble de l’Algérie » cependant, il est indiqué que « moins de 10 % de la production agricole algérienne provient du sud » même s’il est noté une politique gouvernementale volontariste pour augmenter ces surfaces.

L’USDA note que pour l’année 2024, selon le ministre de l’Agriculture, « l’abondante production de blé dur a permis à l’Algérie d’économiser 1,2 milliard de dollars d’importations de blé ».

Pour la campagne 2024-25 et suite aux dernières précipitations qui ont touché l’Algérie depuis fin août, l’USDA reste optimiste quant à la récolte à venir.

Cependant, le rapport américain relève qu’en septembre, le niveau de l’humidité du sol à l’ouest du pays se situe « en dessous de la moyenne normale » et que « la sécheresse continue de sévir dans cette partie du pays ».

Les auteurs du rapport américain rappellent cependant que « au moment de la rédaction de ce document (mi-septembre), les pluies ont repris sur tout le pays, ce qui devrait fournir au moins un peu d’humidité et permettre aux agriculteurs de commencer leurs semis ».

En se basant sur les graphiques des précipitations cumulées de l’USDA Crop Explorer, le rapport mentionne que « les cultures non irriguées ont été touchées au cours des deux dernières campagnes ».

Forte augmentation des stocks stratégiques

En matière de consommation, l’USDA indique que « l’Algérie est l’un des principaux consommateurs de blé en Afrique du Nord » et que le gouvernement subventionne la production de pain dont le prix « d’une baguette est d’environ 10 centimes de dollar ».

L’USDA rappelle que « le gouvernement a encouragé les consommateurs à diminuer leur consommation de pain afin d’endiguer le gaspillage alimentaire ». La consommation de blé est estimée pour la campagne de commercialisation 2023/24 à 11,2 millions de tonnes (Mt) et à 11,35 Mt en 2024/25.

Concernant les stocks stratégiques de céréales, l’USDA « prévoit une forte augmentation des stocks de blé en Algérie, atteignant 6,9 Mt, contre 6,3 Mt estimés pour la campagne de commercialisation 2024/25 ».

Des stocks répartis tant dans les installations gouvernementales que chez le secteur privé selon la même source.

Le rapport américain note également que le « gouvernement algérien a systématiquement commencé à construire des moyens de stockage suite à la pandémie de Covid et à la perturbation du commerce mondial des matières premières causée par la guerre dans la région de la mer Noire ».

Il est ainsi indiqué que « le ministère de l’Agriculture a récemment dévoilé son intention d’augmenter les capacités de stockage des céréales à 9 Mt d’ici la fin de 2024 ».

Progression du blé en provenance de la mer Noire

Concernant les importations de l’Algérie, l’USDA les estime pour « la campagne de commercialisation 2024/25 à 9 Mt après le pic de 9,4 Mt de 2023/24 ».

Cependant, « les niveaux d’importation pour la campagne 2024/25 resteront élevés malgré l’amélioration des récoltes ».

Selon le département américain de l’agriculture, ce niveau résulte de la demande intérieure, mais aussi de « la constitution de stocks stratégiques pour combler le déficit existant en production par rapport à la mauvaise récolte précédente de la campagne 2023/24 ».

Ces estimations sont basées sur les données commerciales rapportées par « le Trade Data Monitor (TDM), ainsi que sur des données commerciales supplémentaires de l’industrie en provenance de Russie et du Mexique », précise le même rapport.

Quant à l’origine des céréales importées, l’USDA note que les exportations de blé russe vers l’Algérie ont dépassé 2,3 Mt au cours de la campagne 2022/23 et 2023/24.

Il est également souligné que « les importations de blé de l’Algérie dépassent les années de commercialisation précédentes plutôt que de diminuer » et prend comme exemple le fait que l’Office algérien des céréales (OAIC) a « acheté en juillet environ 750.000 t de blé panifiable devant provenir de Russie et de la mer Noire et, en août, environ 600.000 à 700.000 t de blé meunier et environ 500.000 t de blé dur ».

Le rapport note également que « la Russie a étendu de manière agressive sa présence céréalière sur le marché algérien depuis que l’OAIC a adopté la politique de diversification pour ses partenaires commerciaux » en 2022.

Cependant, il est fait mention que « les pays de l’UE restent la première origine des exportations de blé vers l’Algérie, bien que leur part de marché diminue progressivement en raison de la concurrence d’autres origines, notamment la Russie ».

Poursuite des importations de blé dur

L’USDA a également analysé la stratégie algérienne en matière de production céréalière et relève ainsi que le ministre de l’Agriculture a indiqué que « 2025 sera la dernière année où l’Algérie importera du blé dur ». Une décision réitérée par le président Tebboune lors de son discours d’investiture pour un second mandat présidentiel le 17 septembre 2024.

Le rapport américain rappelle que « le ministère de l’Agriculture continue de promouvoir la culture des céréales dans les régions désertiques » avec la mise en culture de plus d’un million d’hectares dans le sud d’ici 2028, dont « 500 000 hectares destinés à la production de blé et d’orge, 220 000 hectares pour le maïs et 20 000 hectares pour la production de légumineuses ».

Il est ainsi précisé que « 264 000 hectares, répartis sur des lots de 250 à 1 000 hectares chacun, ont été attribués à 431 opérateurs. Actuellement, 286 de ces opérateurs sont effectivement installés ».

Un point marquant du rapport de l’USDA concerne le blé dur. Il est noté que « les importations de blé dur sont sous pression, mais il est peu probable qu’elles s’arrêtent ». Au « mieux », les importations de blé dur de l’Algérie « pourraient diminuer après 2025 », selon le rapport américain.

Les explications avancées se basent sur les statistiques d’importations : « les importations de blé dur ont augmenté au cours de la campagne de commercialisation 2022/2023 ainsi que de la campagne de commercialisation 2023/2024 car la récolte a été très mauvaise en raison des années de sécheresse qui ont suivi » et la stratégie concernant le « stockage pour assurer la sécurité alimentaire ».

Une stratégie dont le poids sur les importations serait d’autant plus marqué vu « la décision du gouvernement d’élargir les installations de stockage ».

Il est à remarquer qu’en matière de blé, les estimations de l’USDA portent seulement sur des emblavements de l’ordre de 3,06 millions d’hectares alors que le ministère de l’Agriculture a affiné son objectif qui est aujourd’hui de 3,7 millions d’hectares.

Par ailleurs, si le rapport de l’USDA précise que la majorité des surfaces céréalières situées au niveau des hauts-plateaux dépendent de la pluie, il néglige les efforts déployés par les services agricoles notamment en matière de fourniture de semences certifiées de blé dur, d’engrais et de crédit de campagne.

Le rapport de l’USDA se termine sur le projet annoncé en mars 2024 de la construction de « 30 silos et de 350 centres de stockage pour les céréales afin d’augmenter les capacités de stockage à 9 Mt, contre environ 5 Mt ».

Bien que détaillée, cette dernière édition de l’USDA concernant l’état de la production de céréales en Algérie reste incomplète.

En témoigne l’affirmation selon laquelle l’autosuffisance en blé dur est difficilement atteignable qui sous-estime l’effort considérable des services agricoles en ce début de campagne ainsi que les réserves de productivité en matière d’amélioration de l’itinéraire technique actuellement suivi par les agriculteurs.

Algérie : un plan ambitieux vers l’autosuffisance en blé dur

Sur le terrain, la campagne labours-semis a été officiellement lancée en Algérie le 2 octobre. Une ouverture précoce liée à la volonté des services agricoles d’emblaver 3,7 millions d’hectares. Un pari ambitieux qui repose sur la disponibilité en semences tant par les opérateurs publics que privés.

C’est Youcef Cherfa, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural qui, en personne, a lancé officiellement cette campagne à Sétif.

Une campagne dont le succès réside, outre dans la disponibilité en semences, en celle d’engrais de fonds et de crédit de campagne.

Ce type de crédit (Rfig) mis en œuvre par la BADR permet le financement des intrants indispensables à la culture des céréales et est remboursable en fin de campagne, c’est-à-dire après plus de dix mois.

Pour beaucoup d’agriculteurs, ce financement est capital dans la mesure où la culture nécessite des dépenses en semences, engrais, produits phytosanitaires et carburant.

Depuis plusieurs années, le principe de guichet unique installé au sein des CCLS permet un gain de temps précieux pour les agriculteurs détenteurs de la carte de Fellah.

Pour cette campagne, une réunion regroupant les acteurs du secteur s’est tenue le 24 septembre au cours de laquelle le ministre a appelé « à une mobilisation totale pour la réussite de la saison agricole et la concrétisation de l’engagement commun à cultiver près de 3,7 millions d’hectares », a rapporté la Télévision algérienne.

À l’occasion, il a notamment demandé au directeur de la BADR une plus grande célérité dans l’étude des dossiers pour l’octroi des prêts Rfig.

Selon Ould El Hocine Abdelaziz, membre du Comité national de la filière céréales qui assistait à la réunion et qui intervenait hier sur Ennahar TV, le ministre a demandé pourquoi un agriculteur qui a droit à ce crédit et qui dépose un dossier début octobre doit attendre jusqu’au mois de novembre pour un accord. Un retard qui se répercute sur l’obtention des semences et donc sur la date des semis.

Meilleure disponibilité en semences certifiées

La disponibilité en semences constitue une préoccupation des agriculteurs céréaliers algériens.

L’année passée a été marquée par des retards dans l’approvisionnement des agriculteurs en semences certifiées. Une situation qui a notamment provoqué le mécontentement de certains agriculteurs à Tiaret.

La direction de la CCLS locale a indiqué que la distribution était effectuée selon l’état d’avancement des labours chez les agriculteurs et selon les capacités disponibles localement en matière d’usinage de semences.

Pour cette campagne Ould El Hocine Abdelaziz confirme la disponibilité en semences certifiées.

Fin juillet, dès la fin de la récolte qui a été marquée par la mobilisation de moyens logistiques conséquents à l’image de convois d’une centaine de camions dirigés vers les zones de production, Youcef Cherfa a donné des instructions afin que les opérations d’usinage des semences commencent sans plus attendre. Ce à quoi les stations d’usinage des CCLS se sont attelées.

Ce sont plus de 4,4 millions de quintaux de semences certifiées qui devraient être livrées aux agriculteurs. Le problème concerne cependant le choix des variétés.

Aujourd’hui, les agriculteurs connaissent celles qui sont les plus productives. Actuellement, la demande porte essentiellement sur une quinzaine de variétés pour lesquelles des tensions peuvent être observées.

Hassani Ould Aziz donne l’exemple d’un agriculteur du sud dont la variété Vitron a permis un rendement de 66 quintaux contre 72 quintaux pour une autre variété cultivée selon un itinéraire technique.

Emergence d’opérateurs privés producteurs de semences

Traditionnellement sur le marché des semences, c’est l’OAIC à travers les CCLS qui approvisionne le marché.

Sur la base de contrats passés avec des agriculteurs spécialisés dans la production de semences, les CCLS trient et traitent leurs récoltes après qu’elles aient été agréées par le Centre national de contrôle et certification des semences et des plants (CNCC).

Depuis quelques années un opérateur privé s’est fait une place sur le marché. Il s’agit de la société Axium de Constantine dirigée par Mahmoud Benelbedjaoui.

Cette société vient de publier son catalogue 2024-2025 des variétés, une première en Algérie. Des variétés provenant de différentes origines comme leur nom exotique en témoigne : Palisio, Anforita, Carioca, Ancomarzio ou Ciccio.

C’est sur la ferme familiale de 450 hectares que ces variétés étrangères sont d’abord testées pour qu’ensuite commence un long processus de production de semences.

À partir des plus beaux épis, il s’agit pour les ingénieurs d’Axium de préparer quelques kilogrammes de semences pour arriver à répondre les années suivantes aux milliers de quintaux demandés par les agriculteurs.

À ce titre, Axium reproduit la démarche rigoureuse réalisée dans les stations de l’Institut technique des grandes cultures (ITGC) avec le contrôle précis du CNCC.

Comme l’ITGC, cette société privée organise des plateformes de démonstration au niveau desquelles les agriculteurs sont invités afin de découvrir les caractéristiques des nouvelles variétés.

Fort de son succès, Axium développe des filiales dans plusieurs wilayas et revendique aujourd’hui des capacités de stockage de semences de plusieurs dizaines de milliers de quintaux.

Crédit, semences et matériel agricole

Avec les efforts pour assurer la disponibilité en semences, engrais et crédit Rfig, la campagne labours-semis actuelle bénéficie d’une préparation particulière pouvant à terme permettre d’emblaver 3,7 millions d’hectares et donc objectivement tabler sur une autosuffisance en blé dur.

En plus des surfaces situées au nord, il s’agit de tenir compte de celles situées au sud sous pivots d’irrigation.

Les exploitations agricoles bénéficient d’une plus grande disponibilité en moyens de traction à travers la production locale de tracteurs de marque Cirta à Constantine et le montage d’engins de marque Sonalika par Famag à Sidi Bel Abbès. Est-ce dire que l’objectif de 3,7 millions d’hectares emblavés sera atteint ?

Les dernières pluies ont humidifié le sol et facilité les labours. Cependant, la pluviométrie entre la mi-octobre à la mi-décembre sera déterminante.

L’expérience des années précédentes a montré que les agriculteurs rechignent à semer en conditions sèches de peur que les plantules issues des semis ne périssent si les pluies automnales tardent.

Par ailleurs, rappelle Ould El Hocine Abdelaziz, plus les semis sont tardifs, plus les agriculteurs sont obligés d’utiliser plus de doses de semences pour tenter de compenser les pertes de rendements dues aux semis tardifs.

Contrairement aux pays développés confrontés aux risques de sécheresses automnales, les semoirs utilisés en Algérie manquent encore des dispositifs innovants permettant la pratique intégrée du « roulage après semis » et ainsi de sécuriser les semis en conditions sèches.

Globalement, la campagne labours-semis 2024 est bien engagée, de quoi mettre tous les atouts pour augmenter la production de blé et notamment celle de blé dur. Une campagne scrutée attentivement par le département américain de l’agriculture et par les médias spécialisés comme World Grain.

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