Au Maroc, à cause de la sécheresse et d’un modèle agricole hydrivore tourné vers l’export, l’éventualité de l’annulation du sacrifice du mouton de l’Aïd-el-Kebir 2025 est présente dans toutes les conversations.
C’est Ahmed El Bouari, le ministre marocain de l’Agriculture, lui-même qui l’affirme. Avec 38 % d’animaux en moins entre 2016 et 2025, le cheptel marocain a perdu plus d’un tiers de ses effectifs.
En cause, la sécheresse, le surpâturage, mais également un modèle agricole tourné vers l’export. Face à la régression des surfaces fourragères, les éleveurs ont recours aux aliments du bétail, mais cela a un coût.
En septembre dernier, la presse locale faisait état d’une « flambée des prix de la viande rouge au Maroc », celle de mouton passant de 45 à 150 dirhams.
La question de l’annulation du sacrifice de l’Aïd-el-Adha 2025 a été soulevée au Parlement marocain par un député, sans que le ministre de l’Agriculture ne prenne position.
Les récentes chutes de neige et la pluie pourraient permettre une amélioration de l’offre en fourrages. Nul doute que Ahmed Bouari, cet ancien directeur de l’irrigation au sein du ministère de l’Agriculture, attendra pour faire part d’un avis.
Cependant, la rumeur court et se traduit par une baisse de 800 à 1.000 dirhams sur le prix des moutons, selon l’Association nationale des éleveurs d’ovins et caprins (ANOC).
Importations de moutons espagnols
L’année dernière, le gouvernement marocain a octroyé des subventions aux importations de moutons, mais elles n’ont pas profité aux consommateurs.
Nizar Baraka, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, a récemment dénoncé les spéculateurs. « Lors du dernier Aïd al-Adha, nous avons ouvert l’importation des moutons et des viandes et avons contribué à hauteur de 500 dirhams par opération pour chaque bélier importé. Pourtant, ils l’ont fait entrer à 2.000 dirhams et l’ont vendu à 4.000 dirhams ! », a-t-il déclaré.
Des affirmations confirmées par les consommateurs tel que Mustapha de Tétouan qui confiait en juin dernier au média Bladi.net : « Le mouton le moins cher qu’il dit avoir trouvé coûtait 3.000 dirhams, alors qu’auparavant, il suffirait de débourser moins de 1.500 dirhams pour l’acquérir ».
Les moutons de race mérinos importés d’Espagne ont été vendus sur pied aux consommateurs. Des consommateurs ravis de l’opération lorsqu’ils en avaient les moyens, à l’image de Mohamed près de Tanger qui confiait au média 360.ma : « J’ai acheté un mouton espagnol l’année dernière et, franchement, ma famille et moi n’avons remarqué aucune différence. La qualité de sa viande est comparable à celle de la viande locale. C’est pourquoi, j’ai décidé cette année d’en acheter à nouveau pour l’Aïd ».
Selon des professionnels australiens, des négociateurs marocains sont venus en Australie pour discuter de l’importation annuelle de 100.000 têtes de moutons vivants. Une décision qui pourrait s’avérer impossible les prochaines années. En juillet 2024, le Parlement australien a décidé l’interdiction des exportations maritimes de moutons vivants pour cause de souffrance animale, et cela, à partir de 2028.
Pour relancer la production locale, le ministre marocain de l’Agriculture, a annoncé « un programme global de soutien au secteur de la production animale ». Outre de nouvelles importations de moutons et de fourrages exemptés de taxes, des mesures spécifiques ont été prises telle que la pose de boucles d’identification aux animaux destinés à l’engraissement.
Ces dernières années, des essais d’amélioration des pâturages ont également été tentés telle que la technique de l’alley-croping qui vise à semer de l’orge entre deux haies d’arbustes fourragers ou encore confier la gestion des parcours steppiques sur une base tribale. Mais celle-ci n’a pas été à l’abri des maux que connaissent les autres formes d’organisation.
La pratique de « croisements industriels » entre béliers mérinos et brebis locales s’est avérée intéressante pour obtenir des agneaux plus lourds destinés à l’abattage.
D’autres essais visent à valoriser la viande de qualité produite en milieu steppique à travers la constitution d’une filière viande rouge ovine en s’intéressant tant aux éleveurs, abattoirs que bouchers.
« Remettre en question le modèle agricole marocain »
L’agro-économiste Larbi Zagdouni juge ces mesures incomplètes : « La situation était déjà fragilisée au fil des années. Il a suffi qu’il y ait une sécheresse dure et durable combinée à la flambée des prix des aliments de bétail pour que le système s’effondre ».
Cet expert souhaite voir la remise en cause du modèle agricole marocain actuel tourné vers l’exportation avec pour corollaire une utilisation effrénée des ressources en eau du pays.
Dans le cas de la tomate, les exportations marocaines ont augmenté de 40 % entre 2017 et 2022 pour atteindre près de 660.000 tonnes en 2023.
À raison de 12 à 60 litres d’eau par kilo de tomate, la culture a mobilisé une partie des ressources en eau. Dans la région d’Agadir ou à Dakhla au Sahara occidental occupé, la multiplication des forages a épuisé les nappes d’eau, d’où le recours actuel au dessalement de l’eau de mer dix fois plus cher.
Larbi Zagdouni s’en prend à la gestion de l’eau : « On a fragilisé encore davantage notre système d’élevage par la réduction de sa base essentielle. Ce type de politique s’est amplifié avec l’avènement en 2008 du programme, soi-disant d’économie d’eau, qui a fini par se traduire par une extension démesurée des superficies irriguées, au moment même où les apports en eau des précipitations n’ont cessé de diminuer ».
Des chèvres à la place de moutons ?
Ahmed Bouari pourra-t-il réorienter la stratégie agricole au profit des éleveurs et de leurs besoins en fourrage ?
Rien n’est moins sûr, pour ce proche d’Aziz Akhannouch. Ce dernier, milliardaire devenu Premier ministre, est à l’origine de l’élaboration du Plan Maroc Vert lorsqu’il était ministre de l’Agriculture. Ce plan est à l’origine de l’orientation vers des cultures gourmandes en eau destinées à l’exportation.
À défaut de moutons, les ménages marocains les plus modestes se tournent vers le sacrifice de chèvres, une tendance observée dans les environs de Casablanca où les prix entre 1.400 à 1.800 dirhams représentent « moins de la moitié de ceux affichés pour les moutons », selon la presse locale.
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